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« Le Libertaire » entre les deux guerres mondiales (1919-1939)

lundi 26 février 2024, par Maurice Joyeux (CC by-nc-sa)

Mais tant que nous subirons la honte que nous subissons, tant que la classe ouvrière organisée de ce pays subira la honte qu’elle subit, c’est-à-dire que tant qu’à la tête de la C.G.T. il y aura les hommes qui ont, depuis sept ans, le passé de reniement que nous connaissons, il n’y a pas de possibilité de s’entendre sur une orientation syndicale possible. Et le premier geste à faire, notre premier geste, camarades délégués dans ce congrès, c’est de nettoyer les écuries d’Augias et de vomir les gens qui, depuis 1914, ont manqué à toutes les motions passées des congrès précédents.

Louis Lecoin.
Intervention au congrès confédéral de Lille, septembre 1921.
Le Libertaire, septembre 1921.

1919. Pierre Martin a disparu, Louis Lecoin va prendre sa place pour animer Le Libertaire qui reparaît. De nouvelles signatures vont s’ajouter à celles qui ont survécu au carnage et à la désagrégation des consciences jetées dans ce pourrissoir qu’est l’état de guerre. Sébastien Faure essaiera bien, pendant cette période tragique, de faire paraître un journal : Ce qu’il faut dire, qui devra rapidement se saborder devant les menaces du pouvoir. Les anarcho-syndicalistes crieront avec les militants qui iront à Zimmerwald pour essayer d’arrêter la guerre : Cette guerre n’est pas notre guerre. Efforts infructueux, mais qui sauveront l’honneur du mouvement ouvrier. Les anarchistes, cependant, ne désarment pas. Ils feront paraître le 15 juin 1917 un numéro clandestin du Libertaire, ce qui vaudra à Lepetit, à Barbé, à Content, à Ruff et à Le Meillour des peines de prison importantes.

C’est le 26 janvier 1919 que paraît le premier numéro du Libertaire de l’après-guerre. Dans ce premier numéro, les anarchistes rejettent ceux d’entre eux qui, avec Jean Grave, Pierrot, Malato et quelques autres, ont participé à l’effort de guerre au côté des démocraties. Ils le font d’ailleurs avec dédain. L’éditorial du numéro 1 du journal déclare : Si nous avons un sujet à méditer, ce n’est pas sur la fragilité de nos doctrines, de notre idéal, mais bien sur le manque de conscience, sur la lâcheté, sur l’aberration dont firent preuve certains individus qui ne peuvent, à eux seuls, personnifier l’Anarchie. Loréal et Le Meillour, dans une série d’articles, vont dénoncer les « revenants », les « cadavres putréfiés ». Querelle qui ne sera jamais close, et Pierrot, dans Plus loin, posera un problème qui n’est pas encore résolu dans nos milieux : Si la participation à la guerre vide les principes pacifistes et antimilitaristes, la non-résistance aux armées d’invasion constitue une violation non moins grande du principe primordial de la résistance à l’oppression, un abandon au moins aussi grand de l’esprit de révolte. Question à laquelle j’essaierai pour ma part de répondre avec quelques amis pendant la Seconde Guerre mondiale et que je définirai dans La Rue du troisième trimestre 1971, à l’occasion de la mort de Louis Lecoin :

Louis Lecoin.

Nous refusions d’assumer les convulsions qui déclenchaient les guerres. Notre premier adversaire, c’était d’abord l’État et le capitalisme français qui nous mettaient en prison, c’était Vichy qui nous y maintenait, c’était le gendarme démocrate qui nous y conduisait, le soldat allemand ou américain qui voulait nous y maintenir. Dans de telles époques, la grande politique n’est plus de saison. L’adversaire, lorsqu’on ne veut pas faire la guerre et lutter contre l’oppression, il n’est pas besoin de sortir de l’X pour le définir ; le militant agit, c’est-à-dire dénonce l’oppression, et alors l’adversaire qui veut l’empoigner se démasque et la lutte s’impose. C’est une position dissemblable de celle de Lecoin. Elle n’est pas moins anarchiste que la sienne. Ce fut la nôtre, à nous qui refuserons toujours de faire une différence entre la servitude et la guerre.

