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Les élections - Les anarchistes et la situation politique en 1978

dimanche 24 mars 2024, par Groupe Libertaire Fresnes-Antony (FA) (CC by-nc-sa)

Vingt ans de pouvoir...

1958. Le général De Gaulle monte sur Paris, renverse les institutions de la Quatrième République et s’autoproclame Président des Français. Ce coup d’État qui marque une rupture historique, une période de transition dans la société française entre la IVe et la Ve République marque la volonté délibérée d’une droite qui, pour maintenir et renforcer son pouvoir, doit rompre inévitablement avec une gestion politique et économique dont le but proclamé était d’unir toutes les traditions « démocratiques » françaises dans un seul et même État.

En 1959, quand De Gaulle se fit plébisciter par voie de référendum, la situation politique de la France avait changé. De Gaulle avait pu réaliser l’unité de la droite derrière son personnage ; il n’existait plus qu’une seule force politique imposante et puissante, le mouvement gaulliste qui laissait derrière lui une gauche bien faible, divisée, dont le discrédit n’avait fait que s’accroître depuis l’épisode de la guerre d’Algérie. C’est dans cette période que la bourgeoisie française va rédiger la nouvelle constitution qui, de son premier article jusqu’au dernier, va être un ramassis de lois qui sanctionne un régime bâti sur un coup d’État, irrespectueux des libertés les plus élémentaires.

Parallèlement à cette attaque sans précédent contre les droits du peuple français, le patronat va mener une offensive économique caractérisée par un désir d’élever toujours plus haut la quantité de production et de rentabiliser au maximum la main-d’œuvre.

Jusqu’en 1965, malgré des hauts et des bas (notamment le réflexe de peur suscité par le nombre de suffrages qu’obtient François Mitterrand lors des élections présidentielles de 1965), la bourgeoisie française va connaître une période de prospérité économique : la production, les stocks augmentent jusqu’au jour où ce bel édifice, d’apparence solide, va laisser s’échapper des failles qui vont devenir par la suite irrésistibles. La première nation industrielle mondiale, les U.S.A., va être la première touchée par ce qu’on appelle communément la crise. Un pourcentage de rentabilité insuffisant dans la production ainsi qu’un déficit de la balance des paiements vont amener les U.S.A. à prendre un certain nombre de mesures tels que le flottement du dollar, la non-convertibilité, etc., qui se révéleront d’ailleurs par la suite totalement inefficaces.

Mais les U.S.A., de par leur situation économique dans le monde, vont « frapper » dans le dos les économies occidentales. En instituant la non-convertibilité suivie du flottement du dollar, les dirigeants américains savaient pertinemment que les nations occidentales allaient inévitablement plonger dans un déséquilibre dramatique pour leurs économies respectives. Conséquence logique de cette situation, les prix vont connaître une forte hausse (l’inflation), d’où une baisse de la consommation et enfin un nécessaire réajustement de la production entraînant avec lui la fermeture d’entreprises, les licenciements, ce qu’on appelle en clair la mise au chômage d’un certain nombre de travailleurs.

Nous n’allons pas continuer plus loin cette recherche économique, nécessaire et fondamentale quant à la compréhension anarchiste des événements d’aujourd’hui, tel n’est pas l’objet de cet article. Qu’il nous suffise simplement de dire ici que la société française, comme les autres nations occidentales, est en proie à une crise économique dans laquelle le capital ne pourra plus se relever. Pris dans le cercle infernal de l’inflation et du chômage, dans l’incapacité qu’il a à résoudre cette situation (quand il veut stopper l’un, il augmente l’autre) le seul recours pour le patronat va être alors de mener une politique d’austérité dont les travailleurs feront naturellement les frais.

