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Mouvement libertaire en Bulgarie : Les victimes de l’insurrection de Kilifarevo

vendredi 12 janvier 2024, par Georges Balkanski (CC by-nc-sa)

Petar Maznev

Une année seulement après la mort de Maznev survint le coup d’État du juin 1923, Les paysans de Kilifarevo et de son village natal répondirent par une insurrection générale. Les anarchistes jouèrent un rôle décisif dans ce soulèvement. Après l’écrasement de l’insurrection par l’armée, les militants les plus compromis se réfugièrent dans la montagne pour continuer la lutte sous la forme de la guérilla qui coûta au mouvement libertaire quelques chères victimes.

Georges Simeonov Popov

Georges Simeonov Popov (1900-1924)

Georges Popov fut l’un des principaux responsables de l’insurrection de Kilifarevo. Homme d’une rare pureté, de grande intelligence, au caractère noble et au cœur sensible, Popov était une perte énorme pour le mouvement libertaire bulgare.

Né au beau village subbalkanique de Kilifarevo, en 1900, d’une très malheureuse famille dont le père, instituteur, décéda pendant la guerre balkanique de 1912 du choléra attrapé au front et laissa cinq orphelins : quatre fillettes et un garçon, l’aîné, le petit Georges. A 12 ans, il devait prendre la charge de toute la famille. Trois des fillettes moururent très jeunes de tuberculose. L’aînée, Nadejda, subit le même sort, mais plus tard, après une certaine activité militante et révolutionnaire, Georges, finissant ses études secondaires à Tirnovo, fut nommé instituteur dans son village natal. Comme éducateur, dans le sens le plus large et le plus noble du terme et comme propagandiste libertaire, Popov devint l’âme de l’organisation locale. Il visita les villages voisins et se rendit souvent à Tirnovo pour donner des conférences aux paysans et aux lycéens.

La première nouvelle du coup d’État du 9 juin 1923 arriva au village avec un ordre de mobilisation décrété par les autorités militaires. L’organisation anarchiste de Kilifarevo prit la décision de s’y opposer et adressa un vif appel à la population, l’invitant à se révolter. Un meeting fut convoqué devant la mairie. Georges Popov prit le premier la parole et déclara, au nom de l’organisation anarchiste, l’insurrection. Les combats contre l’armée recourue de Tirnovo ne tardèrent pas. Ils durèrent environ une semaine. Après la défaite de l’insurrection, les militants les plus compromis se retirèrent dans la montagne. Le groupe de partisans ainsi formé circula pendant de longs mois dans la région de Tirnovo et de Gorna-Orchovitsa, agrandi de quelques illégaux qui l’avaient précédé. Georges Popov continua son travail de propagandiste. Dans quelques articles publiés clans l’hebdomadaire de la F.A.C.B. Pensée Ouvrière, il expliquait le sens et l’importance de l’insurrection. Lors de l’insurrection de septembre qui, la même année 1923, suivit le coup d’État de juin, le groupe des guérilleros établit les relations avec les anarchistes du sud de la Bulgarie, les camarades d’Enina, district de Kazanlik, notamment, et coupa la ligne de chemin de fer trans-balkanique, afin d’empêcher le transport des détachements militaires entre le sud et le nord de la Bulgarie.

De cette façon, l’une des premières compagnies de guérilleros, prenant par la suite le nom des « Frères Balkhov » (Dimitar et Doutcho) qui en faisaient partie, fut constituée. Elle agit dans les régions de Tirnovo et de Gorna-Orehovitsa durant trois ans d’activités incessantes.

Fin janvier 1924, l’hiver était dur. Une couche de neige épaisse couvrait toute la région. Les guérilleros se virent obligés de se disperser en petits groupes. Popov, accompagné d’un camarade de Liaskovets, trouva asile dans son village natal. Dénoncés par un traitre inconnu, ils furent encerclés par l’armée qui bloqua le village tout entier. Ils réussirent à s’évader et gagnèrent la montagne. Mais la neige entravait leur fuite, leurs pas laissant de plus des traces qui facilitèrent la poursuite par l’armée. Ils s’engagèrent dans une fusillade désespérée. Le camarade de Popov fut blessé et fait prisonnier. Devant l’impossibilité de se sauver, Georges Popov, pour ne pas tomber entre les mains de ses adversaires et bourreaux, se suicida le 31 janvier 1924. Populaire et très aimé, toute la population de Kilifarevo lui témoigna un ultime hommage par un enterrement émouvant et mémorable, le curé du pays en tête.

