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Basse-Californie (Mexique) - Tentatives insurrectionnelles

mardi 5 juillet 2022, par Octavia Alberola (CC by-nc-sa)

Que le peuple prenne possession des usines, des mines, etc. L’insurrection doit allumer la mèche de la révolution et il faut que celle-ci conduise à l’émancipation sociale des travailleurs. Cinq mois durant, l’espoir va demeurer... avant d’être vaincu par la coalition des intérêts politiciens.

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Le 1er juillet 1906, le programme du Parti libéral mexicain est publié. Celui-ci, de caractère démocratique, est utilisé pour regrouper les libéraux et orienter l’insurrection qui devient la principale préoccupation du PLM. Les groupes s’arment eux-mêmes ou avec la collaboration de la Junte, qui s’occupe de passer les armes en contrebande. Selon le témoignage d’Enrique Flores Magón, cinq zones insurrectionnelles s’organisent ainsi. Dans ses instructions pour le soulèvement, la Junte demande que les libéraux qui sont disposés à prendre les armes doivent s’engager rapidement et agir... sans attendre d’autres avis ou signal de la Junte. Elle ordonne aussi que les groupes commencent à implanter le programme pendant la révolution, sans attendre que l’on légifère sur le sujet, qu’ils procèdent immédiatement à la suppression des tiendas de raya, qu’ils imposent la journée de huit heures et qu’ils établissent le paiement d’un salaire minimum d’un peso. Plus tard, le PLM ne changera pas d’attitude, exigeant systématiquement la réalisation des transformations alors même que la révolution est en cours. La Junte espère qu’en attaquant quelques points stratégiques, l’insurrection se généralisera.

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La première attaque doit être dirigée contre la douane de Agua Prieta (Sonora) pour ouvrir une brèche qui facilite les actions dans le sud. Mais les plans du groupe de Douglas en Arizona sont découverts et ses membres appréhendés le 5 septembre 1906. Le 26 du même mois, un autre groupe attaque Ciudad Jiménez (Coahuila.), mais les troupes fédérales dispersent les rebelles. Le 30, à Acayucàn (Veracruz), un soulèvement regroupe plus de mille hommes dirigés par Hilario C. Salas. Ils sont mis en déroute, mais la plupart d’entre eux réussissent à se réfugier dans la sierra. Dans des villages alentour, d’autres soulèvements ont lieu à cette époque (Coxcapa, Chinameca, Ixhuatlan, etc.). Malheureusement le soulèvement le plus important, qui devait avoir lieu à Ciudad Juarez et qui était le signal attendu par de nombreux groupes révolutionnaires dans tout le pays, n’eut pas lieu. Le gouverneur de Chihuahua, Enrique C. Creel, tendit un piège aux révolutionnaires, et le 19 octobre il réussit à capturer leurs principaux dirigeants : Juan Sarabia, vice-président du PLM, César Canales et J. de la Torre. A El Paso, les agents américains capturèrent Antonio I. Villareal, Lauro Aguirre et le journaliste J. Cano. Ces incarcérations désorganisèrent sérieusement le mouvement insurrectionnel, obligeant le PLM à entrer dans une période de repli avant de tenter de nouvelles insurrections.

« Allumer la mèche »

Au cours des mois suivants, les dirigeants du PLM qui ont réussi à échapper à la répression s’efforcent de restructurer la presse du parti Ricardo Flores Magón a réussi à fuir à Sacramento (Californie), Antonio I. Villareal s’est échappé après avoir été arrêté et d’autres, comme Librado Rivera, Lazaro Gutierrez de Lara et Modesto Díaz se sont réfugiés à Los Angeles (Californie).

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Le 1er juin 1907, le journal Revolucion paraît à Los Angeles. Les responsables du journal reçoivent immédiatement les collaborations de Práxedis Guerrero et de Ricardo Flores Magón. Ce dernier abandonne sa cachette de Sacramento pour se mettre à la tête de la Junte, à Los Angeles, fin juin. Ricardo Flores Magón et Villareal, en tant que dirigeants de la Junte, nomment Práxedis G. Guerrero délégué spécial afin qu’il incite les travailleurs à un prochain soulèvement au Mexique contre la dictature de Porfirio Díaz. Le manque d’argent et la répression, auxquels se heurtent les libéraux au Mexique et aux États-Unis, représentent un grave obstacle pour la préparation du mouvement armé. Cependant, malgré les arrestations, l’activité d’Enrique Flores Magón et de Práxedis G. Guerrero permet de maintenir l’insurrection. Comme lors de la précédente insurrection de 1906, en 1908 le pays reste divisé en zones dans lesquelles sont répartis soixante-quatre groupes armés.

