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Jules Vallès

jeudi 9 juin 2022, par Thierry Maricourt (CC by-nc-sa)

Jules Vallès est né le 11 juin 1832, au Puy-en-Velay. Professeur de grammaire, son père tentera toute sa vie de monter en grade et sa mère n’aura cesse d’oublier ses origines paysannes. Par cet antagonisme qu’elle subit, celui entre la ville et la campagne, mais aussi celui entre la petite bourgeoisie et les milieux populaires, l’enfance de Jules Vallès (ou plus exactement Vallez) influera grandement sur son œuvre future.

Très tôt, il s’intéresse aux bouleversements politiques et sociaux dont l’époque est friande. Lors des événements de février 1848, il donne de la voix dans ce lycée de Nantes où son père est professeur, provoquant son émoi. Gagnant Paris, il découvre une vie intellectuelle extrêmement riche et fréquente les milieux d’opposition à l’Empire. Pressé par ses parents qui observent d’un mauvais œil ses pérégrinations politiques, il revient pourtant à Nantes mais n’échoue pas moins dans ses études.

En décembre 1851, il est à nouveau dans la capitale, s’élevant contre le coup d’État qui vient de se produire. L’événement le marquera. Jules Vallès prend place dans les rangs de la gauche, mais, hostile à toute forme d’autoritarisme, se fait remarquer par ses positions plus franches, plus emportées que celles de l’opposition d’alors, avec laquelle il a finalement peu d’atomes crochus.

Son père décide de le faire interner dans un asile d’aliénés, assurant en substance qu’il faut être fou pour s’intéresser à la politique et critiquer le pouvoir en place. L’homme craint de voir sa carrière bloquée. Trois mois plus tard, les efforts d’Arthur Arnauld et d’Arthur Ranc, futurs communards, libèrent Jules Vallès.

A Paris, il lit Proudhon, qui le familiarise avec les idées antiautoritaires, et suit les cours de Michelet à la Sorbonne. Il aimerait vivre de sa plume, mais les choses sont plutôt difficiles pour un inconnu, aussi saisit-il toutes les opportunités. En 1855, le voici secrétaire du critique littéraire Gustave Planche. En 1887, il publie l’Argent, un court texte empreint de cynisme dans lequel il fait l’éloge des financiers. Vallès se range-t-il ? Bien au contraire, et la suite des événements va le prouver.

Ses articles dans la presse sont de plus en plus fréquents (le Présent, le Figaro, la Chronique parisienne, etc.). Il est embauché à la mairie de Vaugirard, au bureau de l’état civil. Cet emploi ne le satisfait pas mais, pour le moment, lui procure de quoi subsister. Les Réfractaires, un recueil d’articles parus dans le Figaro, sont publiés en 1865. La Rue, autre recueil d’articles parus dans l’Evénement, est en librairie l’année suivante.

La Rue : un titre que Vallès affectionnera. En 1867, il lance un hebdomadaire ainsi nommé, portant en sous-titre Paris pittoresque et populaire. Des rédacteurs prestigieux s’y retrouvent (Emile Zola, Léon Cladel, les frères Goncourt...) mais des numéros sont interdits, saisis, et la Rue cesse de paraître six mois après son lancement. Un article contre les brutalités policières, paru dans le Globe, vaut un mois de prison à Jules Vallès.

Caricature de Jules Vallès dessinée par André Gill.

En 1869, il fonde deux quotidiens le premier, le Peuple, n’aura que quatorze numéros, et le second, le Réfractaire, s’arrête à sa troisième livraison. En mai, cette même année, Jules Vallès se présente aux élections du corps législatif, dans la 8e circonscription (une partie de Paris et de sa banlieue). Se déclarant candidat du travail, et député de la misère, il est battu par Jules Simon. Plusieurs de ses romans paraissent dans la presse, sous forme de feuilletons : le Testament d’un blagueur, Un gentilhomme, Pierre Moras...

Le journaliste de la Commune

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Vallès récidive bientôt l’expérience d’un quotidien : quelque vingt-huit numéros de la Rue voient le jour en mars 1870. Mais la guerre éclate entre la France et la Prusse... Un Comité central républicain de défense nationale se met en place à Paris. Vallès en est membre, représentant le XXe arrondissement. Le 22 février 1871, il lance un nouveau quotidien : le Cri du peuple. Le 12 mars, le journal est interdit. Cependant, moins d’une semaine après, la Commune est déclarée. Le Cri du peuple en devient l’organe officieux. Son directeur appartient à la fraction minoritaire de la Commune, plutôt libertaire, en opposition à la fraction jacobine révolutionnaire. Ainsi, vif partisan de la liberté d’expression, il proteste lorsque les journaux réactionnaires ne sont plus autorisés à paraître.

Lors de la Semaine sanglante, Jules Vallès est activement recherché. Son rôle actif durant la Commune en fait une cible toute désignée pour la répression. Plusieurs « faux Vallès » sont arrêtés et passés par les armes. Il se cache quelque temps durant à Paris, puis parvient à s’enfuir, d’abord en Belgique, ensuite en Angleterre. Il y restera neuf années, entrecoupées de quelques voyages sur le continent.

Par crainte des tribunaux, les directeurs des journaux français rechignent à publier ses écrits. L’Enfant, premier tome d’une trilogie autobiographique, paraît dans le Siècle en 1878 sous le pseudonyme de La Chaussade. Un nommé Jacques Vingtras y relate le calvaire que furent ses jeunes années... Des lecteurs protestent contre cette atteinte à l’institution familiale, à l’ordre moral, et résilient leur abonnement. L’année suivante, les Mémoires d’un révolté (le Bachelier) paraissent dans la Révolution française sous le pseudonyme de Jean La Rue.

Séverine, par Nadar.
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En juillet 1880, une amnistie en faveur des communards est votée. Vallès rentre à Paris. Caroline Rémy, dite Séverine, rencontrée peu auparavant à Bruxelles, devient sa secrétaire, sa correctrice et surtout sa plus proche amie. C’est elle qui mettra la dernière main au manuscrit de l’Insurgé, le troisième volume de la trilogie autobiographique, consacré à la Commune.

Vallès reprend de plus belle sa collaboration à la presse. Les Blouses, son dernier roman, paraissent dans la Justice, journal dirigé par Clemenceau. En 1883, il publie une nouvelle fois le Cri du peuple, un quotidien ouvert aux divers courants du socialisme d’alors (blanquistes, guesdistes ou libertaires). Lorsque, en 1884, des anarchistes sont poursuivis par la justice, il prend leur défense dans les colonnes de son journal.

En janvier 1885, deux policiers en état d’ivresse font irruption au siège du Cri du peuple, ne cachant pas leurs funestes intentions. L’un d’eux est tué par un rédacteur. Une perquisition a lieu chez Vallès, alors gravement malade. Prématurément vieilli, diabétique, il meurt le 14 février. Son enterrement est l’occasion d’une importante manifestation regroupant tous les socialistes, manifestation malheureusement perturbée par des étudiants nationalistes qui n’apprécient pas l’hommage que des militants allemands entendent rendre au père de Jacques Vingtras.

L’œuvre de Vallès, dans un style profondément original où abondent tirets et points d’exclamation, influencera nombre d’auteurs, tels que Darien ou Céline. Pleine d’humour, mais aussi de révolte, elle demeure et demeurera longtemps d’actualité, car Jules Vallès est sans doute l’écrivain français qui a su le mieux concilier littérature et politique.