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Alexandre Berkman

dimanche 16 juillet 2023, par Emma Goldman (CC by-nc-sa)

Compagnon et ami fidèle d’Emma, cet intellectuel passionné paiera de quatorze ans de prison l’attentat raté contre un « vautour » de l’industrie américaine. Témoin du début d’une tyrannie nouvelle, le continuel expulsé s’éteindra quelques jours avant la Révolution espagnole.

Alexander Berkman.

Alex Berkmann [1], mon ami et camarade, est né le 24 novembre 1870 [2] à Vilma, en Russie occidentale. Son père Joseph Berkmann, commer­çant en cuirs, possédait un grand com­merce à Saint-Pétersbourg où la famille de trois garçons et une fille s’était fixée peu après la naissance d’Alex. Son père était aisé et pour­voyait à tous ses enfants une excel­lente éducation, d’abord par des pré­cepteurs, puis en les envoyant au gymnase [lycée]. Il mourut quand Alex avait 12 ans et sa mère déména­gea avec les quatre enfants à Kovno, dans la partie occidentale de la Russie. Alex y continua ses études au gymnase avec sa sœur, un de ses frères étant parti pour Leipzig étudier la médecine et un autre pour étudier la pharmacie. Bientôt Alex eut des ennuis avec les autorités à cause de ses idées libérales et révolutionnaires. Peu avant la classe de 6e il fut expulsé du gymnase et mis sur la liste noire, mesure lui interdisant d’entrer dans une école ou une université en Russie. En conséquence, à l’âge de 17 ans, Alex se mit en route pour l’Amérique où il arriva en 1888.

Il n’était pas habitué à travailler et souffrit beaucoup. Pendant plus d’une année il vécut avec cinq à sept cen­times par jour. Puis il exerça diffé­rents métiers tels que cigarier, tailleur, et finalement il apprit le métier de compositeur [d’imprimerie] et commença à travailler à Freiheit, le journal anarchiste allemand dont le rédacteur était [Johann] Most. Pendant tout ce temps Berkmann étudia la question sociale, du point de vue politique et économique. Il a tou­jours été un érudit et connaissait bien toutes sortes d’études scientifiques. Il devint anarchiste et fut très actif, c’est-à-dire qu’il donnait des confé­rences, écrivait des articles et aidait le mouvement financièrement. Alex Berkmann était tellement enthousiaste qu’il pouvait travailler des jours sans manger, donnant au mouvement ce qu’il économisait de cette façon.

C’était un nihiliste du type de Bakounine, appréciant l’amitié, l’amour ou n’importe quel autre sen­timent, sauf si ça concernait la cause, et c’est cela qui le mena à son acte. Il était d’une nature très indépendante et ne se soumettait à aucun dogma­tisme ou domination. Il ne pouvait pas supporter la dictature de Most et le quitta en 1891. Berkmann avait un peu le caractère de Sante Caserio. De New York il alla à Pittsburgh au moment de la grève de Homestead, avec seulement cinquante centimes dans la poche. Personne, sauf une amie [Emma Goldman], ne connais­sait son plan. Son intention était d’uti­liser de la dynamite, mais finalement il choisit un revolver, parce que limité en temps et ne pouvant plus obtenir la quantité nécessaire. Samedi 22 juillet (1892) à 14 heures, il entra dans le bureau de Frick et tira cinq fois sur lui, le touchant trois fois. Frick était grièvement blessé, mais il se rétablit bientôt grâce à des soins médicaux compétents.

Alexandre Berkman tente d’exécuter Frick pour venger les ouvriers assassinés.

Après deux mois d’emprisonne­ment et un procès qui dura dix mois, Alex Berk[man] fut condamné à vingt-deux ans de prison. Il avait refusé d’être défendu par un avocat commis d’office, espérant pouvoir se défendre lui-même, ce que finalement on ne lui permit pas. Tout le procès fut mené par un tribunal imbu de préju­gés extrêmes. Il y avait cinq chefs d’accusation : on lui reprochait le port d’armes cachées, d’avoir forcé l’entrée du bureau de Frick, la tentative d’assassinat de Frick, celle de son secrétaire (accusation qui était d’ailleurs un mensonge), et d’avoir méprisé le tribunal. S’il n’y avait pas eu tant de chefs d’accusation, il n’aurait pu être condamné qu’à sept ans car c’est la limite permise par la loi de Pennsylvanie. Berkmann a maintenant purgé cinq années de pri­son mais, grâce au règlement, elles comptent pour sept ans, dont deux ans pour bonne conduite. Nous tra­vaillons maintenant durement pour une réduction du verdict et nous espé­rons obtenir une peine de seulement dix ans. Berkmann a mis à profit son emprisonnement pour mener des études approfondies et acquérir de vastes connaissances. Il est de bonne humeur et enthousiaste comme tou­jours auparavant, la seule différence comme il le dit lui-même, c’est qu’il est devenu plus avisé [3].


[1A cette époque, E. Goldman écrivait encore sou­vent son nom et celui de Berkman à la façon alle­mande, c’est-a-dire « Goldmann » et « Berkmann ».

[2semble que Emma Goldman se trompe ici sur la date de naissance de Berkman. Des publications contemporaines telles que celle parue à l’occasion de son soixantième anniversaire ou la plaquette commémorative publiée par l’Alexander Berkman Memorial Commitee donnent également des dates différentes (20 novembre et 18 novembre). En revanche, des documents officiels (passeports) indiquent le 21 novembre 1870.

[3Manuscrit inédit de sept pages écrit vers 1897 pour Augustin Hamon, IIHS, fonds Hamon.