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Mollie Steimer (1897-1980)

vendredi 10 décembre 2021, par Heiner Michael Becker (CC by-nc-sa)

Parmi les militants et militantes du prétendu deuxième rang —terme aussi discriminatoire que courant pour désigner ceux sur lesquels s’appuient les grands noms pour préparer leurs meetings et conférences, et pour assurer la publication de leurs œuvres connues ou méconnues, ainsi que bien souvent leurs propres moyens d’existence—, une des plus remarquables dans les années d’entre-deux-guerres et au-delà fut certainement Mollie Steimer.

Né à Dounaevtsy en Ukraine, le 21 novembre 1897, elle émigra avec ses parents et ses cinq frères et sœurs aux États-Unis en 1913. Pour aider finan­cièrement sa famille, elle dut tout de suite commencer à travailler en usine. Lectrice avide, elle dévora les livres de Kropotkine, d’Emma Goldman et Dieu et l’État de Bakounine. A partir de 1917, elle milite au sein du mouvement anarchiste. Avec un groupe de jeunes anarchistes juifs, elle publie un jour­nal anarchiste clandestin en yiddish, Der Sturm (la Tempête), suivi après une scission en 1918 par Freiheit (Liberté). En août 1918, après le débarquement des troupes américaines en Russie, ils publièrent un tract en anglais et en yid­dish appelant les ouvriers américains à soutenir la Révolution russe par une grève générale. Dénoncés par des ouvriers « patriotes » et un membre du groupe qui se mettait à la disposition de la police, Steimer et les autres mili­tants furent arrêtés et finalement accu­sés de conspiration en vue d’une insur­rection (à l’exception de Jacob Schwartz qui, le 14 octobre 1918, mourut des suites du passage à tabac que la police lui avait fait subir).

Mollie Steimer
en janvier 1919.

Le procès, connu sous le nom d’« Abrams case » (du nom de l’un des condamnés, Jack Abrams), fut un des plus notoires et scandaleux procès poli­tiques de l’histoire juridique des États-­Unis : trois des accusés, Jack Abrams, Hyman Lachowski et Samuel Lipman, furent condamnés à vingt ans de pri­son et à une amende de 1 000 dollars, et Mollie Steimer à quinze ans de prison et à une amende de 500 dollars. Une sentence aussi remarquable que généreuse pour la publication d’un petit tract ! Suite aux protestations des cercles radicaux et libéraux, et en attendant la révi­sion du procès, ils furent libérés sous caution —Mollie Steimer sera arrêtée en tout huit fois durant les onze mois suivants car, à peine libérée, elle se plongeait de nouveau dans la propa­gande anarchiste. Elle sera finale­ment emprison­née à Blackwell’s Island à partir du 30 octobre 1919 et puis, dès avril 1920, dans la pri­son de Jefferson City au Missouri jusqu’en novembre 1921.

Le 24 novembre 1921, elle fut expulsée (avec Abrams, Hyman et bien d’autres), à ses propres frais (!), des États-­Unis vers la Rus­sie, arrivant à Moscou le 15 décembre 1921. Elle y fit bientôt la connaissance de Senya Flechine avec qui, après bien des problèmes, des arrestations et une condamnation, elle fut extradée d’Union soviétique le 23 sep­tembre 1923. Se rendant à Berlin, elle envoya des articles à la presse anar­chiste (Freedom à Londres, Der Syndi­kalist à Berlin, La Protesta à Buenos Aires), où elle racontait ses expériences en Russie « postrévolutionnaire ». Avec Flechine, Alexandre Berkman et d’autres, elle participa au soutien des anarchistes et autres révolutionnaires réprimés en Russie, d’abord à Berlin, puis à Paris (où Mollie Steimer et Senya Flechine vécurent dans un appartement avec la famille Voline), puis de nouveau à Berlin jusqu’en 1933 lorsque, à l’arri­vée au pouvoir de Hitler, ils quittèrent l’Allemagne pour la France.

Elle fut arrêtée (comme juive et anarchiste) le 18 mai 1940, tandis que Senya Flechine put se sauver grâce à l’aide de camarades anarchistes et se rendit à Marseille. Ils s’y retrouvèrent finalement, après que Mollie ait réussi à s’enfuir du camp d’internement. Ils y rencontrèrent pour la dernière fois Voline, avant de partir au Mexique. De là, Mollie envoya de temps en temps des articles à la presse anarchiste (par exemple des souvenirs sur Voline, après sa mort). Dans les années 70 et au début de 1980, elle participa à des films sur Emma Goldman et sur le mouvement anarchiste juif. Elle est morte à Cuernavaca, au Mexique, le 23 juillet 1980 d’une crise cardiaque.

 

Sources :
Paul Avrich, An Anarchist Life : Mollie Steimer (1897-1980), s.l. n.d. (1981 [?]), 12 pp. et ill.
Mollie Steimer, Todo una vida de lucha. La rebellon de una anarquista condenada por ambos imperios, Ediciones Antorcha, Mexico (Mexique), 1980, 112 pp. et 16 pp. ill.
Margaret S. Marsh, Anarchist Women 1870-1920, Temple University Press, Philadelphie, 1981.

Voir en ligne : Article extrait de « Voline », revue « Itinéraire - Une vie, une pensée » n°13 [PDF]