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III. – La Mutualité - Origines de la mutualité

vendredi 1er décembre 2023, par André Devriendt (CC by-nc-sa)

L’union fait la force. (Proverbe )

Lorsque l’on étudie une institution, on est naturellement conduit à rechercher ses origines, ses racines.

En ce qui concerne la mutualité, c’est-à-dire la pratique de l’entraide organisée, il est probable qu’elle est fort ancienne et qu’elle existe depuis que les travailleurs se sont organisés dans leurs métiers, donc lorsque la société avait déjà atteint un certain degré d’organisation sociale. Elle n’était donc pas inconnue des Chinois, des Égyptiens, des Grecs, des Romains, ce qui n’est pas surprenant puisque c’était certainement la continuité de pratiques de solidarité bien plus anciennes encore.

Jean Bennet, dans son important ouvrage la Mutualité française des origines à la Révolution de 1789, cite le philosophe grec Théophraste qui signalait vers 228 av. J.-C. qu’il existait chez les Athéniens et dans les autres États de la Grèce des associations ayant une bourse commune que leurs meneurs alimentaient par le paiement d’une cotisation mensuelle. Le produit de ces cotisations était destiné à donner des secours à ceux d’entre eux qui avaient été atteints par une adversité quelconque.

Chez les Romains, il existait des collèges d’artisans, d’esclaves et d’affranchis. Les catacombes, ces cimetières souterrains, appartenaient à des sociétés à forme « mutuelle » qui pouvaient être chrétiennes, juives, païennes ; elles assuraient à leurs membres des obsèques décentes, pré­occupation que l’on retrouvera au cours des siècles suivants, mais aussi des secours en cas de maladie.

En France, la pratique organisée de l’entraide se retrouve, vivace, au Moyen Âge. En effet, dès le Xᵉ siècle, lorsque se forment les corporations désignées sous les noms de ghildes (ou guildes), hanses, conjurations, etc., des organismes d’entraide se créent  ; œ sont les confréries, les charités. Les confréries sont à vocation professionnelle ; dans toutes les villes, les métiers ont leurs confréries. Leur organisation était à peu près la même partout. Leurs membres, qui s’appelaient confrères, frères, sœurs, avaient les mêmes droits et les mêmes devoirs. L’action sociale de ces sociétés consistait à verser des prestations en espèces, des rentes vieillesse ou d’invalidité, un capital décès, des rentes pour l’éducation des orphelins, à fonder des œuvres sociales (par exemple, la mise à la disposition des adhérents d’une maison de soins)... Etienne Boileau, prévôt de Paris sous Saint-Louis, a décrit dans son Livre des métiers paru en 1268 le fonction­nement de nombreuses confréries, les prestations qu’elles versaient, les cotisations qu’elles percevaient.

A l’origine, les confréries réunissaient à la fois les maîtres (employeurs), les compagnons et les apprentis. Au cours du XIVe siècle, cependant, les intérêts des uns et des autres n’étant évidemment pas les mêmes, les ouvriers créèrent leurs propres groupements : les sociétés compagnonniques, ou « devoirs », qui leur étaient exclusivement réservées. Précisons que la date de création des sociétés compagnonniques est sujette à controverse, les sociétés compagnonniques, notamment celles des tailleurs de pierre, faisant remonter leur origine à la construction du temple du roi Salomon (970-931 av. J.-C.) à Jérusalem.

Dans le compagnonnage, les ouvriers se réunissaient par métier et se considéraient comme membres d’une seule famille (à condition d’être du même rite, naturellement !). Les sociétés compagnonniques, outre le soin qu’elles apportaient à la formation professionnelle et morale des compa­gnons (les règles étaient très strictes), à la défense de leurs intérêts, ont fait de l’assistance mutuelle une règle fondamentale de leur organisation. En cas de chômage, de maladie, le compagnon recevait aide et assistance de son devoir.

Les sociétés compagnonniques, jusqu’à la création des syndicats, se sont souvent heurtées violemment aux patrons et au pouvoir politique (royal, impérial ou républicain) ; elles furent souvent obligées de mener leurs activités dans la clandestinité. Ce qui a fait écrire à George Sand dans son livre le Compagnon du tour de France : On peut dire qu’il ne se commet pas, dans les sociétés humaines, une seule injustice, une seule violation du principe de l’égalité, qu’à l’instant même, il n’y ait un germe de société secrète implanté aussi dans le monde pour réparer cette injustice et punir cette violation de l’égalité. [...] Tant que la société officielle ne sera pas construite en vue de l’égalité humaine, la société officielle sera caste ; et tant que la société officielle sera caste, la société officielle engendrera des sociétés secrètes.

La mutualité est l’héritière directe de ces sociétés d’entraide, celles de maîtres et de compagnons, qui furent créées au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime. Certaines existent encore de nos jours, telle la Société de Sainte-Anne fondée en 1694 sous le nom de Confrérie et société hospitalière des compagnons menuisiers du Temple.