Simon (Senya) Isaakovitch Flechine, qui fut depuis le milieu des années 20 et dans les années 30 en quelque sorte le photographe officiel des anarchistes résidant ou passant par la France, est né le 19 décembre 1894 à Kiev. En 1910, à l’âge de 16 ans, il quitte la Russie et émigre aux États-Unis. Il y devient anarchiste vers 1913 et, par la suite, travaille dans les bureaux du journal Mother Earth d’Emma Goldman jusqu’en 1917, date à laquelle il retourne en Russie.
D’abord actif dans le groupe qui édite Golos Trouda à Petrograd, il adhère finalement à la confédération Nabat en Ukraine et, entre 1918 et 1920, milite clandestinement tout en combattant à Kharkov et à Kiev. Il est arrêté une première fois en novembre 1918 par la Tcheka, avec les autres délégués de la deuxième conférence des anarcho-syndicalistes. Le 10 janvier 1920, il se trouve au club anarchiste de Kharkov quand celui-ci est fermé par des policiers appartenant à !’Armée rouge et il est arrêté avec plus de quarante anarchistes. C’est probablement à cette occasion que, transféré à Moscou, il rencontre en prison Voline et Mark Mratchny. Relâché quelques semaines plus tard et de retour en Ukraine, il est de nouveau arrêté avec une trentaine de camarades au début de juin 1920 quand la librairie du Nabat et du Volnoye Bratstvo est fermée par ordre du Département spécial de l’armée. Ils seront libérés vers la fin du même mois, juste avant le deuxième congrès de l’Internationale communiste, et la librairie rouvrira ses portes, avant d’être définitivement supprimée en novembre 1920.
Fin 1921, il travaille à Petrograd au Musée de la Révolution lorsqu’il rencontre Mollie Steimer qui venait d’arriver des États-Unis. Ils tombent amoureux l’un de l’autre presque immédiatement et dès lors vivront ensemble. Lorsque la GPU (Gépéou) vient, dans la nuit du 1er novembre 1922, arrêter Mollie Steimer, Flechine est également emmené. Ils seront tous deux condamnés à deux ans d’exil à Obdorsk, en Sibérie, avant d’être relâchés après une grève de la faim et l’intervention des délégués du deuxième congrès de l’Internationale syndicale rouge (action de May Picqueray). Leur liberté —relative, bien entendu, dans les conditions de la société postrévolutionnaire— ne dure pas longtemps : Flechine est de nouveau arrêté avec Mollie Steimer le 9 juillet 1923 à Petrograd, puis finalement expulsé de Russie —seulement après une nouvelle grève de la faim. Ils partirent de Petrograd pour Stettin en Allemagne le 27 septembre 1923. De là, ils se rendirent à Berlin où Flechine participa à l’activité du Comité de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie (organisé surtout par Alexandre Berkman).
En 1924 il se rend avec Mollie Steimer à Paris, où ils vivent d’abord avec Voline et sa famille, avant de prendre une chambre avec Jacques Doubinsky. Ils seront en 1927 parmi les fondateurs, avec Berkman, Doubinsky et Voline, du Groupe d’entraide établi pour aider les anarchistes exilés de Russie, d’Italie, de Bulgarie et d’Espagne, leur fournir argent et papiers. Flechine s’était entre-temps établi avec un succès considérable comme photographe et, en 1929, il fut invité à travailler dans le studio de Sasha Stone à Berlin. Ils y vécurent jusqu’en 1933, puis rentrèrent à Paris.
En 1940, après l’invasion allemande, tandis que Mollie est arrêtée en mai, Flechine réussit à s’échapper et se rend à Marseille où il l’attend. Ils y rencontrent Voline pour la dernière fois vers la fin de 1941, avant de partir pour le Mexique.
Flechine prend, comme Mollie, la nationalité mexicaine en 1946, après avoir vécu pendant vingt ans l’existence d’expatriés possédant un passeport international dit « de Nansen ». Ils tinrent un studio de photographe à Mexico, appelé SEMO (SEnya et Mollie) jusqu’en 1963, date à laquelle ils se retirèrent à Cuernavaca où il vécurent en recevant au cours des années une suite presque ininterrompue de visiteurs, surtout anarchistes, pour partager leurs souvenirs. Après la mort de Mollie, Senya Flechine, malade et incapable de vivre seul, fut finalement hospitalisé à Mexico où il mourut à peine onze mois après sa compagne, le 19 juin 1981.
Sources : Alexander Berkman, The Bolshevik Myth (Diary 1920-1922), New York, 1925 (traduction française : Le Mythe bolchevik. Journal, 1920-1922, éd. La Digitale, 1987). Paul Avrich, Anarchist Portraits, Princeton University Press, Princeton (États-Unis), 1988. Paul Avrich, The Russian Anarchists, W. W. Norton, New York, 1978 (d’abord Princeton, Princeton Universiy Press, 1967 ; traduction française : Les Anarchistes russes, Paris, Maspero). Abe Bluestein, Fighters for Anarchism. Mollie Steimer and Senia Fleshin, Libertarian Publications Group, 1983 (distributé par Refrac Publications, Londres, Grande-Bretagne ; Powderhorn Station, Minneapolis, Minnesota, États-Unis). |