Accueil > Editions & Publications > Itinéraire - Une vie, une pensée > Itinéraire - Une vie, une pensée n°12 : « Henry Poulaille » > Louis Guilloux

Louis Guilloux

mercredi 4 janvier 2023, par Véronique Fau-Vincenti (CC by-nc-sa)

De Louis Guilloux, on connaît surtout l’œuvre tour à tour militante, déchirante, douloureuse ou enthousiaste, mais toujours ancrée dans son temps et généreuse, pleine de doute et chargée malgré tout de conviction, de foi et d’espérance. Littérature « populiste » ou « prolétarienne », Louis Guilloux s’est toujours refusé à prendre part aux polémiques qui entouraient sa production, car son œuvre, c’était lui... Fidèle à lui-même comme aux siens, l’œuvre de Louis Guilloux, fils d’un modeste cordonnier militant socialiste, est empreinte d’une gracilité que nul ne peut désavouer.

De l’homme, on connaît moins l’histoire et la destinée... Né en 1899 à Saint-Brieuc, Louis Guilloux fut élevé dans un milieu militant (son père fut secrétaire de la section socialiste de sa ville natale de 1911 à 1914). A l’âge de treize ans, il dut, pour poursuivre ses études au lycée, obtenir une bourse ; l’année suivante cependant, il choisit d’y renoncer, préférant un poste de « pion » comme beaucoup d’autres jeunes gens démunis. Sans doute pensa-t-il aussi à Jules Vallès, dont il affectionnait la lecture, qui en avait fait autant quelques décennies plus tôt.

Très tôt, contraint sans doute par cette peur de trahir les siens et de rompre d’avec les valeurs communautaires de son milieu, il en vint en 1917 à abandonner ses études, vivant de « petits » métiers : tour à tour colporteur, employé de bureau ou déménageur quant il arriva à Paris en 1918. De 1921 à 1924, il travaille comme lecteur d’anglais au journal l’Intransigeant. Il se promit de se consacrer enfin à la littérature. Trois ans plus tard en effet, est publié son premier roman La Maison du peuple qui retrace les luttes et les espoirs militants de son père à la veille de la Grande Guerre. Et, en 1931, paraissait Compagnons... Par ces deux premiers romans, Guilloux, soutenu par Jean Guéhenno aux éditions Grasset, manifestait avec force son attachement au monde prolétarien... En 1935, fut publié Le Sang noir, « œuvre mutilée » [1] que certains trouvèrent désespérée et d’un grand pessimisme, que d’autres considèrent comme son chef-d’œuvre.

Outre son activité littéraire, Louis Guilloux ne manqua pas de s’engager dans les combats qui secouèrent son époque. Sans jamais s’inscrire au sein d’un parti, il se lança néanmoins dans le mouvement antifasciste et, en 1935, il est secrétaire du premier Congrès mondial des écrivains antifascistes ; puis, jusqu’en 1940, s’attache à la condition des réfugiés espagnols en Bretagne, en tant que responsable du Secours populaire de France à Saint-Brieuc. Il prit part également aux luttes de soutien en faveur des chômeurs. Toujours à Saint-Brieuc, où il était revenu en 1930, il adhéra très vite au mouvement de résistance durant la Seconde Guerre mondiale. En 1941, il se mit en contact avec des responsables de la Résistance des Côtes-du-Nord et, en 1943, participa à l’unification des différentes forces, communiste et non communiste. A la fin de la guerre enfin il fut choisi par le Comité départementale de la Libération comme interprète des forces américaines.