C’est vers le début de l’année 1966 que le monde du travail va être frappé par cette crise. Des grèves éclatent ici et là sans pour autant mettre en danger le régime, les organisations syndicales restent peu combatives et se contentent de dénoncer verbalement les exploiteurs. L’affrontement majeur, qui existe dans la société française, est dirigé sur le plan politique et non dans le social. En effet, c’est en 1967 qu’ont lieu les élections législatives ; la droite commence alors à être discréditée pour sa mauvaise gestion économique, la gauche conclut un accord électoral entre le Parti Communiste et l’Union de la Gauche Démocrate et Socialiste. Incontestablement, la situation de 1967 par le retournement d’alliance qu’elle engendre, laisse entrevoir une nouvelle transformation de la vie politique française caractérisée par une alliance « durable » entre P.C. et socialistes d’une part, et par la division analytique et programmatique des forces de droite d’autre part ; nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.

Les élections de 1967 vont reporter pour une nouvelle législature la droite au pouvoir mais au début de l’année 1968, l’agitation qui commence dans les facultés parisiennes, va remettre en cause un processus politique jusque là bien établi. Durant le mois d’avril, les universités vont être en effervescence ; les étudiants descendent dans la rue et le petit incident de Nanterre va faire grain de sable dans tout le pays. A Nantes, le personnel de l’usine Sud-Aviation, sous l’impulsion des militants anarchistes et syndicalistes-révolutionnaires, occupe l’entreprise ; ce sera le départ de la grève générale qui gagnera les lycées, les ateliers et les bureaux. Durant un mois le pouvoir se trouvera dans la rue. De Gaulle, pris de panique, rejoint Massu à l’étranger tout en donnant des instructions très précises au ministère de l’Intérieur et des Armées. La grève continue, le portemonnaie des travailleurs devient de plus en plus léger et après un mois d’agitation tout rentre dans l’ordre : les étudiants dans les facultés, les ouvriers dans les usines, les employés dans les bureaux.

Mai 68 aurait pu déboucher beaucoup plus loin si les organisations syndicales avaient refusé la mascarade des accords de Grenelle, véritable symbole de la collaboration des classes. Les différents mouvements révolutionnaires de l’époque, l’extrême-gauche et les anarchistes, bien qu’ayant un énorme courant de sympathie autour d’eux, ne furent pas en mesure d’avancer une alternative crédible faute d’une capacité organisationnelle et militante suffisante. Mai 68 va donner matière à réflexion pour les militants anarchistes : d’abord il faut être prêt à assumer toutes les conséquences d’une situation révolutionnaire et pour cela renforcer l’organisation spécifique ; ensuite et suivant cette démarche, une période révolutionnaire dure un certain temps mais qu’elle ne saurait durer indéfiniment. C’est bien parce qu’au bout d’un mois de grève les travailleurs ont eu sur le bout des lèvres l’éternelle question Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?, Faut que je bouffe... que Mai 68 n’a pu avoir un prolongement durable.

Mai 68 n’a pas été qu’un échec au sens strict du terme, loin s’en faut. La domination idéologique pressante exercée depuis l’apparition de la radio et de la télé va être balayée d’un seul coup et au fur et à mesure, la population va se donner progressivement une conscience politique qui, dans bien des foyers, va changer la vie. L’apparition sur la scène politique d’une force « incontrôlée » qui inquiète les partis traditionnels parce qu’ils luttent contre eux, pratiquant l’action directe, le sabotage, les séquestrations... va aller de pair avec le renouveau des idées libertaires dans lesquelles nombre de militants ouvriers et syndicaux vont se retrouver.

Après dix années de pouvoir personnel, De Gaulle va finir sa carrière politique à Colombey. Une majorité de NON se dégage lors du référendum de 1969, les élections présidentielles commencent. Pompidou, ancien Premier ministre de De Gaulle, gagne la bataille et le régime de corruption de la Cinquième République continue son bonhomme de chemin à la différence, cette fois, que les syndicats, sous la pression de la base, vont se montrer plus combatifs et que les partis de gauche signent un programme commun en 1972. Frappé par la maladie, Pompidou rend l’âme en 1974. C’est là véritablement que la situation politique du pays va connaître un nouveau dynamisme et un nouveau visage.

