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Lucien Descaves (1861-1949)

mercredi 6 septembre 2023, par Victor Méric - Flax (Domaine public)

En 1908, Victor Méric lance, avec Henri Fabre, la collection Les Hommes du jour annales politiques, sociales, littéraires et artistiques, une revue mi-politique, mi-satirique, à la verve libertaire, appelée à un succès durable.
Chaque numéro présente la biographie d’un personnage contemporain rédigée non sans humour par Victor Méric, sous la signature Flax, tandis qu’une truculente caricature de Delannoy donne les traits du personnage. Les Hommes du jour paraissent sous cette forme jusqu’après 1918.
Plusieurs numéros sont consacrés à des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires parmi lesquels : Charles-Albert, Lucien Descaves, Sébastien Faure, Francisco Ferrer, Jean Grave, Victor Griffuelhes, Pierre Kropotkine, Maximilien Luce, Charles Malato, Octave Mirbeau, Emile Pouget, Paul Robin et Georges Yvetot.
(Wikipedia)
C’est le numéro 43 du 14 novembre 1908, consacré à Lucien Descaves, que nous mettons en ligne aujourd’hui.

Présenter au public un homme comme Lucien Descaves, déjà apprécié, certes, comme écrivain, mais moins connu comme individu, c’est à la fois une joie et une difficulté. C’est une joie parce qu’on n’a pas tous les jours la bonne fortune de rencontrer un véritablement honnête homme. C’est une difficulté aussi parce que ce sacré honnête homme qu’est Descaves nous met dans l’impossibilité de nous livrer à notre penchant naturel qui, on le sait, consiste à dire de nos contemporains tout le mal qui peut se dire.

Nous avons tourné et retourné notre Descaves dans tous les sens ; nous l’avons examiné des pieds à la tète, scruté, analysé, fouillé, disséqué. Pas moyen de risquer la moindre rosserie. Il est réfractaire à toute médisance. Il oppose à toute velléité de critique méchante une existence de labeur obstiné et calme. La politique ne l’a jamais tenté. Les succès mondains l’indiffèrent. Sa joie unique est de travailler, et quand il a conçu une œuvre, il n’a de repos que lorsqu’il l’a menée à bien, parmi les difficultés dont elle se hérisse souvent et les recherches qu’elle nécessite.

Aussi, en désespoir de cause nous sommes-nous décidés à prendre notre parti de l’aventure. Soit. Nous ne dirons aucun mal de Descaves. Nous nous rattraperons prochainement sur un autre. Les hommes, d’ailleurs, sur lesquels on a le droit d’exercer sa malignité sont légion et l’on a pu voir que nous avons usé de ce droit assez largement.

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Ce préambule dans lequel nous indiquons l’essentiel de notre pensée sur Lucien Descaves mérite pourtant d’être retouché. L’appréciation que nous formulons sur l’auteur de Sous-Off’s n’a pas toujours été du goût de tous. Il fut une époque où Descaves connut l’hostilité du public. Au lendemain de son procès, après l’acquittement qui en résulta, alors que toutes les portes auraient dû s’ouvrir devant le jeune écrivain assez courageux pour risquer la Cour d’Assises et dire sa pensée entière, sans ambiguïtés ni réticences, il se produisit ce fait curieux : c’est qu’en place de la faveur publique, Descave vit, au contraire, tout le monde se détourner. Les portes des journaux, même les plus accueillants, lui furent obstinément closes ; les éditeurs lui firent grise mine ; un boycottage savant fut organisé autour de son nom et de ses œuvres, si bien qu’il fallut à Descaves des années de patience et de labeur pour vaincre cette hostilité, casser la glace et s’imposer.

Heureux encore d’avoir pu réussir. Il en est d’autres qui paient plus cher l’indépendance de leur esprit et l’audace de leurs affirmations. Il en est d’autres sur lesquels pèse, leur vie durant, la réprobation générale :

On les persécute, on les tue,
sauf, après un long examen,
A leur dresser une statue
Pour la gloire du genre humain.

Descaves, il est vrai, est un obstiné. Loin de se laisser abattre par les épreuves du début, il a persévéré, imitant en cela l’exemple de ténacité laborieuse qui lui fut donné par son premier maître Zola. Et c’est en jetant au public, soit au théâtre, soit dans le roman, de fortes œuvres, consciencieusement observées, savamment échafaudées, se succédant d’année en année, qu’il a fini par conquérir, en dépit de toutes les préventions, une des premières places parmi les écrivains d’aujourd’hui.