Le Libertaire est reparti, il va prendre une part active aux mouvements sociaux qui secouent la société capitaliste de l’époque. Mais la grande affaire qui perturbe la bourgeoisie européenne, c’est la Révolution russe. Les anarchistes, dès 1917, ont manifesté de la sympathie pour la Révolution russe. Le Libertaire va d’abord, dans ses premiers numéros, proclamer que, malgré ses lacunes, la Révolution russe est un fait considérable, et Lepetit écrira dans le numéro de janvier 1921 : Un progrès immense est accompli sous le rapport moral, ce qui nous fait aimer quand même la Révolution russe malgré toutes ses erreurs.

De nombreux anarchistes se rendent à Moscou aux congrès de l’Internationale politique ou syndicale. Ils rentrent désabusés. On peut dater la rupture du Libertaire avec les communistes russes et ses représentants en France avec la disparition inexplicable de Lepetit, de Lefebvre et de Vergeat lors de leur retour de Russie et en route pour la France pour participer au congrès confédéral de la C.G.T. où ils devaient rendre compte de leur délégation. Un livre excellent de Mauricius, également délégué à Moscou et qui raconte ses mésaventures, rompra le charme. La révolte de Cronstadt finira de déchirer le voile. Dans le numéro du journal de novembre 1921, Gaston Leval, qui lui aussi rentre de Moscou, est particulièrement sévère avec les bolcheviks : [...] On a fait des syndicats des instruments au service du parti, on a empêché leur évolution normale, leur éducation, leur adaptation logique aux besoins de la révolution ; par la violence, la prison, la déportation, l’annulation des élections et beaucoup d’autres procédés du même genre, l’accomplissement de leur mission a été rendu impossible.

Lepetit, Lefebvre et Vergeat en Russie durant l’été 1920. Cartoliste

La désillusion des rédacteurs du Libertaire est d’autant plus profonde qu’en France les anarchistes ont engagé la lutte contre les réformistes, mais également contre les communistes pour la conquête de la C.G.T.

Au lendemain de la guerre, la lutte des tendances va reprendre au sein de la C.G.T. entre les réformistes et les révolutionnaires que la conversion de quelques-uns de ces derniers au bolchévisme va encore compliquer. Le Libertaire, naturellement, va participer à tous les efforts tentés par les anarcho-syndicalistes pour conquérir l’appareil confédéral. Le point culminant sera le Congrès de Lille de 1921, qui verra la scission entre les deux grands courants du mouvement ouvrier. Cependant, les militants de l’Union anarchiste – qui vient d’être constituée et dont Le Libertaire est devenu le moyen d’expression – marqueront leur distance entre eux et l’anarcho-syndicalisme inspiré par Pierre Besnard et qui domine la minorité syndicaliste-révolutionnaire rassemblée dans les Comités syndicalistes révolutionnaires, les C.S.R.

Aux yeux des anarchistes, l’anarcho-syndicalisme doit être conforté par l’anarchie, et dans Le Libertaire de janvier 1921, Veber écrit : Que nos amis qui militent dans cette organisation nouvelle, C.S.R., sachent bien que nous applaudirons toujours leurs efforts et qu’ils nous trouveront à leurs côtés pour défendre le syndicalisme. Cela d’autant mieux que nous allons plus loin qu’eux-mêmes puisque nos volontés sont tendues vers l’indépendance des individus, et, dans une controverse avec Monatte, qui ne va pas tarder à rejoindre le Parti communiste, Georges Bastien rappelle que le mouvement syndical propose aussi bien la défense des revendications immédiates que la révolution sociale.

Pierre Besnard

Les débats du congrès C.G.T. à Lille seront tumultueux et Le Libertaire va en donner un compte rendu détaillé non sans mettre en évidence les interventions de Lecoin, de Colomer et de quelques autres, ainsi que, bien entendu, sa version du coup de revolver que Lecoin tirera dans les limpes pour rétablir le calme. Il va naturellement informer ses lecteurs des suites de la scission intervenue à Lille, de la constitution de la C.G.T.U. dont Besnard sera le premier secrétaire avant d’être délogé par les communistes. Le journal appuiera tous les efforts des anarcho-syndicalistes pour reconquérir la direction de la nouvelle centrale syndicale. Ils échoueront. Le Libertaire va alors prendre ses distances avec les divers courants de l’anarcho-syndicalisme dont certains sont restés à la C.G.T., dont d’autres iront à la C.G.T.-S.R., alors qu’une minorité, dont je fus, continuera d’appartenir à la C.G.T.U., clivage entre les organisations syndicales auxquelles adhéreront les anarchistes, qu’on retrouve encore de nos jours, et que l’émigration russe à partir de 1930 et la guerre d’Espagne ne feront qu’accentuer.

