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Nestor Makhno et la question juive - L’année 1918

jeudi 11 février 2021, par V. Litvinov (CC by-nc-sa)

Il faut constater avec regret que la troupe de choc dans ce coup qui conduisit en fin de compte à la perte de tout ce que le peuple avait acquis sur le plan révolutionnaire, à la restauration des pratiques bourgeoises et à la dictature des gros propriétaires fonciers, fut celle des Juifs, composée de trois cents combattants et commandée par deux militants juifs : Taranovsky et Charovsky.

L’organisation anarcho-communiste a eu sa part de responsabilité dans ce qui se produisit, étant donné que lors de la formation de cette troupe juive destinée à veiller sur la sécurité publique à Goulaï-Polé, elle ne se tint pas à ses principes de classe et de parti. Ainsi, au lieu de recruter cette troupe exclusivement parmi les couches pauvres de la population juive et son commandement parmi les anarcho-communistes, elle laissa un nombre considérable de représentants de la petite bourgeoisie juive la rejoindre, et elle confia son commandement à V. Taranovsky, qui s’était rangé du côté des SR. C’est précisément ce qui fut fatidique lorsqu’au moment des préparatifs du coup, les gros propriétaires locaux cherchèrent à convaincre la compagnie juive de défendre leur cause, et en fin de compte ils y parvinrent. La situation politique qui régnait au printemps de 1918 dans le sud de l’Ukraine et à Goulaï-Polé même y contribua grandement.

Nous savons que l’association nationaliste Prosvit fondée à Goulaï-Polé au printemps de 1917 fut le centre d’attraction des forces chauvinistes de la ville. Toutefois, une autre association, Prosvecktchenie (Instruction), existait aussi à Goulaï-Polé depuis 1911. Ce qu’il y a de particulier, c’est que dès septembre 1917, elle réunissait tous les intellectuels de la région et elle envisagea avec orgueil la possibilité de fusionner avec Prosvit. Cependant, dès novembre de la même année, la petite association sans poids qu’était Prosvit disposait de quelque quinze sections dans les environs de Goulaï-Polé et rassemblait dans ses rangs pratiquement toute l’intelligentsia.

Cela montre que vers la fin de cette année, la presque totalité de l’intelligentsia locale avait adopté les positions nationalistes. A Goulaï-Polé et ses environs, l’organisation rurale Spilka (Conseil) fut créée. Les paysans qui reconnaissaient le pouvoir de la Rada centrale y adhérèrent. En outre, vers la fin de l’année, des unités de « cosaques libres », chacune composée de quelque trois cents combattants, firent leur apparition.

Lorsque la Rada proclama, par son troisième décret, l’indépendance nationale, les membres de Prosvit et de Spilka organisèrent à cette occasion un véritable sabbat nationaliste. Quelques jours plus tard, Prosvit autorisa deux de ses adhérents, en même temps membres actifs du Comité exécutif, Vassili Tchaban et Grigori Koutsenko, à se rendre à Kiev et à remettre à la Rada la résolution du meeting tenu à Goulaï-Polé à l’occasion de la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine. Dans cette résolution, il était dit entre autres que les membres de Prosvit et de Spilka reconnaissaient la Rada comme organe suprême du pays et son Secrétariat général comme organe représentatif compétent de la République populaire d’Ukraine [1].

Dans cette même résolution, il était dit que les paysans de Goulaï-Polé s’étaient soi-disant engagés à appuyer le pouvoir de la Rada de leurs deniers comme de leurs vies.

Les éléments chauvins devinrent plus actifs encore lorsque la Rada centrale signa avec les Allemands et les Autrichiens le traité de paix séparée de Brest-Litovsk, et pour l’appuyer ils envoyèrent leurs unités de « cosaques libres » à la conquête des régions « rouges » d’Ukraine.

A la mi-avril, les régiments allemands et cosaques haïdamak avancèrent vers Goulaï-Polé. A ce moment-là, Makhno et son détachement anarchiste en étaient absents. Ils se trouvaient au sud de Goulaï-Polé où, à côté des troupes de l’Armée rouge, ils défendaient la révolution. La situation à Goulaï-Polé devint même particulièrement complexe. Il fut impensable d’envisager la défense de la ville, compte-tenu de la supériorité incontestable de l’adversaire. En plus, les paysans de la région, bien que tous armés, faisaient confiance dans un premier temps aux promesses de la Rada centrale et, de ce fait, ils n’étaient pas tout à fait prêts à payer de leur personne. Cela tentait encore moins les combattants de la compagnie juive.

