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Partage Noir - 1990

Les squatts

mercredi 15 mai 2019, par Partage Noir (CC by-nc-sa)

1. Qu’est-ce que squatter ?

Le mot désigne le fait d’occuper illégalement un logement. Quelques précautions sont nécessaires. Nous extrayons les conseils suivants d’un numéro épuisé de la revue Avis de recherche consacré aux squatts (n°3). Vous pouvez leur écrire : BP 53, 75861 Paris cedex 18.

1. Repérer un immeuble ou une maison vide depuis plus de six mois. Il est préférable de le choisir dans un quartier où il y a déjà des logements occupés, histoire de profiter de leur expérience et n’être pas trop isolé face à la répression.

2. Pour connaître le nom et l’adresse du propriétaire, il suffit d’aller au cadastre de sa ville, mais il est parfois aussi simple de se renseigner auprès des commerçants du coin. Certains squatters choisissent en priorité des immeubles étant la propriété de régies immobilières, d’administrations ou de municipalités et évitent les particuliers.

3. Se rendre ensuite au service d’urbanisme opérationnel de la mairie afin de savoir si des travaux sont prévus dans les mois à venir, ceci afin de connaître la durée de disponibilité de l’immeuble. (dates des éventuels permis de construire ou de démolir).

4. Certains squatters essayent, à ce moment-là, de négocier un bail précaire avec le propriétaire en titre et deviennent, en quelque sorte, des « squatters légaux ». Mais si vous ne voulez pas négocier un bail précaire ou si cela n’est pas possible, vous avez maintenant toutes les données pour passer à l’acte.

5. L’occupation d’une maison inhabitée depuis plus de six mois n’est pas un délit si elle s’effectue sans effraction. Il faut donc que vous trouviez porte ouverte quand vous arrivez. Certains précautionneux n’hésitent pas à faire constater le fait par un huissier.

6. Ce sont les premières heures les plus longues. Ce n’est qu’après avoir habité officiellement l’immeuble vide pendant 48 heures que le propriétaire ne pourra vous faire expulser sans engager une procédure juridique. Certains rusés conseillent de se faire envoyer du courrier à l’adresse avant de l’occuper effectivement (le cachet de la poste tenant lieu de preuve d’habitation depuis plus de 48 heures).

7. Avant toute chose, fermez vos portes et changez les serrures. Assurez dans les tout premiers jours une présence constante pour éviter toute surprise.

8. Faire faire un état des lieux avec huissier peut, là encore, être utile pour éviter ensuite d’être accusé de dégradations. Certains constituent un dossier en y joignant des photos.

9. Faîtes-vous brancher ensuite l’électricité et même le téléphone si vous le désirez, en téléphonant aux services concernés et en vous faisant établir un contrat.

10. Dresser une liste des personnes à contacter en cas de besoin (réseau téléphonique par exemple) et faites connaissance avec les voisins et les gens du quartier.

11. Votre situation est. maintenant celle d’un locataire sans droit ni titre, selon l’expression consacrée légalement, personne ne peut, plus vous expulser sans procédure judiciaire. Le propriétaire doit s’adresser à la justice ; quant à la police, comme n’importe quel citoyen, elle ne peut entrer chez vous ni perquisitionner sans commission rogatoire en bonne et due forme.

12. Quand le propriétaire de l’immeuble occupé s’apercevra de votre présence (cela peut être très long), il vous fera parvenir par huissier (encore lui !) une « sommation de déguerpir ». Il s’agit seulement d’un avertissement intimidatoire avant l’assignation en tribunal.
Plusieurs attitudes sont possibles : chercher un autre logement ou lutter. Dans ce cas on peut mener une « guérilla juridique » (demander une aide judiciaire, cela couvre généralement les frais de justice) ou si le quartier est occupé par de nombreux squatters, certains décident de jouer l’affrontement. Aucune des solutions n’est parfaite. Dans certains pays, les squatts ont pu durer tout à fait illégalement en raison de leur combativité, et en France, on a vu des squatters en pleine procédure juridique tout à fait légale se faire quand même expulser par la police. Il faut donc doser l’un et l’autre en fonction du rapport de forces.

2. Histoire-géographie du squatt

Bien qu’il y ait toujours eu des occupations sauvages de logements, le mouvement démarre vraiment vers 1915 en Angleterre et en France (voir notre article sur G. Cochon). Après-guerre, le mouvement s’étend. Les autorités anglaises tentent de légaliser certaines occupations vers 1971 mais les squatters se politisent. En Italie la crise de la construction provoque un phénomène similaire. Au début des années 80 la police dénombre plus de 70 000 occupations sauvages. Mais les deux pays les plus représentatifs sont l’Allemagne et la Hollande. A Berlin l’essor du mouvement alternatif à partir de 1978 permet de coordonner l’action des squatters. Aux logements occupés s’ajoutent des lieux d’animation, des cafés... En 1983 on comptait 150 immeubles occupés ! La Hollande possède elle aussi un mouvement à grande échelle, les krakers, apparus dans les années 70. Eux aussi dépassent la simple occupation pour créer des cabinets juridiques, des journaux, des ateliers. Les squatters se regroupent pour aider un nouveau à occuper un logement ou pour empêcher des expulsions par des affrontements très violents avec l’appui ou la sympathie de la population.