*

Lucien Descaves est né à Paris, le 18 mars 1861. Quand on songe qu’il devait plus tard se passionner pour les événements de la Commune et nous donner une des reconstitutions les plus complètes et les plus rigoureusement exactes de cette période de l’histoire, on est tenté de voir dans cette date du 18 Mars une sorte de prédestination.

Le père de Descaves était un artiste, graveur au burin. Il mit son garçon au collège où il poursuivit tranquillement ses études, sans incidents notables, jusqu’au jour où il entra comme employé au Crédit Lyonnais.

Au Crédit Lyonnais, tout en gagnant son pain quotidien, le jeune homme commençait à s’occuper de littérature. Il publiait, en 1882, un volume de nouvelles Calvaire d’Héloïse Payadou, volume qui fut édité par Henry Kistemaeckers, à Bruxelles. Kistemaeckers était l’éditeur des jeunes, particulièrement des jeunes de l’école naturaliste et aussi des communards. Il avait déjà accueilli Lissagaray, Jourde, A. Arnould, Jules Guesde, Hector France, Léon Cladel, Francis Enne. Il avait, un des premiers, ouvert la porte aux disciples immédiats de Zola, à ceux de Médan, les Huysmans, les Maupassant, les Paul Alexis, les Hennique. Après eux, et avec Descaves, il lança H. Fèvre, Paul Bonnetain, E. Rod, Camille Lemonnier, et ce malheureux Desprez qui, poursuivi pour avoir collaboré au volume : Autour d’un Clocher, fut jeté, tuberculeux à Sainte-Pélagie, où il trouva la mort.

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Vers la fin de 1882, la carrière littéraire de Descaves fut brusquement interrompue. Il dut partir pour la caserne. Envoyé au 129e de ligne, il accomplit quatre années de service, au Havre d’abord, puis à Dieppe, enfin à Paris On retrouve cela dans son volume Sous-Off’s.

A la caserne, Descaves, qui compte parmi les premiers antimilitaristes, fut un excellent soldat, comme d’ailleurs nombre d’autres antimilitaristes. Débrouillard, actif, il conquit rapidement ses premiers galons et devint sergent-major. Malgré tout, il ne renonçait pas à la littérature. Il occupait ses loisirs à écrire un roman. Quand on sait ce qu’est l’existence de la caserne, où l’individu ne tarde pas à être complétement déprimé sous l’influence de ce milieu de stupidité et d’ignominie, on se demande par quel miracle de volonté, Descaves a pu se garder et conserver sa personnalité. Il faut posséder un tempérament peu banal, pour pouvoir résister et rester soi. Ce tour de force, Descaves sut l’accomplir. Tout en surveillant la comptabilité de son fourrier, tout en comptant le nombre de boules et de gamelles nécessaires à sa compagnie, il écrivait un roman : la Teigne, roman contracté non pas à la caserne, mais dans le monde des graveurs qu’il avait étudié autour de son père. Ce roman devait être publié, à sa libération, chez Kistmaeckers....

En 1887, Descaves débute clans le journalisme grâce à la protection d’Alphonse Daudet. Il écrit dans le Petit Moniteur, dirigé par Ernest Daudet.. La même année, il publie Misères du sabre, chez Stock.

A la caserne, il n’avait pas perdu son temps. Il avait su voir et observer. Le résultat de ses investigations est condensé dans ce premier volume Misères du sabre, recueil de nouvelles et d’épisodes militaires qui .semblent comme une préface à Sous-Off’s et qui, cependant, n’ont pas été utilisés dans ce roman de mœurs militaires, son chef-d’œuvre.

Le jeune écrivain, malgré ses efforts et le talent dépensé demeurait malgré tout obscur. Il n’était goûté que de rares lettrés. Cette même année, ayant publié déjà plusieurs volumes, il crut pouvoir se présenter à la Société des gens de lettres, L’imprudent ne savait pas quel crime abominable il avait commis en injuriant notre armée nationale. Ces messieurs de la Société des gens de lettres le lui firent bien voir. C’était de respectables vieillards qui avaient noms Champfleury, Pierre Zaccone, Elie Berthet, René de Pon-Jest, Fortuné de Boisgobey, Emile Richebourg, etc., et qui étaient l’honneur de la littérature française. Ils refusèrent énergiquement d’admettre le jeune présomptueux dans leurs rangs et Descaves, honteux, dut s’enfuir en s’écriant comme certain roi de France : Les vieillards m’ont maudit.