Mais si la Révolution russe et la lutte pour la conquête de l’organisation syndicale marquent les premières années du Libertaire, d’autres problèmes vont trouver leur place à la « une » : le coup de revolver que Cottin tirera sur Clémenceau, celui de Germaine Berton contre Plateau, l’assassinat de Philippe Daudet, entre autres, comme l’affaire Fantomas où des ouvriers trouvèrent la mort dans une bataille entre communistes et anarchistes. Pourtant, aucun de ces faits divers n’obtint autant de place dans les colonnes du journal que le problème de l’organisation.

Avant la guerre, Le Libertaire avait été le journal d’un homme, puis d’un groupe, et à la fin de la guerre il va encore, pour un moment, être l’émanation de quelques militants : Content, Lecoin, Le Meillour, Loréal, etc. Après le congrès constitutif de l’Union anarchiste, il va devenir, pour la première fois, le journal d’une organisation. Dès le numéro 1 du Libertaire, Lecoin avait posé le problème de l’organisation : Le parti doit être organisé sur des bases fédéralistes, écrivait-il, laissant la plus complète liberté aux groupes, et Georges Bastien expliquait dans un numéro de septembre 1921 : Nous n’obtiendrons notre maximum de rendement au point de vue propagande et action que par l’organisation. Nous ne lutterons avec efficacité contre les partis... que par l’organisation.

Photo de groupe avec Nestor Makhno, Galina Kouzmenko, Piotr Archinov, etc. Cartoliste

C’est à partir de ce problème de l’organisation tel que le posèrent un certain nombre d’anarchistes russes réfugiés en France avec Archinoff et Makhno que s’ouvrira dans les colonnes du journal une polémique sur la plate-forme. Le Libertaire, dans son numéro de fin avril 1932, passera la mise en garde de Novik, secrétaire du Club progressiste de Chicago, qui constate : Ayant reconnu tous les principes sus-indiqués du bolchévisme, avec toutes les conséquences logiques, Archinoff, de par ce fait, se met hors des rangs du mouvement anarchiste. Cependant, l’organisation de l’Union révolutionnaire anarchiste reste à l’ordre du jour et Bastien dira dans Le Libertaire de 1925 : Ils ont tous peur de voir mutiler leur Moi dans une organisation. C’est pourquoi ils la rejettent d’une façon catégorique et détournée, chicanant sur chaque minuscule détail. Tout leur répugne à l’association régulière.

Vers les années 30, de nouvelles signatures sont venues enrichir la rédaction du journal, et la bataille entre les « plate-formistes » et les « synthésistes » fait rage : ce sont celles de Lasborde et de Nicolas Faucier, un jeune militant qui jouera un rôle important par la suite et qui écrit dans le numéro de fin décembre 1931 : Il ne suffit pas de dénoncer la malfaisance du capitalisme à tout venant et de préconiser la révolution comme une panacée, un remède. La lutte révolutionnaire est de tous les jours. En attendant l’heure du grand soir, c’est bribe par bribe que nous devons arracher les améliorations qui porteront le germe des espoirs vers des actions plus fécondes. Ce qui est encore vrai de nos jours !

Ernestan

On relève également la signature, dans le journal de cette période, d’un militant belge de grande valeur auquel on n’a pas rendu l’hommage que son œuvre méritait ! Il s’appelait Ernestan et il écrivit : L’anarchisme ne remplira son rôle social que nous lui reconnaissons, le socialisme libertaire ne sera une réalité que le jour où il sera conçu et exprimé avec la netteté indispensable..