Dès le début de la campagne électorale, les tensions se font de plus en plus fortes au sein de la droite. Celle-ci est dépourvue de personnalités qui pouvaient par le passé incarner l’« unité et la grandeur de la France ». Les conflits entre gaullistes, libéraux et centristes vont rejaillir de plus belle, ce qui aboutira à une bataille de voix entre Chaban-Delmas qui incarne la vieille U.D.R. et Giscard d’Estaing, jeune loup des finances et de la politique, qui représente le courant libéral et centriste. La progression de la gauche, déjà remarquée lors des élections législatives de 1973, va définitivement couper le courant « majoritaire » en deux ; les années 1975, 76, 77 poussent les partis de droite à saccager leurs organisations, l’U.D.R. se transforme en R.P.R., les Républicains Indépendants en P.R.

Dès lors, les divergences de programme qui portent sur la stratégie à employer pour barrer la route à la gauche, vont aller en s’accroissant. Le Parti Républicain, s’inspirant de la situation portugaise et ouest-allemande, pense qu’il existe une profonde coupure entre la social-démocratie du P.S. et le communisme totalitaire du P.C. L’objectif sera donc d’essayer de rassembler ces socialistes en utilisant leur crédit électoral pour former un gouvernement incolore qui ne s’occupe que d’économie, laissant loin derrière lui la politique.

La vision du R.P.R. est toute différente. Pour lui, le P.C. et le P.S. ont signé un programme en 1972. Ce programme est un programme de gestion commune de la société française et il sait bien que socialistes et communistes, s’ils veulent un jour arriver au pouvoir, auront besoin de l’un et de l’autre. A partir de cette analyse, le R.P.R. pense qu’il ne sert à rien de jouer sur la diversion entre socialistes et communistes ; ce qu’il faut pour sauver la France du péril Rouge, c’est que dès maintenant s’organise une offensive politique contre la gauche, terrain trop souvent délaissé par la droite.

En organisant des centaines de meetings dans le pays, construisant des sections d’entreprises et un mouvement de jeunes, le R.P.R., bien que dirigé par les vieux démons du gaullisme, devient une force militante et dynamique qui séduit tout une petite-bourgeoisie déclassée touchée par la peur du communisme. Pour battre la gauche, Chirac va effectivement utiliser ce réflexe de peur, stratégie qui s’est révélée extrêmement payante que ce soit dans les pays latins ou sud-américains.

Les réunions du comité de liaison de la majorité ne changeront rien à cette situation. En opposant aux ministres-candidats à la députation désignés par Raymond Barre des candidatures strictement R.P.R., Chirac et les siens mènent ainsi le combat frontalement contre le Président Giscard d’Estaing. En formant des candidatures d’unité radicale-centriste et libérale, le Parti Républicain constitue un front anti-R.P.R. que personne ne pourrait nier aujourd’hui.

La réalité est bien présente : la bourgeoisie est à long terme incapable de résoudre la crise économique, entre une politique dure et autoritaire contre les travailleurs et une autre qui tendrait à faire avaler la carotte de manière plus coulante, la droite au pouvoir depuis plus de vingt ans se trouve divisée dans des questions stratégiques. Il ne s’agit pas pour les travailleurs de savoir comment on peut mieux les berner, R.P.R. et P.R. ont au moins en commun un choix de société : celle qui nie les droits des travailleurs et qui les exploitent par l’intermédiaire du capital et de l’État.

La droite au pouvoir ? Un million cinq cent mille chômeurs, le pouvoir d’achat en baisse, le droit syndical bafoué, l’inégalité constante entre l’homme et la femme, les centrales nucléaires qu’on impose, les nervis du S.A.C. et de la C.S.L. (ex-C.F.T.) contre les travailleurs en lutte, le racisme vis-à-vis des travailleurs immigrés, les scandales qui éclaboussent les politiciens... l’exploitation de l’homme par l’homme ! C’est un constat de faillite, il est grand temps de se débarrasser d’elle.