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Cela ne l’empêcha nullement de faire son chemin. D’ailleurs, chaque fois qu’on innove et qu’on se jette dans la lutte, armé de vérité et de sincérité, on trouve de respectables vieillards pour vous barrer la route. Descaves ne s’émotionna pas pour si peu. Il continua. Ou lui reprochait les Misères du sabre. Il publia Sous-Off’s.

Il est peu de gens, en France, qui n’aient lu ce volume. En ce qui me concerne, je me rappelle encore l’émotion que cette lecture me procura. J’étais à la caserne. J’y subissais la honte de la discipline. Sous-Off’s me tomba sous ]es yeux. J’ai lu depuis bien des volumes sur les mœurs de la caserne, depuis le Cavalier Miserey, d’Abel Hermant, jusqu’au roman d’Henry Fèvre, aucun ne m’a semblé exprimer aussi fortement l’ennui, le dégoût, la révolte contenue que je sentais me tourmenter sous l’uniforme. Tout ce que j’éprouvais sans pouvoir l’exprimer nettement, tout ce que j’observais autour de moi, les servitudes, les lâchetés, les abus d’autorité, les saletés qui fleurissent tout naturellement dans ce fumier militaire, tout cela était noté minutieusement, avec un souci d’observation et d’impartialité qui ôtaient à l’œuvre tout caractère de parti pris. Ah ! certes, les sous-officiers tripoteurs, voleurs et maquereaux, et les brutes sous leurs ordres et le bâtiment annexe de la caserne où l’extinction des feux sonne à l’heure exacte où sonne le réveil, de l’autre côté, certes tout cela était scrupuleusement exact, vigoureusement exprimé, sans haine romantique, avec le seul souci de dire vrai et une grande pitié pour les malheureux plongés dans ce métier infâme, cette sorte de cloaque où l’on perd toute notion d’honneur et de probité.

Naturellement Sous-Off’s fut poursuivi. Mais il faut rappeler qu’il le fut à la suite de la dénonciation de Paul de Cassagnac, de Joseph Reinach et d’Edmond Lepelletier. En ce temps-là, déjà, certains journalistes avaient pris l’habitude de signaler leurs adversaires aux foudres du pouvoir et il n’y allaient pas de main morte. Les Massard et les Franc-Nohain d’aujourd’hui sont, à côté d’eux, de bien petits garçons.

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Sous-Off’s poursuivi fut acquitté. Me Tezenas qui n’était pas encore nationaliste plaida pour l’auteur. Me Millerand qui n’était pas encore baron de la Sociale plaida pour l’éditeur. Acquitté, Descaves fut cependant châtié. M. de Freycinet, ministre de la guerre, crut devoir le casser de son grade de sergent-major et le déclara indigne de porter les galons. Puis, durant quatre années, Descaves fut le pestiféré. Tous les journaux se fermèrent devant lui. Il en profita tout simplement pour écrire un nouveau roman sur le monde des aveugles que ses loisirs lui permirent d’étudier particulièrement. Il nous donna Les Emmurés.

Après ça, ce furent les batailles épiques, à côté d’Antoine, qui fondait son Théâtre Libre. Notons que, dès les débuts, les écrivains qui encouragèrent et aidèrent Antoine furent absolument désintéressés. Les juifs, vinrent plus tard, quand il y eut des droits d’auteur à toucher [*]. Mais, dans les commencements, au passage de l’Elysée-des-Beaux-Arts, comme au théâtre Montparnasse, on n’était joué que deux fois au plus, et l’affaire coûtait de l’argent à l’auteur, au lieu de lui en faire gagner.

Descaves débuta au théâtre avec une pièce tirée de son roman : Une Vieille rate, 3 actes écrits en collaboration avec Paul Bonnetain. Puis il donne les Chapons avec Darien, l’auteur de Biribi. Ensuite, ce fut la Cage, qui fut l’occasion d’un beau chahut. Le public manifesta bruyamment. Déjà, avec les Chapons, où sont mis en scène des bourgeois, pendant l’invasion, à Versailles, on s’était battu dans la salle. Avec la Cage, la bataille recommença. Antoine fut deux années sans pouvoir nommer l’auteur. Dès la répétition générale, d’ailleurs, l’oncle Sarcey avait réclamé l’interdiction de la pièce.