Les dirigeants de Prosvit profitèrent de cette situation. Ils contactèrent l’un des traîtres du mouvement anarchiste et ennemi personnel de Makhno, Lev Schneider, et par son intermédiaire ils proposèrent au détachement juif de se réconcilier avec la Rada centrale, d’arrêter le Comité révolutionnaire et le secrétariat des anarcho-communistes, en promettant en échange de ne pas faire de représailles.

Les combattants du détachement juif n’hésitèrent pas longtemps à accepter cette proposition, surtout que leur commandant, Taranovsky, appuya les conditions de la « réconciliation ». Le détachement juif se scinda en deux groupes. L’un, commandé par Taranovsky, devait procéder à l’arrestation du Comité révolutionnaire ; l’autre, avec Schneider à sa tête, à celle du secrétariat anarcho-communiste. Cette « opération » eut lieu le 14 et le 15 avril.

Au moment de l’arrestation du Comité révolutionnaire, Taranovsky était calme et mime abattu, car le rôle de gendarme l’accablait et lui faisait honte. Cependant, il était convaincu que cette arrestation était indispensable pour éviter une effusion de sang inutile, d’autant plus que le Comité révolutionnaire disposait, aussi bien à Goulaï-Polé que dans les communes voisines, de défenseurs bien armés lui, témoignant un dévouement sans borne. De plus, Taranovsky fut persuadé qu’une fois Goulaï-Polé vaincu, les membres du Comité révolutionnaire allaient regagner sans encombre leurs domiciles.

Tout autre fut le comportement de Lev Schneider. Il fut le premier à pénétrer l’arme à la main dans le bâtiment du secrétariat et il manifesta pleinement la haine démesurée qu’il éprouvait à l’égard de sa propre organisation, haine si habilement masquée jusqu’alors. Dans une rage folle et un flot d’injures incohérentes, il arracha du mur, au moment de l’arrestation, les portraits de Bakounine et de Kropotkine, sans épargner celui d’Alexandre Semeniouta, et il se mit à les piétiner avec fureur.

Pour les membres du Comité révolutionnaire et du secrétariat des anarcho-communistes, la trahison du détachement juif fut totalement inattendue. C’est avec stupeur et affliction qu’ils regardaient à ce moment-là ceux dont ils avaient pris la défense contre les attaques antisémites des éléments chauvins, à qui ils avaient confié des armes pour défendre la révolution et qui avaient fini par agir de pair avec ses ennemis les plus détestables en procédant à cette arrestation.

L’indignation des anarcho-communistes n’avait pas de bornes. Taranovsky et Schneider se trompèrent dans leurs prévisions. Avant même que les indépendantistes n’entrent à Goulaï-Polé, les membres de Prosvit et des unités de « cosaques libres » affichèrent ouvertement leurs projets contre-révolutionnaires. Il était clair que les membres de ces deux organisations, de même que le détachement juif, furent trompés et entraînés dans la trahison la plus ignoble.

Tourmentés par les remords, Taranovsky et Charovsky remirent en liberté à leurs risques et périls les prisonniers à la veille de l’arrivée des Autrichiens. Les pressentiments de Taranovsky et de Charovsky s’avérèrent tout à fait justes. Une fois rentrés à Goulaï-Polé, les propriétaires fonciers et les nationalistes qui avaient été spoliés s’associèrent à la bourgeoisie juive et se livrèrent immédiatement à une véritable chasse aux sorcières contre tous ceux qui avaient participé à la révolution et aux activités de l’organisation anarcho-communiste. Ils ne respectèrent pas le point du « contrat » qui prévoyait qu’en cas de capitulation de Goulaï-Polé, la paix serait préservée pour la population juive. Ce sont bien les gros propriétaires fonciers et les membres de Prosvit qui capturèrent le jeune anarchiste Haim Gorelik et le torturèrent avec la plus grande cruauté.

Nestor Makhno en parle dans ses Mémoires : Gorelik fut piétiné, ils lui crachèrent dans les yeux et dans la bouche tout en le raillant d’être un juif entêté, et ils finirent par abattre ce jeune révolutionnaire glorieux. [2].