Le Programme commun - Les syndicats

L’histoire de la gauche française est aussi vieille que l’histoire du mouvement ouvrier et remonte aux origines du socialisme : 1848, la Commune de 1871. C’est vers les années 1880 qu’une multitude de petits partis révolutionnaires vont se créer, s’inspirant plus ou moins bien de la pensée marxiste mais qui, au fil des années, vont réussir à s’unifier sous la houlette du Parti Socialiste. En 1917, la révolution russe éclate et les polémiques entre Lénine et Plékhanov vont rejaillir sur toute l’histoire mondiale du marxisme. En 1920, au congrès de Tours, le parti socialiste voit ses tendances voler de toute part : Cachin, Vaillant et d’autres fondent le Parti Communiste, Section Française de l’Internationale Communiste, Blum conserve la maison-mère et donne ainsi au P.S. une image social-démocrate bon teint.

Les affrontements entre les deux partis vont être extrêmement durs et ce n’est qu’en 1934, sous ordre de la direction du Kremlin, que le Parti Communiste engage la bataille pour le Front Populaire alliant socialistes, radicaux et communistes. En 1936, cette politique du « Front Popu » va gagner pour un temps limité et permettra aux travailleurs d’avoir une certaine amélioration dans leur condition de vie et de travail (congés payés, 40 heures). En 1939, la guerre éclate et en 1945, lors de la Libération, le P.C. se trouvera au gouvernement aux côtés de la bourgeoisie française, puis se fera chasser de celui-ci en 1947. Dès lors, la bataille âpre entre socialistes et communistes va rejaillir de plus belle, c’est soixante ans d’histoire de division, soixante ans dont il sera extrêmement dur de se débarrasser.

Les résultats de la gauche au gouvernement sont loin d’être convaincants. Si le Front Populaire accorde les 40 heures, les congés payés pour les travailleurs, il ne le fera pas spontanément. C’est sous la pression de milliers de grévistes qui occuperont les entreprises que le gouvernement va céder devant ces revendications ouvrières. A aucun moment, la gauche n’a joué le rôle de « moteur révolutionnaire », socialistes et communistes ont tout fait pour freiner la mobilisation populaire. Blum s’est comporté comme un loyal gérant du capitalisme et il suffit pour s’en convaincre de se remettre en mémoire ces quelques citations extraites des publications

S.F.I.O. : Mon devoir était clair, impérieux : il était... de ne pas provoquer entre patrons et ouvriers ce que les patrons redoutaient alors le plus, cette espèce de division morale qui est plus grave et plus pernicieuse que tout dans un pays et une démocratie. Plus loin, Blum explique que lorsque la vague de grèves s’est calmée, Nous n’avons pas hésité : nous avons fait respecter le droit de propriété. En fait, Blum, soutenu par les communistes, a géré une société comme n’importe quel autre bourgeois aurait pu le faire à sa place. Et quand Thorez eut cette phrase demeurée célèbre dans l’histoire du mouvement ouvrier Il faut savoir terminer une grève, les travailleurs pouvaient savoir dès ce moment que la politique du P.C. et de la S.F.I.O. était définitivement étrangère aux véritables intérêts de la classe ouvrière, que l’un et l’autre n’hésiteraient pas à mener une politique de gauche au service de la bourgeoisie.

Quarante années plus tard, le visage que nous offre la gauche à travers son programme commun n’a guère changé. Il s’agit toujours de garder ni plus ni moins le capitalisme, l’économie de marché tel que se plaisent à le faire remarquer ses dirigeants.

En 1971 au congrès d’Epinay, les résidus sociaux-démocrates se trouvent écartés de la direction pour faire place à l’équipe de Mitterand qui souhaite donner au parti socialiste une image plus révolutionnaire. Sous la pression du CERES (tendance du P.S.) et du P.C. qui fait sienne depuis un certain temps la politique d’« union de la Gauche », les deux partis se rencontrent afin d’élaborer ensem-ble un programme commun de gouvernement. Le 25 juin 1972, le document est signé puis ratifié quelques mois plus tard par les radicaux.

A cette époque, le Parti Communiste était le mieux représenté dans cette union et pouvait, par le poids de ses suffrages, influer sur le comportement politique du P.S. Les élections présidentielles, cantonales puis municipales devaient renverser les rôles ; non seulement les socialistes devenaient la force électorale la plus puissante de la gauche, mais aussi de tout le pays.

