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VIII. – La Mutualité - La mutualité aujourd’hui

mercredi 6 décembre 2023, par André Devriendt (CC by-nc-sa)

La mutualité prouve qu’il est possible d’organiser la protection du citoyen sans l’assister, sans l’assujettir, sans l’enrôler.

René Teulade

En France, le mouvement mutualiste compte environ 23 millions de bénéficiaires, soit 12 millions de chefs de famille répartis dans 8 000 so­ciétés de base environ. La majorité de ces sociétés composent la Fédération nationale de la mutualité française, qui groupe une vingtaine de millions de personnes « protégées ». La Fédération nationale des mutuelles de travailleurs compte 2 500 000 adhérents inscrits dans quelques centaines de sociétés (3 millions de personnes protégées). Certaines sociétés mutualistes ne sont adhérentes à aucune fédération ; d’autres adhèrent aux deux.

La Fédération nationale de la mutualité française (F.N.M.F.), c’est la mutualité traditionnelle, la première fédération libre créée en France. Elle comprend des sociétés mutualistes d’entreprise, des sociétés mutualistes d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs, de fonctionnaires, de reli­gieux, etc.

La Fédération nationale des mutuelles de travailleurs (F.N.M.T.), elle, ne comprend que des salariés et des travailleurs indépendants. Créée dans les circonstances que nous avons décrites par des sociétés mutualistes combatives et sous l’impulsion de la C.G.T., restée très près du mouvement syndical, la F.N.M.T. se veut mutualité d’action et de gestion. Ses activités l’ont fait surnommer « aile marchante du mouvement mutua­liste ». Elle prend vigoureusement partie contre les atteintes portées à la Sécurité sociale, aux libertés mutualistes, au droit à la santé des travailleurs. Contrairement à la F.N.M.F., elle n’hésite pas à descendre dans la rue. Dans ses centres de santé, elle pratique une nouvelle forme d’exercice de la médecine (médecine lente). Enfin, elle mène une campagne énergique pour la mise en place d’un système de prévention s’attaquant directement aux causes qui portent atteinte à la santé des travailleurs et de leurs familles. Les états généraux de la prévention qu’elle a organisés en mars 1982, les assises de la santé qui eurent lieu en avril 1980, par leur retentissement, la qualité des participants (ouvriers des usines et grands médecins) montre le rôle pilote qu’entend jouer la F.N.M.T. en matière de protection sociale.

La Fédération nationale de la mutualité française agit également en matière de prévention, mais sur un plan plus général et en collaboration avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Elle a créé un laboratoire, le Prémutam, et lancé en 1982 une campagne nationale pour la protection bucco-dentaire des enfants, et une action pour la vaccination gratuite contre la grippe des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans.

La Fédération nationale des mutuelles de travailleurs revendique la reconnaissance du « fait » mutualiste dans l’entreprise pour permette aux militants mutualistes de disposer de vacations et d’une protection, au même titre que les délégués des comités d’entreprise ou du personnel, pour que la société mutualiste puisse disposer d’un local dans l’entreprise et que les adhérents puissent se réunir sur le lieu de travail. La F.N.M.F. soutient plus vigoureusement à son tour ces revendications. Elle la fondé le Cahier de la mutualité dans l’entreprise.

Etant donné qu’aucune divergence fondamentale sur les principes mutualistes ne divise les deux fédérations mutualistes nationales, un rapprochement s’était opéré ces dernières années en vue de la réunifi­cation du mouvement mutualiste. A la suite de divergences sur les moyens d’action à opposer aux attaques du gouvernement de Raymond Barre, des désaccords en matière de politique de prévention, et de l’arrivée d’un nouveau président à la tête de la Fédération nationale de la mutualité française, les relations se sont tendues ; en fait, on retrouve dans le mouvement mutualiste les clivages qui existent dans le mou­vement syndical. On aurait pu penser que les partis de gauche gouvernant ensemble, la réunification du mouvement mutualiste aurait été accélérée. C’est le contraire qui se produit.

La politique ne perd pas ses droits bien que, en France, ce qui caractérise le mouvement mutualiste, c’est son indépendance organique vis-à-vis des partis politiques et des confédérations syndicales. A l’étranger, notamment en Belgique et dans les pays de tradition social-démocrate, les mutuelles (qui n’ont d’ailleurs pas le même caractère que les nôtres) sont directement dirigées par les syndicats. Ainsi, en Belgique, il existe une mutualité « chrétienne » et une mutualité « socialiste ». Dans ces pays, les mutuelles jouent souvent le rôle de la Sécurité sociale.

Fonctionnement des sociétés mutualistes

Dans notre pays, tous les citoyens peuvent créer une société mutua­liste. Il suffit qu’ils en rédigent les statuts, qui doivent conserver certaines dispositions prévues par le Code de la mutualité, qu’ils les soumettent au préfet, qui ne peut les refuser s’ils sont conformes aux dispositions fondamentales qui garantissent le fonctionnement démocratique de la société et les sociétaires contre tout mauvais emploi des fonds.