Certains gros propriétaires juifs agissaient avec les chauvins dans ces bacchanales de terreur. Parmi eux, un certain Levinsky, propriétaire de la savonnerie, se fit particulièrement remarquer [3]. Stepan Chepel, Moïse Khalinitchenko et d’autres encore moururent dans des circonstances atroces entre les mains des terroristes contre-révolutionnaires.

A la fin d’avril 1918, les anarchistes qui parvinrent à échapper à la terreur se réunirent à Taganrog en une conférence consacrée exclusivement au problème du putsch contre-révolutionnaire à Goulaï-Polé et à la nécessité de tirer les conclusions de cette triste expérience. Il est clair par conséquent que lorsqu’il fut question des causes de la défaite de Goulaï-Polé le débat aborda immédiatement le problème du sentiment à l’égard de la population juive, et plus particulièrement de son enrôlement dans le mouvement révolutionnaire. Beaucoup de mots amers furent adressés à la population juive. Certains anarchistes, des cas isolés il est vrai, allèrent jusqu’à proposer que cesse tout travail révolutionnaire commun avec elle. Cela ne tenait pas de l’antisémitisme, mais tout simplement, comme Makhno l’exprima lui-même, il ne s’agissait que d’un cri de souffrance morale de ceux qui s’investirent énormément dans la lutte contre l’anti-sémitisme et qui furent emprisonnés par des juifs qui effectuèrent cette besogne ignoble la main dans la main avec les antisémites, et qui étaient prêts à garder ces prisonniers jusqu’à l’arrivée à Goulaï-Polé des Allemands, des Autrichiens et des chauvins ukrainiens, les vrais responsables des pogroms, tour les livrer aux bourreaux [4].

Ce cri de souffrance morale diminuait au fur et à mesure que le temps passait, de sorte que la résolution de la conférence de Taganrog sur la question juive prévoyait que sur le plan pratique et politique, les anarcho-communistes continueraient leurs activités révolutionnaires avec les juifs, tout en combattant toute forme d’antisémitisme. Cette résolution, prise à un moment qui fut l’un des plus difficiles sur le plan des rapports entre les différentes nationalités dans la région contrôlée par les anarchistes, témoigne de la fermeté de leurs principes et de leur maturité politiques.

Lorsque plusieurs années plus tard, Makhno analysa la décision de la conférence de Taganrog sur la question juive du point de vue du rôle joué par le détachement juif dans le coup contre-révolutionnaire à Goulaï-Polé, il avait entièrement raison de déclarer avec une certaine fierté : Tous ceux qui d’une manière générale appellent les makhnovistes instigateurs de pogroms ne font que mentir. Car personne, pas même les juifs d’ailleurs, n’a lutté avec autant d’acharnement et d’honnêteté contre l’antisémitisme et les organisateurs de pogroms en Ukraine que ne le firent les anarcho-makhnovistes [5].

En effet, ces paroles de Makhno n’étaient pas une vantardise, car au fond elles exprimaient le concept essentiel du mouvement makhnoviste, concept qui fut la base même de la politique nationale des anarcho-communistes.

Bien que la Rada centrale soit parvenue, à l’aide des armes allemandes et autrichiennes, à préserver son pouvoir en Ukraine, sa situation politique était dans l’ensemble assez précaire. La Rada ne trouve d’appui ni auprès des masses populaires, qui en fait ne reçurent pas la terre et la liberté promises, ni auprès des couches aisées, car elle était dans l’impossibilité de leur restituer leurs droits de propriétaires sur les biens dont elles furent privées dans la période antérieure. Les autorités d’occupation se montrèrent également mécontentes de la Rada centrale, car elle ne remplissait pas ses engagements sur la livraison des produits agricoles et des matières premières pour l’industrie.

A la fin d’avril, les Allemands la dissolvèrent et ce fut un groupe de propriétaires fonciers et de capitalistes réactionnaires dirigé par l’Hetman Skoropadsky qui la remplaça. Le régime de l’Hetman se constitua sur la base de l’union militaire, politique et économique des forces contre-révolutionnaires russes et ukrainiennes avec l’impérialisme allemand, union ayant pour but la restauration en Ukraine puis en Russie du pouvoir de l’oligarchie foncière, financière et industrielle.

C’est justement pour cette raison que le régime de Skoropadsky marqua ses débuts par le rétablissement de l’agriculture du type seigneurial et Koulak, ainsi que par le pillage généralisé de la population ukrainienne, au nom des engagements collaborationnistes contractés avec l’Allemagne et l’Autriche.