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A partir de cette époque, l’histoire de Lucien Descaves n’est autre que l’histoire de ses romans, de ses articles de journaux et de ses pièces de théâtre. Il publie Soupes, recueil de nouvelles à tendances nettement anarchistes, dont la plupart ont paru dans l’Echo de Paris — l’ancien.

Il collabore a l’En-Dehors de Zo-d’Axa et il le rédige de concert avec Fénéon, durant l’internement du célèbre pamphlétaire. Il passe ensuite au Journal où depuis des années, il donne des chroniques très documentées.

Il nous faut rappeler ici un incident qui fit quelque bruit au moment où il se produisit. Emile Zola publiait dans Gil Blas son roman la Terre. Descaves qui se proclamait volontiers son élève, mais qui le voyait avec quelque regret s’orienter dans une voie, selon lui, périlleuse et supportait difficilement sa tutelle, se laissa entraîner à signer un manifeste contre le maître. Ce manifeste, au bas duquel on pouvait lire les noms de Bonnetain, J.-H. Rosny, Marguerite, Gustave Guiches et qui fut désigné sous le nom de manifeste des Cinq, fit sensation. Il protestait contre « l’exacerbation de la note ordurière ». Passe pour Descaves. Passe pour Marguerite, pour Rosny, pour Guiches, mais il y avait aussi Bonnetain, l’auteur de Charlot s’amuse.

Tout cela nous mine peu à peu jusqu’à l’Affaire Dreyfus. Là nous retrouvons Descaves, au premier rang, parmi les premiers collaborateurs de l’Aurore. Il mena la campagne à côté de Gohier, de Mirbeau, de Clemenceau. Et, alors que tant d’autres se sont servis de cette affaire, il convient d’indiquer que Descaves fut parmi les rares qui ne profitèrent pas. La bataille terminée, il se donna tout entier à ses travaux littéraires et revint au théâtre. En 1900, il fit jouer chez Antoine en collaboration avec Donnay, la Clairière, une pièce qui compte parmi les meilleures de notre époque, où le problème social est étudié librement, sans esprit de parti. Cette pièce a fait, d’ailleurs, assez de bruit pour qu’il ne soit pas utile de l’exposer ici. On se souvient encore des démêlés de l’institutrice Hélène Souricet, de Collonges, et du tailleur Rouffieu qui, partis pour fonder une société harmonique, se virent dans l’obligation de renoncer, en constatant que les hommes n’avaient pas encore suffisamment évolué pour vivre en parfait accord. Constatation pessimiste, certes, mais qui laisse encore place à l’espérance et qui sous-entend une meilleure humanité pour demain.

En 1904, Descartes fit représenter Oiseaux de Passage, toujours avec la collaboration de Donnay, pas encore académicien et qui ne travaillant pas dans la vertu connaissait le succès. Oiseaux de Passage, est l’histoire de quelques nihilistes russes, c’est la lutte entre l’amour et la passion politique. Des figures puissamment étudiées, comme celle de ce Grégoriew, dans lequel on a voulu reconnaître Bakounine, comme celle de Tatiana qui s’en va jusqu’en Sibérie condamner et exécuter un traître. Une des pièces les mieux construites et les mieux observées du théâtre moderne.

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Avec Donnay, Descaves avait pu facilement réussir au théâtre. On a feint de croire que tous les mots d’esprit, tous les traits dont ces pièces sont émaillées, étaient du futur académicien. En réalité, Maurice Donnay s’est surtout attaché à construire les scènes sentimentales et à esquiver les difficultés. La charpente même de la pièce est de Descaves.

Mais, avec Capus, les choses ne marchèrent pas aussi bien. L’Attentat ne réussit qu’à moitié. Puis la pièce fut jouée à la Gaîté, pour commencer ; ensuite elle fut interprétée par Coquelin aîné et Jane Handing. Alors, dame ?...

Une particularité de l’Attentat, c’est que deux mois avant les élections, les auteurs y annonçaient le triomphe du parti radical-socialiste. Les événements leur donnèrent pleinement raison. Les deux auteurs se révélaient prophètes.