Ainsi, il est prévu que les sociétaires doivent se réunir en assemblée générale au moins une fois l’an. Le lieu, la date, l’ordre du jour doivent être communiqués aux sociétaires en temps voulu. Ce sont les sociétaires qui fixent le montant des cotisations, qui déterminent les prestations qu’ils désirent se voir attribuer. Ils désignent à bulletin secret les administrateurs, en général pour trois ans, le maximum étant six ans ; le mandat est renouvelable sans limitation. En assemblée générale, les adhérents discutent le rapport d’activité ; eux seuls, sont habilités à modifier les statuts, à prononcer la dissolution de la société ou la fusion avec une autre.

Les administrateurs élus forment le conseil d’administration. Celui-ci nomme en son sein le bureau, qui se compose d’un président, d’un ou de plusieurs présidents, d’ un secrétaire general, d’un trésorier général,
de leurs adjoints, éventuellement de conseillers techniques. Le bureau est ordinairement renouvelable tous les ans. Le conseil d’administration est habituellement renouvelable par tiers tous les ans.

Toute les fonctions d’administrateurs sont bénévoles, sauf rares dispenses dans les grandes sociétés.

Les sociétés mutualistes peuvent se regrouper en unions départe­mentales, qui s’affilient elles-mêmes à la fédération nationale. Seules les sociétés mutualistes nationales peuvent adhérer directement à la fédé­ration nationale de leur choix (F.N.M.F. ou F.N.M.T.) ou aux deux à la fois, comme les unions départementales. Dans ce cas, les sections dépar­tementales des sociétés nationales doivent obligatoirement adhérer aux unions départementales. Actuellement, il peut exister dans un même dépar­tement une union départementale membre de la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs et une union membre de la Fédération nationale de la mutualité française.

Une grande partie des sociétés membres de la F.N.M.T. ont la double appurtenance et adhèrent donc aussi à la F.N.M.F. Actuellement, on assiste également à un mouvement inverse : des sociétés membres de la Mutualité française viennent adhérer à la Mutualité des travailleurs.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, certaines sociétés mutua­listes n’adhèrent à aucune fédération.
Le mouvement mutualiste se compose d’environ 8 000 sociétés mutua­listes de base, qui peuvent être :

 des sociétés d’entreprise ;
 des sociétés interentreprises ;
 des sociétés professionnelles nationales, régionales, départementales, interdépartementales ;
 des sociétés de fonctionnaires ;
 des sociétés d’étudiants ;
 des sociétés familiales territoriales ;
 des sociétés de commerçants, d’artisans, de travailleurs indépendants, de membres de professions libérales ;
 des sociétés de militaires ; de policiers ;
 des sociétés de religieux ;
 des sociétés de cultivateurs ;
 des sociétés de marins, etc.

On voit que le champ de recrutement est vaste ; cela démontre bien que la mutualité est présente dans toutes les activités de la société fran­çaise.

Ces sociétés mutualistes vont de la petite entreprise de quelques dizaines d’adhérents aux mutuelles géantes de fonctionnaires de l’Educa­tion nationale qui comptent des centaines de milliers d’adhérents. Pour chacune, cependant, le fonctionnement légal est le même.

Les unions départementales, les fédérations nationales tiennent, comme les sociétés de base, une ou plusieurs assemblées générales chaque année, ainsi que des congrès selon une fréquence variable.

Dans les départements, ont été créés des Comités de coordination qui se composent de délégués de l’union mutualiste départementale et des représentants des pouvoirs publics (préfecture). Sur le plan national existe le Conseil supérieur de la mutualité, composé de représentant des fédé­rations mutualistes, des ministères, de la Sécurité sociale ; il doit être obligatoirement consulté sur tous les projets de textes concernant les sociétés mutualistes.

Rôle des sociétés mutualistes

Le rôle principal des sociétés mutualistes que tout un chacun connaît, c’est celui d’assurer des prestations complémentaires à celles de la Sécurité sociale. Le montant de ces prestations varie, il dépend de ce que les adhérents de chaque société ont décidé de faire. Ensuite, les mutuelles peuvent offrir d’autres prestations : participation aux frais de chambre particulière en cas d’hospitalisation, prime à la naissance d’un enfant, pour mariage, indemnités pour frais d’obsèques, capital-décès, aides spéciales, etc. Là aussi, la diversité est grande.