Enfin, il faut souligner, dans Le Libertaire de décembre 1931, que Jean, rendant compte du congrès de la C.G.T.U., dénonce cette petite canaille de Gitton qui, pendant des années, sera l’homme de la préfecture au bureau politique du Parti communiste et qui sera abattu pendant l’Occupation par les clandestins du parti : C’est un jeune, Gitton, qui avait la charge d’arracher le masque unitaire de la C.G.T.U. Le seul fait de le voir nommé rapporteur est tout un symbole. C’est le type parfait de la génération neuve de formation exclusivement bolchévique, sans aucune conscience syndicaliste, que Moscou impose à la direction des affaires de la C. G. T. U.. On ne saurait mieux dire !

Dans l’Union anarchiste révolutionnaire, la thèse de l’organisation finira par triompher avec, comme corollaire, les cartes d’adhésion et les timbres de cotisation qui ont tant fait hurler les « purs ».

Mais des problèmes plus urgents vont solliciter le journal de l’Union anarchiste. Le fascisme, qui a triomphé en Italie et en Allemagne, pointe son nez en France. Le 6 février, les ligues descendent dans la rue. Il y a des morts. Au Congrès de Paris de 1934, le mouvement se ressoude. Pas pour longtemps d’ailleurs, car le 16 août se crée à Toulouse la Fédération anarchiste française. La guerre d’Espagne et le Front populaire vont aggraver les divisions entre les deux organisations dissidentes. De nouveaux militants vont animer le journal à la veille de la Première Guerre mondiale : Anderson, Frémont, Scheck, Ridel !

Durruti, Ascaso et Jover

Le Libertaire, depuis des années, soutenait avec vigueur les campagnes de Louis Lecoin pour la défense des militants ouvriers emprisonnés – campagne pour la libération de Sacco et Vanzetti qui débutera en 1921 et se clôturera avec l’exécution des deux anarchistes par le gouvernement américain. Le journal patronne toutes les manifestations, et, dans le numéro du 4 novembre 1921, son éditorialiste écrit : Jusqu’au bout, jusqu’à la libération de Sacco-Vanzetti, les travailleurs français, pour effacer la honte dont la carence de leurs chefs les entâche, poursuivront avec la même conviction, avec la même ardeur et le même courage l’agitation énergique et intense qu’ils ont si bien commencée. Campagne pour la libération d’Ascaso et de Durruti, des militants espagnols réfugiés en France et emprisonnés.

L’Union anarchiste, comme son journal Le Libertaire, sera toujours insensible à l’évolution de l’anarchisme en Espagne où l’organisation anarcho-syndicaliste a pris une dimension internationale et compte un million d’adhérents.

La guerre civile en Espagne débute le 17 juillet 1936. Lecoin constitue immédiatement un comité pour l’Espagne libre qui organisera des meetings aux tribunes desquelles défileront des personnages importants de l’époque : Jouhaux, Marceau Pivert et même Cachin. Le Libertaire du 8 décembre 1936 précise toutefois : Nous avons le devoir de surmonter, au moins pour l’instant, le déplaisir que nous causent certains contacts. Enfin, le journal va donner la plus large audience à Solidarité internationale antifasciste, organisme créé par les Espagnols pour aider le mouvement anarchiste espagnol dans sa lutte sur deux fronts : contre les troupes de Franco et contre les staliniens qui avaient entrepris, avec l’aide de Moscou, de liquider le mouvement révolutionnaire espagnol. Naturellement, la lutte anti-fasciste va poser quelques problèmes au mouvement anarchiste, par nature pacifiste, antimilitariste. Le Libertaire écrira, avec la caution de Sébastien Faure : Le choc dramatique est devenu fatal entre l’Espagne des palais et des châteaux et celle des taudis et des chaumières, entre l’Espagne des privilégiés et des déshérités, entre la misérable minorité qui est affamée de domination et d’autorité et l’immense multitude qui est assoiffée de révolte et de liberté.