Depuis, Descaves a écrit, seul, la Préférée, qui a fourni une honnête carrière. Ajoutons qu’il vient de terminer une pièce en quatre actes : Soutient de Famille, qui sera jouée il ne sait encore où.

*

Un des derniers romans de Descaves mérite une mention spéciale, la Colonne, il y étudie la période fort courte de la Commune qui va depuis le moment où le renversement de la Colonne fut chose décidée, jusqu’au jour de l’exécution. Descaves s’est attaché particulièrement à étudier cette époque. C’est du reste, chez lui, une véritable manie. Tout ce qui touche à la Commune l’intéresse spécialement. Chez lui, les volumes s’entassent concernant les événements et les hommes de la Commune. Et, détail à signaler, il a fait graver pour ses bouquins, un ex-libris, dessiné par Mlle Slom, la fille d’un ancien communard — naturellement — ex-libris, dont nous donnons la reproduction ci-dessous. Quiconque a pu voir Descaves au milieu de sa famille, entouré de sa femme et de ses jeunes garçons, reconnaîtra tout de suite cet ours mal léché, assis sur une échelle double, devant une bibliothèque.

Lucien Descaves est merveilleusement renseigné sur tout ce qui touche à la Commune. Il a accumulé les documents, mémoires, vieux journaux, paperasses de toutes sortes. Il a fait une enquête laborieuse sur les hommes de cette époque, cueillant des détails partout où il pouvait les trouver. Il les a suivis pas à pas, de 1871 à 1880, à Londres, à Genève, à Bruxelles, à Strasbourg, à New-York, en Nouvelle-Calédonie. Disons, à ce propos, qu’il se propose d’écrire leur histoire, ou tout au moins l’histoire de quelques-uns, dont Benoît-Malon, Félix Pyat, Versmersch, Gambon, etc. En attendant, il est en relation avec les derniers survivants de la Commune ; il recherche leurs veuves, leurs enfants, tout ce qui peut lui parler d’eux, lui fournir des tuyaux, des notes.

Une autre période intéresse aussi Descaves, la grande période révolutionnaire, mais à un degré moindre cependant. Chez lui, dans sa, bibliothèque, s’alignent des ouvrages presque introuvables aujourd’hui sur les Marat, les Hébert, les Maillard, les Babeuf. Et, contradiction surprenante, contrairement à tous les maniaques du bouquin, Descaves ouvre volontiers sa bibliothèque à qui peut s’en servir, met ses documents à la disposition de ses amis.

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Qu’ajouter ? On sait que depuis quelques années Descaves fait partie de l’Académie Goncourt. Il fut désigné non par Goncourt lui-même, mais parmi les sept premiers académiciens : Mirbeau, Huysmans, les Rosny, Marguerite, Hennique, Geffroy. C’est lui qui a le plus contribué — avec Mirbeau — à l’élection de Jules Renard, élection à laquelle applaudirent tous les lettrés. D’ailleurs, il prend ses fonctions au sérieux. Il ne se contente pas d’ouvrir négligemment les volumes qui lui sont adressés, il les lit consciencieusement, scrupuleusement, par devoir et ne se prononce jamais qu’en toute connaissance de cause. Devoir pénible quelquefois. Corvée souvent. De même, il ne refuse jamais son concours aux jeunes auteurs. Il est parmi ceux qui ont écrit le plus de préfaces. Il a préfacé les Souvenirs d’un révolutionnaire, de Lefrançais, l’ancien membre de la Commune (encore la Commune !), dont il est l’exécuteur testamentaire comme aussi celui de Joris-Karl Huysmans ! Il a préfacé les Cahiers Rouges de Maxime Vuillaume, l’ancien père Duchêne (toujours la Commune !). Il a préfacé les cinq volumes de critique dramatique de Barbey d’Aurevilly ; la Vie tragique des Travailleurs des frères Bonneff, etc., etc.

Actuellement, Lucien Descaves met la dernière main à un roman qui sera une suite à sa Colonne  ; ce roman aura pour titre Philémon vieux de la vieille ; il sera ainsi dédicacé : Aux vieux d’une autre vieille que la vieille à soldats.

