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Max Baginski

mardi 7 juin 2022, par Heiner Michael Becker (CC by-nc-sa)

Membre des « Jeunes » du parti social-démocrate allemand, ce publiciste de talent évoluera vers l’anarchisme et participera aux États-Unis à de nombreux périodiques.

Mais Nettlau est finalement allemand, plus allemand depuis la guerre qu’il ne l’avait jamais été avant. Et dans toute ma vie je n’ai rencontré que deux Allemands qui soient libres, c’est notre propre Max et Rudolf (Rocker). Tout le reste est stationnaire sur tous les points sauf l’économie. Particulièrement en ce qui concerne les femmes, ils sont vraiment antédiluviens..., écrivait Emma Goldman le 20 février 1929 dans une lettre à Alexandre Berkman. Notre Max à nous, c’était Max Baginski, autrefois un des amants d’Emma et puis, avant la sortie de prison d’Alexandre Berkman, le rédacteur de Mother Earth.

Max Baginski est né en 1864 à Bartenstein près de Königsberg en Prusse-Orientale (aujourd’hui Bartoszyce en Pologne, près de Kaliningrad en URSS). Son père, cordonnier de métier, était social-démocrate et libre penseur, et le petit Max apprenait à lire dans les publications des libres penseurs et des socialistes. Sorti de l’école, il fit un apprentissage de cordonnier chez son père, et bientôt entra dans les milieux sociaux-démocrates, influencé surtout par la lecture de la Berliner Freie Presse (la Presse libre de Berlin, 1876-1878), un des quotidiens les plus populaires du parti dont Johann Most était le rédacteur.

A partir de 1882 il vit à Berlin et s’y engage, avec son frère aîné Richard, plus activement dans la propagande socialiste, rendue extrêmement difficile par la loi antisocialiste que Bismarck avait réussi à faire adopter en 1878. A la fin des années 1880, il devient membre des « Jeunes », mouvement en opposition au fonctionnarisme du parti, dont la plupart des membres deviennent bientôt des anarchistes. En 1890 il est le rédacteur en chef du Proletarier aus dem Eulengebirge (le Prolétaire des montagnes des Chouettes), le journal social-démocrate le plus répandu en Silésie. De par cette fonction, il sert de guide à Gerhart Hauptmann en 1891 dans le milieu des tisserands, décrit d’une façon impressionnante par celui-ci dans sa pièce de théâtre la plus connue : les Tisserands. Peu après, il fut condamné à deux ans et demi de prison pour des délits de presse.

descriptif

Sorti de prison en 1893 il part en exil, d’abord à Zurich et a Paris (voir itinéraire n°4, déc. 1988, p.10), puis aux États-Unis où il retrouve son frère Richard. A New York il rejoint le cercle autour de Johann Most et devient un des collaborateurs de Freiheit. Il écrit avant tout des articles satiriques d’une verve et d’un humour dignes de ceux de Most. En août 1893, il fait à Philadelphie la connaissance d’Emma Goldman. A l’automne 1894, il est nommé rédacteur de la Chicagoer Arbeiter-Zeitung (Gazette des travailleurs de Chicago), quotidien socialiste qui, avec ses deux suppléments hebdomadaires Die Fackel (le Flambeau) et Vorbote (l’Avant-coureur), est une des publications les plus répandues dans la communauté allemande. Sous son influence, ces publications redeviennent bientôt anarchistes, comme elles l’étaient déjà dans les années 1880 sous la rédaction d’A. Spies, un des accusés de l’affaire de Haymarket, pendu le 11 novembre 1887. Il y prend part avec quelques interruptions pendant sept ans et, après 1900, avec H. Havel et R. Grossmann, mieux connu sous le nom de plume de Pierre Ramus.