Les 7 et 8 juin 1908, Ricardo Flores Magón fait le point sur l’état de préparation bien incomplet des groupes. Cependant, Ricardo ne souhaite pas l’ajournement de l’insurrection car il estime qu’elle doit servir d’exemple pour amorcer la rébellion des contestataires et, avec elle, la révolution. L’important étant que la mèche soit allumée. Dans une lettre adressée à Práxedis G. Guerrero et Enrique Flores Magón, Ricardo insiste sur la nécessité d’orienter de façon adéquate le comportement des révolutionnaires afin d’influer de manière décisive sur le processus. Il dira avec prémonition : Après son triomphe, aucune révolution ne réussit à faire prévaloir ni à mettre en pratique les idéaux qui l’ont créée car on croit que le nouveau gouvernement fera ce que le peuple devait faire pendant la révolution.

Inquiet de la dérive bourgeoise de la révolution, Ricardo préconise de conseiller aux travailleurs de s’armer eux-mêmes pour défendre ce que la révolution leur a donné. Pour lui, l’important est d’œuvrer en tant qu’anarchistes, même si l’on ne se fait pas appeler ainsi : donner les terres au peuple au cours de la révolution et aussi que le peuple prenne possession des usines, des mines, etc. Pour cela il insiste pour que la Junte approuve les faits accomplis, car ce qui est acquis par les ouvriers eux-mêmes sera plus solide que ce qui se fera par décrets de la Junte. Selon Ricardo, les militants libertaires doivent jouer un rôle essentiel dans la révolution : aussi bien politique que militaire, et pour cela il est partisan de faire venir au Mexique de nombreux anarchistes européens.

C’est avec cette orientation que les magonistes se lancent de nouveau dans l’action insurrectionnelle mais, comme en 1906, le nombre réduit de soulèvements révolutionnaires et la répression militaire de la dictature obligent les révolutionnaires à évacuer les villages qu’ils avaient réussi à libérer et à se cacher. La répression s’acharne sur le PLM après ces révoltes, ce qui oblige de nouveau à entrer dans une étape de réorganisation. Il faut surtout maintenir les relations entre les groupes armés d’Arizona et du Texas (aux États-Unis) et les groupes mexicains. Cette tâche est assumée par Práxedis Guerrero, qui est l’un des principaux animateurs du PLM. Guerrero publie, de plus, Punto Rojo (Point rouge) à El Paso (Texas) en août 1909, aidé d’Enrique Flores Magón. Punto Rojo circule dans les centres ouvriers de Chihuahua, Sonora, Coahuila, Puebla et d’autres États du Mexique, ainsi que dans le sud des États-Unis. Il est tiré à 10 000 exemplaires.

L’activité de Práxedis Guerrero et l’action magoniste en général impulsent vigoureusement la participation des travailleurs mexicains au processus révolutionnaire durant ces années. En conséquence et pour éviter que les fractions politiques, surgies dans le nouveau contexte mexicain, ne capitalisent l’agitation croissante contre la dictature, la propagande du PLM s’efforce de fortifier le caractère prolétaire du mouvement et de distinguer les objectifs ouvriers et paysans des intérêts des fractions politiques opportunistes. C’est dans cet esprit que le PLM lance de nombreuses actions insurrectionnelles fin 1910. La rébellion fomentée depuis les États-Unis par Francisco I. Madero, en novembre, n’obtient que de maigres résultats dans un premier temps. Par contre le PLM réussit à impulser un mouvement insurrectionnel à Chihuahua à travers l’activité de Práxedis Guerrero qui attaque Casas Grandes et prend le village de Janos, où il perd la vie le 30 décembre 1910. Mais d’autres dirigeants guérilleros assurent la relève et l’activité militaire du PLM continue avec intensité à Chihuahua.