André Prudhommeaux

La solidarité du journal avec la C.N.T. espagnole s’exercera sur tous les plans, même si la politique de la direction de l’organisation oblige les militants à avaler certaines couleuvres. Les membres de l’Union anarchiste vont franchir les Pyrénées pour constituer la centurie Sébastien Faure et feront taire leurs scrupules par le cri : Miliciens, oui ! Soldats, jamais !. L’entrée de quatre ministres anarchistes dans le gouvernement Caballero va soulever quelques remous dans l’Union anarchiste et des réserves de militants de la qualité d’André Prudhommeaux et de Voline, dont le journal L’Espagne antifasciste exprima les critiques des militants de la F.A.F. Il fallut attendre 1937 pour que Sébastien Faure, à son tour, mette en question dans Le Libertaire la politique de la C.N.T. espagnole.

Le Libertaire avait accueilli très froidement la création par Pierre Besnard de la C.G.T.-S.R. Les militants sont pour l’union syndicale, et le journal, en 1936, écrit à propos du Congrès de Toulouse : L’esprit syndicaliste l’a emporté et préconise la formation de groupes d’usines pour faire pièce aux communistes. Le Libertaire saluera l’immense mouvement de grève qui, en 1936, se répand sur tout le pays, même s’il fait des réserves sur le Front populaire, et Faucier rappelle, dans le numéro de juillet 1936, que le contrat collectif ne doit pas se borner à réglementer les rapports entre patrons et ouvriers dans la paix sociale.

Nicolas Faucier

Mais la guerre est là, et la victoire de Franco en Espagne est le prélude à la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci laissera les anarchistes désemparés. L’enquête que mène Le Libertaire auprès de ses lecteurs dans : « Précisons notre pacifisme » révèle le désarroi de notre mouvement, impuissant à arrêter une guerre que la population s’apprête à subir avec résignation. Dans un dernier cri, Maurice Doutreau titre son article : « Qu’ils y aillent et qu’ils en crèvent ! » C’est effectivement ce que va faire, sous prétexte d’antifascisme, cette génération du Front populaire. Elle est bien loin l’illusion de la grève générale révolutionnaire. Lecoin et Faucier essaieront de sauver l’honneur en publiant le tract fameux : « Paix immédiate ». Quelques-uns disparaîtront dans la nature et je fus de ceux-là ; d’autres pratiqueront le débrouillage individuel. La plupart, résignés, répondront à l’appel. Le dernier congrès avait donné des consignes : en cas de guerre, les militants doivent sauver leur peau et réaliser une organisation clandestine leur permettant de rester en liaison, même si toute propagande est impossible. De cette façon, ils pourront agir à partir de 1943 dans un regroupement qui préfigurera ce que sera la Fédération anarchiste et son journal Le Libertaire à la Libération.

Ce Libertaire d’entre-deux-guerres conservera son aspect classique qui fut le sien dès son origine. Les anarchistes sont traditionalistes, y compris dans le lettrage qui forme le titre du journal. Son tirage variera peu, un peu plus d’un millier d’abonnés, un tirage un peu plus fort imposé par sa distribution dans les points de vente du trust Hachette, 15 000 à 20 000 numéros pour une vente de 6 000 à 7 000 exemplaires, avec des pointes les jours de fièvre. Après l’affaire Daudet, le journal sera quelques temps quotidien, pour revenir à cette sage parution hebdomadaire qui lui est traditionnelle. Contrairement à ce qu’on voit de nos jours, l’actualité politique tient peu de place dans ses colonnes, réservées à l’action ouvrière, à la propagande antimilitariste et à la doctrine anarchiste. C’est un journal construit « à l’ancienne », qui n’a pas encore adopté les évolutions de la presse quotidienne. Disons qu’il est austère, journal de militants fait par des militants pour des militants, et qu’on achète plus par devoir que par plaisir. Les articles, longs comme des jours sans pain, sont pourtant bien construits par des autodidactes qui se sont donné une culture solide, qui cultivent pourtant encore le complexe d’élite du mouvement ouvrier. Pour ce texte, je viens de relire d’innombrables numéros de ce journal d’entre les deux guerres mondiales où j’ai appris l’ABC de l’Anarchie, et je suis étonné de la qualité de style et de la réflexion de nos anciens, de leur clairvoyance surtout [1].


[1Lire la collection du Libertaire à la Bibliothèque nationale et la première partie du second volume : Le Mouvement anarchiste en France de Jean Maitron, éditions Maspéro, auquel il a été fait de nombreux emprunts pour construire ce texte.