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René Bonnet

vendredi 30 décembre 2022, par Frédéric Muller (CC by-nc-sa)

Après avoir lu votre livre Nouvel Age littéraire, j’ai donc écrit les quelques lignes que vous trouverez ci-jointes puis, réfléchissant, je me suis dit : Pourquoi ne les enverrais-je pas à Henry Poulaille qui est un ancien ouvrier, comme je le suis ? C’est ainsi que René Bonnet (1905-1988) s’adresse pour la première fois à Henry Poulaille en mai 1931. Fils d’un scieur de long et d’une femme de ménage, il s’est très tôt assigné une discipline intellectuelle qui le distingue de la plupart de ses camarades charpentiers. Lire, écrire, lorsqu’on est ouvrier, c’est d’abord engager une interminable lutte contre la fatigue, veiller tard après le travail pour engranger ce savoir que la division de la société en classes manuelle et intellectuelle entend lui refuser : la nuit des prolétaires, selon l’expression de J. Rancière.

Il ne suffit pas d’apprendre, il faut partager, et vite : Nous devons donc intéresser un lecteur fatigué et qui souvent ne peut lire que dans le métro et dans le train... Si nous réussissons à l’intéresser, il sera disposé à faire un effort (lettre de R. Bonnet à R. Messac, 7 avril 1933).

En 1932, je fis la connaissance d’Henry Poulaille, auquel je montrai mes notes et réflexions. Il me dit à peu près ceci : Ce que tu écris là d’autres l’ont déjà écrit ou l’écriront mieux que toi. Tu devrais plutôt faire des récits sur ton métier, sur la vie des charpentiers. J’écoutai les conseils de mon ami qui ne me ménagea pas ses encouragements (réponse de R. Bonnet à l’enquête de R. Ninck). C’est entre ces deux hommes le début d’une amitié qui jamais ne se démentira. Ensemble, il bâtiront cette expérience inédite que fut le Musée du soir, entre 1935 et 1939. René Bonnet y joue un rôle central, participant à la collecte des livres, assurant les permanences, l’organisation des conférences...

Après la captivité, l’après-guerre est la période des réalisations littéraires. Ce fut d’abord A l’école de la vie en 1945, récit des années d’apprentissage, de la vie de chantier. Puis la redécouverte de ses racines paysannes, son Enfance limousine (1954), retracée au fil des jours de paix et des jours de guerre des années 1910-1920. On retrouve l’influence de la vie rurale dans Veillée limousine (1951), pièce en un acte, où se nouent les amours paysannes. Petite histoire de la charpenterie et d’une charpente (1960) prolonge la description du monde du travail : il s’agit à nouveau d’un récit d’initiation, mais cette fois l’auteur est devenu un professionnel aguerri. Il prend en charge un jeune apprenti et les leçons qu’il lui donne sont l’occasion de transmettre au lecteur quelques-unes des lois de son métier. Enfin Contes de la ville et de la campagne (1982) réalise sur un mode plus littéraire une synthèse des deux sources d’inspiration de son écriture : les racines rurales et l’expérience de l’ouvrier charpentier qu’il fut toute sa vie.