En France un mouvement s’esquisse dans l’après Mai 1968. L’apogée des squatts parisiens se situe vers la fin des années 1970 - début des années 80 et correspond sans doute aux opérations de « rénovation » de la capitale, terme pudique pour cacher le départ des gens d’origine modeste. De nombreux logements sont laissés inoccupés pour être rasés. C’est là que les squatters mèneront un combat perdu à cause de la propagande officielle relayée par la presse (équation simpliste : squatt = drogue et criminels) et une répression très violente et peut-être aussi d’autres raisons comme la désunion des squatters parisiens, le manque de contacts avec la population.

3. Stratégies des squatters

Plusieurs démarches mènent au squatt :

 Une démarche toute simple, on occupe (tout seul ou à quelques-uns) pour résoudre ses problèmes de logement. On ne peut les dénombrer en raison de leur discrétion.

 Une démarche collective à raison sociale, la pauvreté et la marginalisation de groupes est telle qu’ils squattent faute de mieux. Ce sont par exemple les squatts d’immigrés. Comme là encore la débrouillardise prévaut, il est facile au pouvoir de s’en débarrasser par le pourrissement et par un discours raciste (Ilôt Châlon à Paris).

 Une démarche purement politique, même si le logement est un problème, on n’attache pas d’importance à l’expulsion ou aux conditions d’habitation. Il s’agit avant tout de créer l’illusion d’une subversion politique en faisant "chier" les autorités, quitte à s’en prendre aux squatters qui tenteraient d’aménager leur logement ou de mener une vie associative. Il est certain que l’éphémère courant qu’a été l’Autonomie (sous l’influence de théoriciens marxistes) a beaucoup contribué à cette démagogie verbale plutôt néfaste.

 Une démarche sociale et politique, c’est la plus constructive qui tente de régler ses problèmes de logement avec un discours associatif ou politique, la plus intolérable pour le pouvoir. « Les projets des squatters qui installent de nouveau l’animation dans les quartiers, dans la rue, lieux privilégiés de la communication, rencontrent la volonté maladive de nuire dans la volonté du pouvoir de détruire toute expérience émancipatrice des individus. » (François, le Monde libertaire).

On peut citer les expériences passées du squatt des Cascades ou des Occupants-rénovateurs du XIXe arrondissement, probablement plus constructives.

En France, le squatt a vite rencontré des limites et le mouvement a disparu (provisoirement ?). Sans doute à cause de la répression. Il y eut un consensus de droite à gauche pour les liquider à Paris ; le Nouvel observateur déclarait à propos de la série d’expulsions qu’un certain squatt était « le dernier abcès à vider ». Ouf ! Et le peuple au fin fond des banlieues !

D’autre part il y avait des conflits internes entre squatters qu’il ne faut pas nier. Un ancien des Cascades déclarait de façon un peu désabusée : « Il y avait en notre sein des individus pour qui la violence était le seul moyen de résoudre les conflits. Avec les flics, O.K. Mais avec les voisins ou entre nous, ça ne passait plus. (...) D’où toute une série d’embrouilles creusant un fossé de plus en plus net. Nous ne voulions plus y tolérer de tels agissements, ni certains individus, sans pour autant faire de surenchère. Le regroupement, contre nous, de ces gens (...) s’est fait sur une base minimum. C’est des alternatifs, inoffensifs, racketteurs (à cause des concerts rocks dans les squatts, NDLA)... En fait ils ne nous ont jamais formulé une critique sérieuse ». (brochure No man’s land)

Enfin, la dissolution de la vie de quartier a peut-être empêché une solidarité locale (certains squatters ne se sont-ils pas aussi volontairement marginalisés ?). Une solution serait l’intégration des squatters dans des comités de lutte de locataires (à créer) surmontant ainsi les réticences de ces derniers. Il est évident que nous n’avons pas de solution idéale, mais nous avons tenu à signaler certains problèmes afin que l’on tente de les résoudre la prochaine fois. Raconter l’histoire des squatts sur le ton de l’épopée aurait été évidemment plus plaisant.

De toute façon, le principe du squatt trouve très vite des limites. Généralement il dure peu de temps à cause de la répression ou s’il se maintient c’est soit parce que le pouvoir ne peut pour l’instant le supprimer (dans ce cas le squatt est en sursis) soit, parce qu’il y a intégration (on entérine l’occupation) et cela devient un logement comme les autres ou, au mieux un espace alternatif. Le squatt est une solution partielle mais notre combat pour le logement se veut plus large.

Jusqu’ici nous avons surtout parlé de gestion de logements préexistants, mais il y a aussi la construction. Une assemblée générale peut réunir les habitants et les partenaires concernés (services de maintenance technique : électricité, téléphone : services à vocation sociale : crèches, hôpitaux et tous les délégués locaux) qui décideront ensemble de la viabilité des projets.