En 1976, Mitterrand comme Marchais reconnaissent qu’il faut actualiser le programme commun en expliquant avec raison que la situation économique s’est transformée depuis 1972 et que les réponses à apporter dans tel domaine sont peut-être aujourd’hui à revoir. Les négociations vont donc être entamées et aboutissent au début de l’année 1978 à une cassure entre le P.C. et le P.S. qui devraient aller chacun de leur côté dans la bataille des législatives.

En fait, la polémique qui s’est engagée entre le P.C. et le P.S. ne porte pas sur le problème de la réactualisation mais bien sur le programme commun de 1972 en tant que tel. L’objet principal des négociations résidait dans le nombre et le contenu des nationalisations, P.C. et P.S. avaient là tous les deux en commun une démarche capitaliste qui variait dans les accessoires.

Vouloir faire passer le secteur économique privé dans les mains de l’État n’engage en rien un processus révolutionnaire. En nationalisant les filiales des multinationales et d’autres secteurs clefs, la gauche ne fait que changer les propriétaires mais ne remet pas en cause cette propriété gagnée par les patrons sur la sueur des travailleurs. En quoi le fait d’avoir un patron de gauche peut-il changer quelque chose pour la classe ouvrière ? Contre les éboueurs en grève de Marseille, employés municipaux, Defferre n’a- t-il pas envoyé l’armée et les C.R.S. pour briser leur lutte ? Non, un patron même de gauche reste toujours un patron et la fameuse autogestion que prône le P.S. et maintenant le P.C. n’est qu’un vulgaire argument de propagande électorale.

Defferre, dans son livre Si Demain la Gauche nous éclaire quant à la conception autogestionnaire du Parti Socialiste : L’autogestion ne doit donc pas consister en ce que chaque individu, ou chaque groupe d’individus qui travaille dans l’entreprise décide à tout bout de champ de ceci ou de cela. Elle consiste à faire en sorte que chaque individu participe à la discussion, soit consulté, mais qu’ensuite celui qui est chargé de conduire la discussion, celui qui est au sommet, soit seul responsable de l’exécution des décisions, sans qu’elles puissent être remises en cause à tout moment. On le constate dans la vie, au gouvernement comme dans l’entreprise. Quand il s’agit d’une décision courante, c’est à celui qui est compétent qu’il revient de statuer à son échelon, mais quand une décision très grave est à prendre, en définitive on se tourne toujours vers celui qui est au sommet... Que restera-t-il sinon pour le chef d’entreprise de ce sentiment de responsabilité qui lui est essentiel ?. Nous ne pensons pas nécessaire de commenter ce paragraphe, il se suffit à lui-même, pas plus que de discuter de l’autogestion à la sauce P.C. car nous ne pensons pas très sérieux de la part d’un parti qui a lancé ses militants pendant des années contre l’autogestion « contre-révolutionnaire » et qui d’un seul coup s’en fait le meilleur défenseur. Nous laissons soin aux travailleurs, et surtout aux militants de base (qui n’ont jamais été consultés) des sections et cellules du P.C. de juger.

La polémique entre le P.C. et le P.S. n’indique pas que tel parti est révolutionnaire et que l’autre ne l’est pas, tout au contraire, elle montre aux travailleurs combien l’intérêt des partis pour leur propre appareil prime sur l’intérêt de la classe. La conférence nationale du P.C. de janvier 78 où il déclare se désister au second tour pour le P.S. qu’à la condition sine qua non que le P.C. obtienne un minimum de 25 % des suffrages n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Il ne s’agit pas pour nous, en constatant que cette division influe négativement sur le potentiel de combativité des travailleurs, d’appeler à l’unité des deux partis comme le font la plupart des organisations d’extrême-gauche. Au contraire, il s’agit de profiter de cette division pour expliquer aux travailleurs en quoi le P.C. et le P.S., une fois au pouvoir, mèneront une politique étrangère à leurs intérêts. De-mander au P.C. et au P.S. de rompre avec les radicaux relève d’un manque de réalisme politique des plus flagrants. Vouloir faire croire aux travailleurs qu’une fois le P.C. et le P.S. défaits de l’alliance avec les radicaux, c’est ouvrir la voie à la crise révolutionnaire, c’est méconnaître la manière dont le pro-gramme commun a vu le jour. C’est le P.C. et le P.S. qui seuls l’ont rédigé, les radicaux ont juste apposé leur signature et ce n’est pas cela qui a empêché que le programme commun soit un programme bourgeois.