En janvier 1911, avec l’aide des IWW, l’insurrection est lancée en Basse-Californie. Elle devient l’action insurrectionnelle la plus connue du magonisme pendant cette période. La Basse-Californie est un territoire stratégique. La conquérir représente plus qu’une victoire militaire. Enrique Flores Magón projette d’y concentrer équipement militaire et provisions pour faciliter la lutte révolutionnaire dans le reste du pays. En commençant l’insurrection en janvier 1911, les magonistes se proposent d’amplifier le mouvement anti-dictatorial et de faire coïncider l’offensive du PLM avec celle que prépare Madero. C’est ainsi que le 29 janvier 1911, un groupe de dix-sept révolutionnaires magonistes attaquent et occupent Mexicali, ville frontalière qui compte quelques mille habitants. Le journaliste nord-américain John Kenneth Turner, qui appuie et supervise le mouvement du côté américain de la frontière, commence une campagne de solidarité avec la Révolution mexicaine, connue sous le nom Hands off Mexico ! (Otez vos mains du Mexique !), pour dénoncer les mouvements de troupes des États-Unis vers la frontière.

Magonistes avec la bannière, "Tierra y Libertad" à Tijuana, 1911.

Madero, le « contre-révolutionnaire »

L’armée de Porfirio Díaz répond au défi posé par la prise de Mexicali, mais même l’intervention du 9e bataillon fédéral (sous le commandemant du colonel Mayol) ne parvient pas à déloger les magonistes de Mexicali. Comme l’avaient prévu les magonistes, la lutte révolutionnaire se généralise dans le reste du pays. Francisco Villa au nord et Emiliano Zapata au sud tiennent en échec les troupes de Porfirio Díaz. C’est ainsi que le 13 février 1911, Madero décide d’entrer au Mexique pour prendre la tête de l’insurrection, rompre les relations avec le PLM et exiger que les forces magonistes se mettent sous ses ordres. En avril, le conflit s’aggrave et Madero accuse les magonistes qui se trouvent dans la région de Casas Grandes (Chihuahua) d’insubordination car ils utilisent la cocarde rouge du PLM et non celle tricolore. Madero mobilise Francisco Villa pour désarmer les magonistes, ce qui provoque la rupture définitive du PLM avec Madero.

Ce durcissement de l’attitude de Madero amène les dirigeants du Parti socialiste des États-Unis à abandonner le magonisme. Même Turner cesse ses activités en faveur du PLM et tente de convaincre quelques magonistes pour qu’ils soutiennent Madero. Le PLM subit alors une scission. Dans ce contexte, il doit faire front à une campagne qui qualifie son activité en Basse-Californie de flibusterie. Ce qualificatif est inventé par la presse des États-Unis menée par le Los Angeles Examiner depuis février 1911.

Malgré tout, à travers la prise de Tecate et Tiguana le 8 mai, les magonistes démontrent qu’ils maintiennent leurs positions en Basse-Californie, où ils obligent les entreprises de chemin de fer à augmenter le salaire minimum et à respecter la journée de huit heures. Les magonistes veulent consolider leurs positions pour procéder à l’expropriation des « riches » étrangers, point de départ d’une société égalitaire. Mais le développement du mouvement anti-réélectioniste de Madero et les attitudes ambiguës de quelques chefs magonistes finissent d’isoler le PLM, facilitant la fin tragique de cette aventure révolutionnaire en Basse-Californie et la disparition du mouvement dans le reste du pays.

Le facteur décisif de la chute du magonisme fut l’appui du gouvernement américain à Madero pour l’aider militairement et pour réprimer le PLM, car il savait que le mouvement anti-réélectioniste pourrait pacifier le pays et éviter que la « révolution sociale » ne continue. Les magonistes qui poursuivent la lutte subissent une violente répression. Le nouveau gouvernement concentre ses forces en Basse-Californie jusqu’au triomphe du madérisme. Les troupes affrontent des groupes révolutionnaires déjà affaiblis. A la mi-juin, les troupes fédérales cantonnées à Ensenadas partent vers Tijuana. L’étau se resserre encore. Le 22 juin, les magonistes sont mis en déroute et abandonnent Tijuana. Quelques-uns passent la frontière et sont arrêtés par les patrouilles de l’armée américaine. Ces événements provoquent alors l’effondrement de l’activité militaire du PLM et c’est ainsi que se termine l’aventure révolutionnaire du magonisme.

Trad. de l’espagnol : S. Brodard
Les intertitres sont de la rédaction (N.d.R.).