Stancho Paraskov (1903-1925)

Stancho Paraskov

L’un des plus actifs et des plus audacieux des insurgés. Blessé lors de la prise de la ville de Drianovo, où il conduisait les combats du groupe dépêché vers ce front pour assurer les arrières des combattants de Kilifarevo, Paraskov fut détenu par la suite et emprisonné à Tirnovo. Les autorités ne soignaient pas ses blessures et le privaient des possibilités de guérison. Afin qu’il puisse se soigner efficacement, ses camarades guérilleros décidèrent d’organiser son évasion. L’auteur de ces lignes fut chargé de faciliter cette action, qui réussit pleinement. Paraskov rejoignit ses camarades dans la montagne et ils l’aidèrent à se réfugier en Yougoslavie.

Revenu en Bulgarie en 1925, chargé d’une mission de l’organisation, Paraskov tomba par hasard entre les mains de la police pendant les perquisitions massives, après l’attentat à la cathédrale de Sofia du 16 avril 1925. Il fut fusillé sans procès ni jugement, avec quelques détenus près de la gare de Kostenets, district de Sofia.

Dimitar Balkhov (1902-1932)

Dimitar Balkhov

Originaire de Kilifarevo, ouvrier menuisier. Dimitar Balkhov fut membre du Comité d’Action Révolutionnaire pendant l’insurrection de juin 1923. Il se réfugia, avec son frère Dontcho et sa femme Nadejda Popova, sœur de Georges Popov, après l’écrasement de l’insurrection.

La compagnie des guérilleros, dont il faisait partie, continuait ses combats après la mort de Georges Popov et même pendant la terreur, après l’attentat d’avril 1925. En mai-juin, une partie des partisans, avec G. Cheïtanov, passa en Bulgarie du Sud. Une autre partie, avec Mosko Rachev, continua à se cacher et à circuler dans un rayon restreint autour de Gorna-Orehovitsa et de Liaskovets.

Dimitar Balkhov réussit à se réfugier, à la fin de l’été 1925, en Yougoslavie. Il rejoignit ainsi l’important groupe de réfugiés libertaires (une quarantaine) installés à Véliki-Beckerek. Ils vivaient en commun, travaillant à la décharge du charbon à la gare ferroviaire...

A l’automne 1927, le groupe décida de réémigrer à l’ouest, principalement en France. Balkhov fut l’un des premiers qui se rendirent clandestinement en Autriche et ensuite en France. Il s’installa à Toulouse, sous un faux nom (Georges Gaïdarov), utilisant les papiers d’identité de l’auteur, un peu modifiés.

Très vif et dynamique, Balkhov fut le seul qui, en route encore, apprit un peu le français et avec un vocabulaire sommaire de menuisier, trouva immédiatement un emploi dans son métier, sans aucune aide de ses camarades déjà sur place.

Gai et spirituel, il ne laissa jamais l’impression de ferme et dur révolutionnaire dont la main décidée ne pardonnait les crimes d’aucun bourreau et traître, faisant trembler les représentants des autorités fascistes pendant son séjour dans la région de Kilifarevo, en 1924 et 1925. Un détachement de l’armée établi à Kilifarevo pour mener les répressions, vivait aux dépens de la population, afin de l’indisposer envers les guérilleros. Balkhov osait entrer au village et descendait chaque bourreau ou traître. La population se montra solidaire de ce justicier révolutionnaire en boycottant l’enterrement des bourreaux exécutés.

Contaminé par la tuberculose, il est décédé au sanatorium de Bayonne, le 20 février 1932.

Nadejda Popova (1905-1932)

Sœur de Georges Popov et compagne de Dimitar Balkhov, née en 1905 à Kilifarevo.

Arrêtée, après le départ de Dimitar pour la Yougoslavie, enceinte, elle fut jugée et emprisonnée à Plovdiv où elle mit au monde son enfant, à qui elle donna le nom de son frère, Georges. Sortie de prison, après une amnistie, elle rejoignit, avec son petit enfant, son compagnon à Toulouse. Dimitar décédé, Nadejda, malade aussi, ne pouvait plus rester en France. Elle retourna en Bulgarie pour mourir à Kilifarevo où elle décéda la même année de 1932. L’enfant, adopté par la famille du camarade français Tricheux, vit encore à Toulouse, marié et père de plusieurs enfants, il travaille comme ouvrier électricien.

Dontcho Balkhov (1904-1979)

Dontcho Balkhov

Frère cadet de Dimitar Balkhov. Il passa des années en prison sous l’ancien régime, combattit en Espagne pendant la révolution de 1936-1939 sur le front d’Aragon. De retour en Bulgarie, il purgea une peine de prison pour avoir osé combattre le fascisme en Espagne.

Après une longue existence d’ouvrier-mécanicien, il endura aussi les persécutions du nouveau régime comme déporté et prisonnier enchaîné et il finit sa vie de combattant et de prolétaire-anarchiste, le 16 février 1979.