Cent ans d’histoire nous confirme dans notre analyse : la gauche au pouvoir n’a fait que la politique de la bourgeoisie, elle continuera dans cette voie-là. Si nous pouvons penser dans une certaine mesure qu’il serait préférable qu’il y ait une majorité de gauche en 1978 dans le sens où cela signifierait que la population laborieuse de ce pays refuse le régime d’austérité, de chômage et de vie chère que mène la droite depuis vingt ans, nous ne pensons pas que cela suffise pour changer vraiment de société, pour changer vraiment la vie. En 1978 comme en 1936 et en 1968, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs luttes, mais seront-ils aidés par leurs directions syndicales ?

Depuis 1945, trois centrales syndicales se partagent le taux de syndicalisation dans la classe ouvrière : C.G.T. inféodée au Parti Communiste, C.F.D.T. et F.O. où se côtoient avec plus ou moins de bonheur les militants révolutionnaires et réformistes. Les militants libertaires, eux, se sont toujours investis dans l’action syndicale.

En 1968, des milliers de jeunes travailleurs conquis par les idées révolutionnaires commencent à bousculer les directions confédérales jugées peu combatives ; la réaction de la C.G.T. ne tardera pas à se faire sentir, celle de la C.F.D.T. viendra plus tard quand le Parti Socialiste aura soigneusement mené son O.P.A. (offre publique l’achat) sur elle. Jusqu’en 1974, le recrutement de la C.F.D.T. s’effectue nettement à gauche, elle regroupe nombre de travailleurs radicalisés qui n’entretiennent que peu d’espoirs vis-à-vis du P.C. et du P.S.

Mais les militants « syndicalistes » du P.S. vont mener une véritable bataille politique pour conquérir tous les postes clefs au sein des directions fédérales, si bien qu’à la fin de l’année 1976, une véritable chasse aux sorcières va se déclencher au sein de la C.F.D.T. L’exclusion par les dirigeants confédéraux de plusieurs sections locales va se mener sur deux fronts à la fois : contre l’extrême-gauche, dont la pratique bureaucratique, soit dit en passant, n’est guère différente de celle menée par le bureau confédéral, et contre les « basistes », dénomination derrière laquelle se retrouvent les militants libertaires ou plus simplement les travailleurs qui se battent pour l’autonomie et la pratique de la démocratie directe.

L’objectif d’une telle opération est on ne peut plus clair : face à l’éventuelle arrivée au pouvoir de la gauche, le gouvernement d’union aura nécessairement besoin de la paix sociale ; les syndicats, organisations de classe des travailleurs, devront donc l’y aider, et pour ce faire éliminer toutes les oppositions discordantes à l’intérieur des sections ou des fédérations. Ainsi, toute une politique d’épuration va être menée au sein de la C.F.D.T. que Séguy qualifie de sage et raisonnable.

Alors que la crise économique sévissait sur tous les fronts, les directions syndicales, pour contrecarrer l’offensive du patronat, n’ont trouvé rien de mieux à opposer que des grèves bidon de vingt-quatre heures. 7 octobre, 24 mai... des millions de travailleurs dans la rue pour manifester leur mécontentement, mais pourtant aucun débouché aux luttes n’était donné. Il s’agissait de rassurer avant tout l’électorat modéré de la gauche, inquiets d’une base sociale potentiellement combative et capable d’ouvrir la crise révolutionnaire. Ainsi en pratiquant la tactique des grèves tournantes, du secteur par secteur, les directions syndicales ont véritablement cassé la lutte. Les belles déclarations Le Plan Barre ne passera pas ! n’ont rien changé à la situation, le premier plan Barre est passé comme l’ont été par la suite les deux autres qui suivaient.