En 1896, il publie quatre numéros de son propre journal, Die Sturmglocken (les Tocsins, 29 mars-18 avril), et en 1898-1899 il vit pendant quelque temps avec Emma Goldman voir les extraits de ses souvenirs, Epopée d’une anarchiste,1979-1984, pp. 114-115, 117). Ils font des plans pour aller à Paris, entre autres afin de participer au congrès anarchiste prévu pour septembre 1900, projets qui ne se réalisent pas de la façon prévue, comme Emma se souvient : J’étais en Californie... Dans une lettre, Max m’annonçait que sa camarade Pack [Emilie Schumm, la fille de deux anarchistes individualistes et amis de Benjamin Tucker] et lui s’apprêtaient à partir à l’étranger et qu’un ami leur prêtait de l’argent. Cela me fit rire. Quelle folie d’avoir espéré ! Comment pouvais-je encore rêver d’amour et de compréhension... L’amour, le bonheur, quels mots vides de sens ! A quoi bon chercher à atteindre ce qui ne pouvait pas l’être ? J’eus l’impression qu’en me refusant une relation harmonieuse, la vie était en train de me voler quelque chose. Mais après tout, je pouvais toujours vivre pour mon idéal....

Baginski se rend alors en Europe avec Puck, sa compagne pour le restant de ses jours, et ils s’installent en 1900 pour quelque temps a Paris, où ils revoient en automne Emma avec son nouveau compagnon, Hippolyte Havel, un anarchiste austro-tchèque qu’elle avait rencontré à Londres et qui, plus tard, rentre avec elle aux États-Unis. En 1901, Baginski retourne aussi en Amérique et reprend son travail de journaliste anarchiste. En mars 1906, fait paraître avec Emma Goldman le premier numéro de Mother Earth, mensuel anarchiste fameux qu’on attribue toujours aux seuls efforts d’Emma, mais qui est au moins autant le résultat du travail de groupe des rédacteurs qui l’aidaient, de Max Baginski, d’Alexandre Berkman, d’Hippolyte Havel, et d’autres. En même temps, semble-t-il, il rédige aussi pendant quelques mois, après la mort de Johann Most, et avec Henry Baller, Freiheit (Liberté). L’année suivante, il se rend de nouveau, cette fois avec Emma Goldman, en Europe où ils représentent en août 1907 les États-Unis au congrès anarchiste d’Amsterdam. Entre autres, ils y présentent à la fin de la discussion sur le syndicalisme une déclaration en faveur du droit de révolte entendu dans son acceptation la plus large, c’est-à-dire de l’acte individuel à l’insurrection collective (motion soutenue par Malatesta et approuvée à l’unanimité par le congrès).

Réunion publique lors du congrès d’Amsterdam en août 1907, Max est sur l’estrade.

De retour à New York, Baginski gagne sa vie comme publiciste, avant tout pour des journaux ouvriers de langue allemande, mais il écrit aussi pour des périodiques anglais, comme par exemple Mother Earth. En 1913 il écrit une introduction remarquable aux trois volumes des œuvres (Gesammelte Werke) de Robert Reitzel et, en 1914, il publie de nouveau un journal anarchiste, l’Internationale Arbeiter Chronik (la Chronique internationale des Ouvriers, sept numéros parus du 30 mars au 23 septembre 1914).

Comme Johann Most, il ne s’adaptera jamais à la vie aux États-Unis et s’y sentira toujours dépaysé. Il rentre, après la Première Guerre mondiale, pendant un an en Allemagne ; mais là aussi Baginski (ou peut-être avant tout sa femme) n’arrive plus à s’acclimater, et le couple retourne en Amérique en 1920. Pendant les années 20, il écrit surtout pour la New Yorker Volkszeitung (Gazette populaire de New York), quotidien alors plutôt pro-bolchevique, mais la presse ouvrière de langue allemande aux États-Unis ayant en majorité disparu après la guerre, il doit comme bien d’autres publicistes anarchistes gagner sa vie avec sa plume et faire des concessions en ce qui concerne l’employeur, bien que restant fidèle aux idées anarchistes et ne se prêtant pas à les trahir dans ses articles. De temps en temps, il envoie aussi des articles à l’hebdomadaire anarcho-syndicaliste Der Syndikalist (le Syndicaliste) de Berlin. Probablement au début des années 30, il prend sa retraite et se retire à Towanda. Auparavant, comme le disait Rudolf Rocker, un des esprits les plus éclairés et perspicaces issus du mouvement allemand, il commence à perdre de plus en plus la mémoire, jusqu’à atteindre une débilité presque totale vers la fin de sa vie. Ramené en juillet 1943 chez sa fille à New York, il y meurt le 24 novembre 1943.