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Nous avons résumé le plus possible, nous contentant d’esquisser à grands traits la physionomie ce grand travailleur qu’est Descaves. Nous n’avons pu qu’indiquer, en passant, ses meilleures œuvres. Nous nous défendons, d’ailleurs, d’écrire une page de critique littéraire. Ce n’est ni notre but ni notre rôle. Mais nous nous tiendrons pour satisfait si nous avons su faire partager à nos lecteurs l’estime et l’affection que nous professons pour l’auteur de Sous-Off’s. Certes, cela nous change des gredins politiques. Parmi les forbans dont nous avons eu à nous occuper, un modeste et un probe comme Descaves fait tache. Il se trouve en singulière compagnie et il s’étonnera quelque peu de figurer dans une galerie où les honnêtes gens se comptent. On ne peut pas cependant, laisser toute la place aux fripouilles qui triomphent suffisamment, au théâtre, dans le roman, dans l’Histoire et sur le Forum. Il faut bien accorder un petit coin à ceux qui, dédaigneux des triomphes faciles et passager, se contentent modestement de travailler et de produire, pour notre joie, des œuvres fortes et durables. Et c’est bien le cas de ce Lucien Descaves qui, jeune encore et portant un des noms les plus estimés de notre littérature, aurait pu se laisser guider par d’autres ambitions. C’est bien le cas de l’auteur de la Colonne et de Sous-Off’s, deux romans impérissables, parce que très vrais et très humains. Il n’y a, pour s’en rendre compte, qu’à s’arrêter un instant cher lui, dans la coquette maison pleine de livres et de fleurs qu’il habite rue de la Santé, tout au fond de la rive gauche, dans ce quartier où il est né et qu’il n’a jamais pu se décider à abandonner. Là, on trouvera l’homme accueillant, le camarade de lettres fraternel et serviable, parmi des paperasses éparpillées et des documents entassés. Et de sa fenêtre, il vous montrera du doigt, le sombre profil de la Santé, cette maison hospitalière qui abrite, depuis une année bientôt, un autre travailleur et un autre lutteur, aujourd’hui réprouvée, demain acclamé : Gustave Hervé.,

 

Lucien Descaves

Le 6 septembre 1949, mort de Lucien Descaves, à Paris.
Ecrivain libertaire
Fils d’un graveur, il naît à Paris le 18 mars 1861. En 1878, il ne peut poursuivre ses études faute de moyens financiers il entre alors comme apprenti dans une banque. De 1882 à 1886, il effectue son service militaire (4 ans), et commence une carrière d’écrivain naturaliste. En 1887, paraît Les Misères du sabre puis en 1889 Sous-Off’s fruit de ses observations de la vie militaire. L’ouvrage est vite taxé d’antimilitarisme et lui vaut des poursuites. A son procès, de nombreux écrivains se montrent solidaires ; il est finalement relaxé. En 1892, il devient rédacteur littéraire au Journal grâce à Séverine, collabore à L’Endehors de Zo d’Axa et à partir de 1895 aux Temps Nouveaux de Jean Grave.
Il est rédacteur à l’Aurore lorsqu’éclate l’affaire Dreyfus, il prend aussitôt son parti contre l’antisémitisme. En 1900, il écrit avec Maurice Donnay, une comédie pour le théâtre La Clairière inspirée des expériences communautaires des « Milieux libres ». La même année, il devient membre de l’académie Goncourt qui vient de se créer. En 1901, paraît La Colonne évocation d’un épisode de la Commune de Paris. A partir de 1904, il co-écrit de nouvelles pièces pour le théâtre. En 1913, revenant sur la « Commune » il publie Philémon, vieux de la vieille enquête pathétique sur la proscription communarde en Suisse. En 1914, paraît Barabbas (illustré par Steinlen) récit d’un chemineau qui refuse de se résigner. Durant la guerre de 14-18, il se joint à « l’Union sacrée » puis poursuit sa carrière littéraire. Après de nombreux romans et pièces de théâtre, il signe en 1946 avec Souvenirs d’un ours son autobiographie.
A noter que Lucien Descaves qui était en relation avec des communards, rassemblera une importante collection de documents sur la Commune de Paris qu’il remettra ensuite à l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam.
(...) je puis avoir à regretter beaucoup d’erreurs ; je n’ai à me reprocher aucune vilenie.

 Biographie extraite de l’Ephéméride anarchiste

 

Les hommes du jour n°43 du 14 Novembre 1908 - Lucien Descaves [PDF]

[*Ces genres de commentaires sont hélas courants à cette époque, Partage Noir