En cela, les travailleurs en lutte ont durement fait l’expérience d’une tactique purement réformiste qui ne s’est conclue par aucune victoire. Toutes les actions lancées par la C.G.T., la C.F.D.T. et la F.E.N. n’ont été que des mobilisations solidement encadrées par l’union de la gauche ou du moins ce qu’il en reste. L’austérité ne se négocie pas, elle se refuse même sous un gouvernement qui prétend représenter les intérêts des travailleurs.

Nos propositions, les tâches de l’organisation anarchiste

Répéter inlassablement que la gauche ne présente pas une alternative révolutionnaire crédible serait propagande totalement inutile si nous n’offrions pas, nous, militants révolutionnaires, quelque chose de différent qui puisse être capable d’instaurer une nouvelle société libérée de l’oppression et de l’exploitation quotidienne. Mais contrairement à certains, nous ne pensons pas qu’il soit bonne politique de faire de la surenchère aux réformistes : Mitterrand propose le SMIC à 2 400 F, demandons-le à 2 700 F ; ils demandent les 40 heures, proposons les 35 heures... la tâche des militants révolutionnaires ne réside pas en cela.

Ces revendications, si nous ne les négligeons pas en tant que travailleurs, ne sont pas révolutionnaires dans la mesure où elles n’offrent pas une perspective de rupture avec le capitalisme et c’est là le rôle que nous devons assumer dans les entreprises. Nous pensons qu’il est bien plus profitable de mener un combat contre la hiérarchie des salaires, contre la hiérarchie des fonctions qui vont à l’encontre directe du système. De même lorsqu’une action est menée, notre devoir consiste à ce que la lutte soit prise en charge directement par les travailleurs. Les militants anarchistes doivent se battre pour la pratique des Assemblées Générales souveraines, qui élisent des comités de grève réunissant syndiqués et non-syndiqués dont le mandatement est révocable à tout moment.

En cela, une telle pratique est complètement contradictoire avec les journées de 24 heures décidées d’en haut sans aucune consultation de la base. C’est à partir de revendications précises, d’une mobilisation directe dans les boîtes, d’une participation générale des travailleurs dans l’organisation de leur lutte, que le chemin d’une victoire de classe peut être tracé. Mais la tâche des travailleurs libertaires ne saurait se limiter au combat étroit d’une seule entreprise, ils doivent se battre pour la coordination des luttes, celle-ci doit se faire en trois temps :

Quand les travailleurs du Parisien Libéré sont en lutte contre les licenciements que veut imposer la direction, ils savent bien qu’ils ne sont pas les seuls à être victimes de la restructuration entreprise par les patrons du Livre. Contre les licenciements, contre le plan d’ensemble du patronat, ce sont tous les travailleurs de la presse et du labeur qui doivent riposter. C’est la coordination par secteur.

Lorsqu’une grève éclate dans une ville, tous les travailleurs doivent y apporter leur soutien en renforçant ainsi la solidarité ouvrière. Rien n’est plus important que le combat contre le corporatisme, les travailleurs ont des intérêts communs : c’est la coordination par localité.

Enfin, et ce troisième point est important car il permet de dépasser le stade revendicatif pour devenir potentiellement révolutionnaire, c’est la coordination de tous les secteurs de lutte : dans toutes les industries, les patrons frappent dur les travailleurs, dans toutes les entreprises les travailleurs doivent lancer une contre-offensive de classe généralisée, c’est la grève générale, insurrectionnelle.

Aujourd’hui, si les directions syndicales téléguidées par la volonté des partis de gauche ne pratiquaient pas l’attentisme électoral, il serait d’ores et déjà possible de lancer des grandes actions révolutionnaires d’envergure. Il n’est pas de notre politique de souhaiter la paupérisation de la classe ouvrière, mais force nous est de constater que chaque jour, elle subit de plus en plus l’exploitation patronale et étatique, par les différents plans Barre qui ont tous été des plans de restructuration capitaliste, par les atteintes aux droits ouvriers, à la répression la plus féroce des luttes ; il ne faut pas baisser les bras !