Cœur solitaire, cœur solidaire

Son engagement, son œuvre ne sauraient cependant masquer l’homme, ses liens et ses amitiés. Lors de son passage à Paris, le jeune homme se lia avec Max Jacob, Daniel Halévy et Jean Guéhenno. Quelques années plus tard, ce furent Dabit, Aragon, Malraux ou Gide qui s’exprimèrent à propos de la parution du Sang noir le 12 décembre 1935 à la Maison de la Culture de Saint-Brieuc. André Gide, qui appréciait tant l’œuvre que l’homme, lui demanda de bien vouloir participer au voyage qu’il entreprit l’été 36. Louis Guilloux accompagna ainsi Gide en URSS Revenu en France, Gide publia Retour d’URSS , qui lui valut d’être considéré comme un renégat par les communistes pour avoir confessé ses désillusions sur l’Union soviétique. Louis Guilloux, bien qu’en accord avec Gide, n’écrivit rien... Poussé bientôt par Aragon qui désirait le voir critiquer les déclarations de Gide, Guilloux s’y refusa : ce qui lui valut d’être remplacé à la chronique littéraire qu’il tenait au Soir par Paul Nizan (1937).

Il lui resta quoi qu’il en soit d’autres amitiés, plus solides celles-ci, car généreuses. Ainsi de Jean Grenier, romancier lui aussi et professeur de philosophie. Ils se rencontrèrent, alors qu’ils n’étaient que deux adolescents, à la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc et leur amitié ne devait plus dès lors s’interrompre. En août 1942, Jean Grenier expédia à son ancien élève et désormais ami des souvenirs d’enfance très réussis [2]. Le Pain des rêves, prix populiste 1942 qui évoque l’enfance démunie de Louis Guilloux, fait forte impression sur Albert Camus (dont le premier roman vient d’être publié), destinataire de cet envoi. En septembre 1942, Camus dit à Jean Grenier avoir lu le très beau livre de Guilloux. Peut-être, confie-t-il, son accent m’a-t-il plus touché que d’autres. Je sais aussi ce que c’est. Et comme je comprends aussi qu’à l’âge mûr un homme ne trouve de sujet plus beau que son enfance pauvre, et d’ajouter : la critique en zone libre a été stupide pour Le Pain des rêves. On dirait que ça gêne, la pauvreté des autres [3].

« La pauvreté »... l’un et l’autre l’ont connue et côtoyée, et elle ne cessera de hanter, si ce n’est leurs œuvres respectives, au moins leurs esprits. Suite à cette première lecture, Camus entreprit de connaître les autres romans de Louis Guilloux. Bientôt, par l’intermédiaire de Jean Grenier, ils se rencontrèrent et sympathisèrent... Si l’un, l’aîné était né sous les brumes briochines et l’autre, le cadet, nourri au soleil algérois dès 1913, c’est parce qu’ils firent tous deux leurs classes à l’école de la nécessité [4] que leurs itinéraires si souvent parallèles finirent par converger pour ne plus se séparer. De leur amitié naquit sans tarder une complicité... Guilloux fit connaître à Camus la tombe de son père mort au champ d’honneur en 1914 et enterré à Saint-Brieuc, Camus emmena Guilloux à Tipasa, désireux de lui faire découvrir ce soleil et cette lumière qui lui manquaient tant à Paris... De leur amitié, il y aurait encore beaucoup à dire : anecdotes, vacances en famille, etc.

Albert Camus et Louis Guilloux en Algérie

En 1947, Albert Camus s’appliqua à écrire la préface d’une réédition de La Maison du peuple, rappelant non sans ironie que presque tous les écrivains français qui prétendent aujourd’hui parler au nom du prolétariat sont nés de parents aisés ou fortunés, défiant quiconque de lire ce récit sans le terminer la gorge serrée [5]. L’œuvre de Louis Guilloux, essentiellement autobiographique, et parce que autobiographique, ne flatte — en fait — ni ne méprise le peuple dont il parle et lui restitue la seule grandeur qu’on ne puisse lui arracher, celle de la vérité.


[1Albert Camus/Jean Grenier, Correspondance, 1932-1960, éd. Gallimard, 1981 (Lettre 89, A.C. à J. G., page 100).

[2Id., Lettre 57, J.G. à A.C., p.72.

[3Id., Lettre 60, A.C. à J.G., p.75.

[4Louis Guilloux, La Maison du peuple, Grasset, 1983, préface d’Albert Camus, pp. 14 et 15.

[5Id., p.13.