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Karl Marx ou la perversion du socialisme - 20. Le piège de la propriété

vendredi 19 avril 2024, par Alexandre Marc (CC by-nc-sa)

Pour utiliser un terme employé par Marx en parlant de Proudhon — qu’il se vantait d’avoir « infecté » d’hégélianisme, — on peut dire que l’irrémédiable poison de l’idéalisme absolu n’est pas le seul à infecter l’organisme marxien. Derrière Hegel, Rubel nous le rappelait, se tient Rousseau. Il est vrai que, dans des lettres peu citées, adressées à son compère Engels, Marx paraît curieusement approuver Proudhon, après publication de l’Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, notamment parce que, précise-t-il, ce livre (...) contient des attaques très bien écrites contre Rousseau, Robespierre, la Montagne, etc. [1]. Il est vrai aussi que, dans certains textes, Marx paraît vouloir opposer à la propriété « privée », de caractère abstrait, exprimé, mesuré par l’argent, une propriété humaine, personnelle ou encore une propriété véritablement humaine, une propriété vraiment humaine et sociale  [2]. Il est vrai encore que dans le Livre III (cinquième section) du Capital, il est question des deux étapes de la « négation » de la propriété : la première conduisant à l’expropriation du grand nombre au profit du plus petit nombre ; la seconde aboutissant au rétablissement, non de la propriété privée du travailleur, mais de sa propriété individuelle, phrase dont les termes eussent mérité d’être précisés. D’autant plus que la suite du texte paraît vouloir fonder cette propriété individuelle sur les acquêts de l’ère capita­liste — ce qui, après tout, ne serait pas si mal — mais aussi, et peut-être surtout, — ce qui risque d’être beaucoup moins bien — sur la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol... Et l’inévitable Engels, toujours moins habile prestidigitateur que son génial ami, de préciser lourdement dans l’Anti-Dühring :

L’État des capitalistes (...) fait passer (les) forces productives dans sa propriété, (...) il devient réellement capitaliste collectif... Le système capitaliste est (...) porté à son paroxysme.

S’agit-il donc de le dénoncer, de le stigmatiser, de le combattre ? Vous n’y êtes pas. Vous manquez d’esprit « dialectique ». Écoutez bien :

... Parvenu à ce comble, le système capitaliste se transforme. La propriété étatique sur les forces productives n’est pas la solution (...), mais contient en elle le moyen de résoudre le problème... En accélé­rant la transformation des grands moyens de production socialisés (?) en propriété d’État, l’honorable capitaliste collectif trace la voie qui conduit tout droit à la solution recherchée : le prolétariat s’empare du pouvoir... Et que fait-il alors ? Je vous le donne en mille : il n’a de cesse que de se substituer au capitaliste collectif — mais pour quoi faire ? Eh bien, si vous n’êtes pas un bon dialecticien (hégélien), vous risquez fort d’être surpris par la réponse : pour transformer les moyens de production en propriété d’État. Vous vous hasarderez peut-être à faire observer, timidement, que cette « transformation »-là semble avoir été déjà accomplie précédemment. Une fois de plus, vous n’y êtes pas du tout. Pour dire les choses nettement : la bonne bourgeoisie qui compose, vraisemblablement, le fameux capi­taliste collectif, se révèle une classe superflue, ses fonctions sociales étant reprises par des employés salariés [3]. Employés par qui, je vous prie ? Cette fois-ci, la réponse devait être formulée plus tard, par Vladimir Ilitch : par une seule et unique Entreprise, exclusive de toutes autres, par l’Entreprise qui coïncide avec l’État. Du reste, il eût pu se contenter de reprendre, tout simplement, le célèbre passage du Manifeste communiste : le prolétariat se servira de sa suprématie politique (?) pour (...) centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’État... Lénine connaissait sa bible ; ce sont les prétendus marxistes indépendants, libéraux, libertaires, ou que sais-je encore ? qui font mine de l’oublier.


[1Cf. Notamment p. 125 et suiv., Idée générale de la révolution, Editions du groupe Fresnes-Antony F.A.

[2Cf. notamment dans Œuvres, t. II, pp. 17 et suiv., 69, etc.

[3Ibid., p. 1793 et suiv. ; les soulignements sont de moi.