Les patrons qui nous gouvernent ne se gênent pas pour licencier, pour réprimer, dès lors les travailleurs ne doivent pas se gêner pour exproprier les patrons et balayer l’exploitation salariale. La grève générale, préparée dans les assemblées générales et coordonnées entre elles par le lien fédéraliste, est possible dès aujourd’hui et doit nécessairement faire éclater un processus révolutionnaire. Elle doit devenir gestionnaire et expropriatrice : en occupant les locaux de l’entreprise et en faisant redémarrer la production pour leur propre compte, les travailleurs ouvrent la voie à la construction du socialisme.

S’organiser pour vaincre :

De tels axes de bataille, s’ils veulent aboutir, doivent faire écho à la volonté d’acquérir une capacité organisationnelle et militante adéquate à une possible transformation révolutionnaire. Le congrès extraordinaire de la F.A. qui s’est tenu à Boussy-Saint-Antoine dans le mois de novembre 1977, en trace les grandes lignes. Si nous pensons que l’entreprise est un terrain de notre propagande, nous devons immanquablement nous doter de structures qui la facilitent.

En créant des cercles anarchistes d’entreprise spécifiquement F.A., les militants se donnent les moyens de lutter efficacement tout en gardant leur autonomie politique. En fédérant ces cercles par liaisons professionnelles, ils donnent une dimension nationale à leurs problèmes respectifs et peuvent ainsi déterminer une politique globale pour chaque secteur. Mais si ce renforcement de l’organisation dans les entreprises est nécessaire, il ne se suffit pas à lui-même ; il doit faire écho à la volonté de milliers de travailleurs radicalisés, déçus par le réformisme syndical ou bien exclus par celui-ci.

En donnant aux cercles d’entreprise F.A. le rôle d’impulser des commissions larges regroupant les travailleurs, syndiqués ou non, sur des bases libertaires, le congrès F.A. entend préfigurer la construction d’un mouvement autonome révolutionnaire de masse.

Face aux exclusions syndicales de plus en plus nombreuses, face à la volonté de plus en plus de travailleurs qui veulent se regrouper différemment, la construction d’un mouvement libertaire de masse est devenue une nécessité indispensable. Dans ce cadre-là, la F.A. ne compte pas se comporter en avant-garde révolutionnaire. Elle dit simplement qu’il faut que les travailleurs libertaires se regroupent et se donnent les moyens de lutter ; la manière de s’organiser concerne ces travailleurs et c’est tous ensemble que nous devons nous donner des accords pratiques, armes indispensables pour une propagande sérieuse et efficace.

La situation d’aujourd’hui est potentiellement révolutionnaire ; il faut que les militants libertaires en soient conscients et qu’ils puissent être à la hauteur de leur tâche. Si la gauche gagne les élections, chacun peut facilement s’imaginer l’élan populaire qui suivra. Il ne faudra pas à ce moment-là que les travailleurs se fassent berner, ils auront de nouveau à lutter contre l’austérité que voudra leur imposer la gauche, il faudra qu’ils comptent sur leurs propres luttes. Si la droite l’emporte, les partis de gauche déclareront tout bonnement qu’il faudra attendre la prochaine fois, les syndicats reconduiront leur politique d’attentisme.

En tout état de cause, nombreux sont les travailleurs qui à ce moment se retourneront vers nous, déçus par la gauche, déçus par cette politique électoraliste dans laquelle ils mettaient tous leurs espoirs. Il faudrait cependant se garder d’un optimisme trop rassurant : si la gauche perd les élections, la lutte des classes se trouvera confrontée à deux mouvements contradictoires : l’un qui s’engage dans la rup-ture révolutionnaire, l’autre qui démoralise une frange importante de la classe ouvrière.

Dans ces circonstances, une brèche sera à saisir par les militants révolutionnaires anarchistes. L’enjeu est d’importance, il est décisif.

Groupe Libertaire Fresnes-Antony.
Fédération Anarchiste.