Des sociétés mutualistes importantes, mais surtout des unions mutua­listes départementales, ont créé des œuvres sociales : centres de santé, centres médico-pédagogiques, cabinets dentaires, centres d’optique et d’acoustique, maisons de retraite, centres de vacances, etc. Voici les réalisations mutualistes existant actuellement en France :

  • 60 pharmacies mutualistes ;
  • 125 centres d’optique et d’acoustique ;
  • 152 cabinets dentaires ;
  • 69 centres médicaux ;
  • 25 centres de soins par auxiliaires médicaux ;
  • 4 services d’examens préventifs ;
  • 25 cliniques ;
  • 13 hôpitaux de jour ;
  • 2 services d’hospitalisation à domicile ;
  • 6 établissements de lutte antituberculeuse ;
  • 13 maisons de repos et de convalescence ;
  • 30 établissements pour handicapés ;
  • 59 établissements pour personnes âgées ;
  • 36 services d’aide ménagère ;
  • 3 centres d’hémodialyse ;
  • 1 centre de transfusion sanguine ;
  • 7 services d’ambulance ;
  • 127 œuvres de vacances et de loisirs ;
  • 2 orphelinats.

Il est utile de rappeler que toutes ces réalisations sont à but non lucratif et gérées par des administrateurs bénévoles.

L’avantage de ces centres pour les mutualistes, c’est un accès facile aux soins sans avoir d’avance d’argent à faire ou en n’apportant qu’une contribution minime. Même les assurés sociaux non mutualistes peuvent bénéficier des réalisations de la mutualité (sauf des pharmacies mutua­listes). Le consultant trouve sur place la plupart des disciplines médicales, la radiologie, le laboratoire d’analyses médicales, souvent une autre façon d’exercer la médecine.

Le réseau des réalisations sanitaires mutualistes se veut un secteur témoin pour assumer un rôle de régulateur dans le système de distribution de soins. Ainsi, la mutualité a lutté contre les excès de la médecine libérale ; elle a vigoureusement soutenu l’instauration d’un système conventionnel réglementant les tarifs médicaux. Ses pharmacies mutua­listes ont permis la mise en place généralisée du système de tiers payant ;
ainsi les assurés sociaux n’auront plus qu’à payer, dans les pharmacies, que la partie qui reste à leur charge. La mutualisé mène campagne également contre la cherté du médicament ; elle a fait des propositions au ministère de la Santé qui permettraient à la Sécurité sociale d’économiser des sommes importantes et auraient été plus efficaces que les mesures prises fin 1982 par le ministre de la Solidarité nationale ; elles auraient empêché une aggravation des charges des travailleurs.

Les œuvres sociales, par leur caractère et en raison des contraintes qui pèsent sur elles et que ne supporte pas le secteur libéral, représentent une lourde charge pour les mutualistes. La droite, lorsqu’elle était au pouvoir, n’avait pas cacher son intention de laisser disparaître les œuvres sociales, au profit du secteur libéral ; la gauche, elle, a la position opposée, mais son action est timorée, hésitante ; la suppression des abattements de tarifs que subissaient injustement les centres de santé à but non lucratif a été un bel exemple de bonne intention gâchée par une confusion mémorable dans l’application des décisions ministérielles !

La mutualité fait sienne la déclaration adoptée par les délégués de l’Organisation mondiale de la santé à Alma-Alta en 1978 :

La santé est un état de bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité. Elle est un droit fondamental de l’être humain. L’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socio-économiques autres que celui de la santé.

La mutualité ne veut pas se laisser confiner dans le rôle que certains voudraient lui attribuer : celui d’organisme complémentaire de la Sécurité sociale, ce qui l’obligerait à prendre le relais de celle-ci lorsqu’un gouver­nement déciderait de diminuer ses prestations. Elle veut agir, et elle agit dans le pays sur le plan social avec ses partenaires : associations à buts non lucratifs, syndicats...

Louis Calisti écrit dans son livre la Mutualité en mouvement  :

Bien qu’organisé et structuré, le mouvement mutualiste est très souple, très décentralisé. Son fonctionnement est basé sur la souveraineté de l’assemblée générale de chacun des groupements. Principe démocratique et autogestionnaire qui permet à chaque mutualiste de participer à l’élaboration des décisions et à leur mise en application. Il permet aussi la combinaison harmonieuse de la décentralisation locale et de la coordination nationale, de l’autogestion de chaque groupement et l’efficacité de l’action collective au niveau supérieur.

Pour toutes ces raisons, la mutualité correspond aux aspirations et aux besoins de notre temps. Ses traditions, sa vocation, ses missions, son organisation et ses structures lui confèrent un rôle spécifique plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui plus encore que par le passé, elle peut apporter une contribution éminente à réduire les inégalités sociales en œuvrant à l’épanouissement moral, physique et intellectuel de ses adhérents.

La société mutualiste devient ainsi une école de démocratie, une école gestion et une expérience d’autogestion. Son intervention pour la solution des problèmes de santé — de la complémentarité à la Sécurité sociale à l’organisation de la prévention — permet aux travailleurs d’intervenir eux-mêmes sans déléguer leurs pouvoirs.