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Le Libertaire n°506, 24 juillet 1936

Mohamed Saïl (1894-1953) : « A bas le code de l’indigénat ! Égalité totale des droits ! »

vendredi 12 mars 2021, par Mohamed Saïl (CC by-nc-sa)

Au nom du groupe des anarchistes algériens, nous recevons de notre bon camarade Saïl Mohamed l’article suivant que nous insérons bien volontiers, car il rappelle opportunément aux dirigeants du gouvernement du Front populaire l’immense travail qui reste à accomplir dans ce que des patriotes de toutes espèces appellent la France d’outre-mer, pour faire des indigènes au moins des égaux politiques de leurs « protecteurs » français. En Afrique du Nord, en AOF [1] comme en AEF [2], à Madagascar comme en Indochine, « des dizaines de millions » d’indigènes attendent que soit mis fin à l’odieux régime d’exception qui les opprime. Là au moins, le gouvernement de Front populaire peut facilement accomplir la tâche urgente qui s’impose. Il n’a qu’à s’inspirer des méthodes que préconisaient dans l’opposition ceux qui le composent aujourd’hui...

Hommes de cœur, comprenez enfin nos cris de douleur, nos appels de détresse et réclamez avec nous l’abolition totale de l’ignoble code de l’indigénat qui mine lentement le moral et le physique du peuple algérien et est une tache à l’honneur de la France dite républicaine et démocratique.

Vous qui frémissez quand une injustice se produit dans votre entourage, qui protestez avec énergie quand une victime du fascisme gémit dans une geôle, qui vous révoltez quand, à l’autre bout du monde (l’Algérie n’est qu’à 750 km de la métropole), un innocent agonise, victime d’une répression, vous ne pouvez pas rester sourds à notre appel et être insensibles à cette iniquité monstrueuse : un peuple tout entier, dont le seul crime est d’avoir été vaincu et dépossédé par la force, croupit dans des conditions de vie misérables et subit un esclavage qui déshonore notre siècle.

Car enfin, qu’est-ce que le code de l’indigénat ?

C’est tout simplement cet ensemble de lois qui mettent l’indigène algérien à la merci de la métropole, qui exigent des devoirs et des charges écrasants, mais qui en échange ne donnent aucun droit. Il est formellement interdit au Français d’outre-mer de se syndiquer pour se défendre contre un patronat qui l’exploite et l’opprime. Pour lui, pas de liberté d’opinion, pas de liberté de la presse. Ses écoles sont rares, et l’instruction est à un niveau tellement bas que très peu peuvent en profiter et restent dans une ignorance complète qui permet une exploitation éhontée. L’indigène n’ayant pas le droit de vote, on lui impose une dictature qui le traque et le rançonne. Les impôts écrasants sont engloutis en partie dans de louches affaires car, malgré leur importance, les villages indigènes sont dans leur généralité privés de lumière, de postes et de télégraphe, et il n’y a pour ainsi dire pas de routes carrossables.

Pour cacher cette incurie, les gouvernants invoquent ce motif aussi absurde que ridicule : Pour qu’il soit mis au rang des civilisés, l’indigène doit renoncer à son statut personnel qui lui donne le droit de se marier avec plusieurs femmes. Parce qu’en France, voyez-vous, il n’y a pas de harem, mais l’hypocrisie en matière sexuelle existe davantage qu’en Algérie. Et au point de vue religieux, quand les ministres laïcs s’agenouillent cyniquement et sans foi devant un dieu en carton ou en plâtre, qu’ont-ils à reprocher au malheureux bicot qui pratique des rites qui ne sont pas plus ridicules que ceux des autres religions, car elles se valent toutes et ne sont fondées que sur la crédulité de leurs fidèles.

Mais voici qu’en l’an 1936, le gouvernement de Front populaire veut, dit-on, atténuer ce mal ; l’atténuer seulement, et non le guérir complètement, même en ayant le pouvoir.

Croit-il qu’avec un os à ronger il va calmer la révolte qui gronde ? Ne songe-t-il pas que le « sidi » à qui l’on a appris à mourir pour les marchands de patriotisme sur les champs de bataille de la dernière boucherie pourrait peut-être pousser sa révolte jusqu’à la délivrance totale ? Ne voit-il pas que, là-bas, les fascistes travaillent, que les fruits de leur propagande commencent à apparaître à une cadence accélérée. Les suppôts de l’hitlérisme vont-ils être les seuls bénéficiaires de l’incurie des gouvernants qui ne veulent pas se rendre compte que leur politique néfaste envers un peuple opprimé les jette pieds et poings liés dans les bars du fascisme. Nous qui sommes nés et avons vécu en Algérie et qui connaissons le tempérament de nos compatriotes, nous disons : Prenez garde, si vous ne donnez pas l’égalité des droits aux indigènes, si vous leur refusez l’instruction, vous serez coupables de la révolte d’un peuple accablé qui souffre depuis cent ans et qui sera capable de tenter la pire aventure pour reconquérir sa liberté. Nous voyons tellement ce danger que nous croyons de notre devoir de vous donner l’alerte.

Nous ne sommes pas des politiciens, mais de simples travailleurs qui voient bien plus loin qu’on le croit communément.

Notre appel doit être entendu par tous ceux pour qui la liberté n’est pas un vain mot.

A bas tous les fascismes !

Pour le groupe anarchistes des indigènes algériens : Saïl Mohamed

[1L’Afrique-Occidentale française (AOF) était un gouvernement général regroupant au sein d’une même fédération huit colonies françaises d’Afrique de l’Ouest entre 1895 et 1958. (Source Wikipédia).

[2L’Afrique-Équatoriale française (AEF) était un gouvernement général regroupant au sein d’une même fédération quatre colonies françaises d’Afrique centrale entre 1910 et 1958. (Source Wikipédia)