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Karl Marx ou la perversion du socialisme - 6. Emprunts et pillages

vendredi 5 avril 2024, par Alexandre Marc (CC by-nc-sa)

La notion de classe, dans le marxisme, ne saurait toutefois être rattachée au seul concept d’aliénation : tout compte fait, elle semble être liée bien davantage, malgré certaines apparences con­traires, à une autre notion marxiste, celle de plus-value. Le prolétariat est dès lors défini par deux facteurs dont on peut se demander s’ils ne sont pas, non seulement hétérogènes, mais aussi, de quelque manière, divergents et, dans l’acception propre, incomparables  : le prolétaire marxiste est, et restera, écartelé entre l’image de l’ouvrier manuel des manufactures britanniques du début du siècle passé, d’une part, et d’autre part, la théorie de l’expropriation, par le possesseur des moyens de production, de la « plus-value » produite par le travailleur. Entre cette théorie, l’une des composantes les plus contestables, les plus fragiles du marxisme, et cette image, dont le contenu géo-­historique a servi de tremplin à une extrapolation démesurée, devait se nouer le drame de l’histoire universelle.

Le thème de la plus-value se greffe sur la conception de la valeur, empruntée à une source dont les marxistes n’ont pas l’habitude d’exalter les vertus : ... Le travail est à considérer comme origine de toute valeur et sa quantité relative, comme la ratio qui règle, d’une manière quasi exclusive, la valeur relative des marchandises. Con­ception formulée par David Ricardo qui, à son tour, découle d’un ouvrage fameux, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié par Adam Smith en 1776, et qui lui a valu de passer pour le père de l’économie politique, ouvrage dans lequel figurait déjà l’affirmation que le travail est la seule mesure vraie de la valeur d’échange de tous les biens.

Une fois de plus, l’auteur du Capital est pris en flagrant délit de plagiat. Ce fait n’est peut-être pas significatif en lui-même, car tout le monde, peu ou prou, plagie, imite, emprunte ou se laisse influencer. Toutefois, dans le cas de Marx, deux remarques s’imposent :

— D’une part, lorsqu’il s’agit d’« emprunts » qu’il daigne parfois reconnaître, ils sont généralement « contractés » auprès des écono­mistes libéraux ou des philosophes idéalistes, deux sources qui, souvent, n’en forment qu’une et dont l’influence décisive sur la pensée de Karl Marx ne paraît point avoir été mise en pleine lumière ni appréciée à sa juste valeur.

— D’autre part, lorsqu’il s’évertue à piller ceux qu’il considère comme proches de lui, et donc comme des concurrents ou des rivaux capables de lui porter ombrage, il ne se contente pas de les plagier à longueur de chapitres (parfois, comme pour Robert Owen qu’il apprécie pourtant, sans aucune référence), mais encore n’hésite point, après s’en être servi, à les attaquer avec une mauvaise foi frappante, à déformer leur pensée, à les citer d’une manière tendancieuse et à leur prêter des intentions qu’ils n’ont jamais eues.

Ce disant, je pense surtout à Proudhon qui avait raison d’observer, à propos de Misère de la philosophie : Le véritable sens de l’ouvrage de Marx, c’est qu’il a regret que partout j’aie pensé comme lui, et que je l’aie dit avant lui... quel homme  [1] ! Et de préciser, dans une lettre : J’ai reçu le libelle d’un (sic) docteur Marx (...), c’est un tissu de grossièretés, de calomnies, de falsifications, de pla­giats  [2] .

Le « cher Monsieur Charles Marx » ne sort pas grandi de ce genre, hautement contestable, d’exercices de prestidigitation intellec­tuelle. Quant au premier type d’« emprunts », encore plus signi­ficatif peut-être ; autrement dit, quant au ressourcement, idéaliste et libéral, de la pensée marxienne, il suffit amplement à justifier le verdict impitoyable, passé trop souvent inaperçu, fulminé par Michel Foucault :

Au niveau du savoir occidental, le marxisme n’a introduit aucune coupure réelle ; il s’est logé sans difficulté (...) à l’intérieur d’une dis­position épistémologique qui l’a accueilli avec faveur (puisque c’est elle justement qui faisait place)... Le marxisme est dans la pensée du XIXe siècle comme un poisson dans l’eau : c’est dire que partout ailleurs il cesse de respirer  [3].


[1Note marginale de Proudhon. Cf. Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, de P.-J. Proudhon/Misère de la philosophie, de K. Marx, annotée par Proudhon, Editions du groupe Fresnes-Antony F.A., tome III, p. 260.

[2P.-J. Proudhon, Correspondance, t. II, p. 267, « Lettre à Guillaumin », 19 sept. 1847.

[3Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 274.