En juin 1918, l’Ukraine connut une période d’expropriation totale des paysans, frappant aussi bien le cheptel vivant et mort que les réserves de céréales qu’ils s’étaient appropriés lors du partage des terres des gros propriétaires terriens et des koulaks au printemps précédent.

En juillet, les paysans se virent obligés de livrer toute la nouvelle récolte aux propriétaires de retour, si cette récolte provenait des terres de ces derniers. Afin d’éviter la résistance des paysans, de nombreux détachements punitifs patrouillaient dans toute l’Ukraine , rétablissant l’ordre en mettant tout à feu et à sang. A ce moment-là, les paysans purent constater de leurs propres yeux ce dont la Rada centrale était capable, et avec elle les partis qui composaient la coalition au pouvoir.

Les sentiments anti-autoritaires et pro-anarchistes des paysans ne firent que s’accroître et se renforcer grâce à l’expérience politique acquise. Les communistes en général et ceux de l’Ukraine en particulier avaient des contacts insuffisants avec la paysannerie. Les seules organisations politiques qui défendirent de façon active les intérêts des paysans pendant la période d’occupation de l’Ukraine furent celles des anarchistes et des SR de gauche. Ce sont précisément ces organisations qui étaient à la tête de la lutte ouverte des masses aussi bien contre le régime de l’Hetman Skoropadsky que contre les Allemands et les Autrichiens qui l’appuyaient.

Dans cette lutte, les problèmes nationaux et sociaux furent à ce point confondus les uns avec les autres que nous pouvons parler à juste titre d’une révolution socialiste ukrainienne particulière pendant laquelle les unités insurrectionnelles, organisées avant tout par les anarcho-communistes sous la direction de N. Makhno et par la suite par les SR de gauche, ont écrasé les Allemands et ont maintenu le front contre les unités de l’Armée blanche de Denikine et du Directoire de Petlioura longtemps avant l’arrivée en Ukraine de l’Armée rouge en janvier 1919, qui apporta dans ses bagages le gouvernement soviétique ukrainien provisoire.

Il est évident que pendant la période d’élargissement du mouvement insurrectionnel, l’attitude des anarcho-communistes à l’égard des Juifs ne changea pas par rapport à ce qu’elle était en automne 1917. C’était une politique de fraternité révolutionnaire avec les couches les plus pauvres de la population juive, et cela va de soi, une protection des juifs contre toute forme d’antisémitisme.

Nestor Makhno lui-même évoque dans « Notes » publiées par la Revue anarchiste de Berlin, n° 5-6, 1923, déjà mentionnées plus haut, un exemple parmi d’autres illustrant la façon dont les insurgés effectuaient cette protection.

Voici les moments les plus significatifs de cet épisode. Ce fut à la fin décembre 1918. Une partie des troupes des insurgés makhnovistes, en liaison avec des détachements de l’Armée rouge sous contrôle communiste, combattait contre les troupes de Petlioura à Ekaterinoslav. Makhno, qui accompagnait les combattants, reçut un télégramme de l’état-major de Goulaï-Polé qui l’informait de l’arrivée toute récente d’un détachement de maquisards nouvellement reconstitué et dirigé par le commandant Metla (selon certaines sources SR d’Odessa). Ce détachement fut envoyé par l’état-major de l’armée insurrectionnelle dans le secteur de Tsarekonstantinovsk placé sous les ordres du commandant anarchiste Kourilenko. Celui-ci donna l’ordre d’inclure le détachement de Metla, politiquement peu sûr, en tant que compagnie dans le régiment insurrectionnel. Le régiment de Metla s’opposa violemment à cette décision, refusa d’obéir et regagna sa région en dévastant sur son passage l’une des colonies juives. Makhno, hors de lui , envoya sur le champ un télégramme à Goulaï-Polé : Choisir immédiatement les meilleurs combattants du régiment, et sous le commandement d’une personne responsable, les envoyer prendre le détachement de Metla et le désarmer. Fusiller le meneur.

Malheureusement, les responsables de ces crimes ne furent pas fusillés car ils se mirent en lieu sûr lors des poursuites en s’enfuyant hors des limites d’influence de l’armée insurrectionnelle. Toutefois, la nouvelle de l’anéantissement de la colonie juive parvint rapidement a toutes les unités insurrectionnelles, et la réaction qu’elle provoqua chez les insurgés montra à quel point ils étaient intransigeants envers tout acte d’antisémitisme.

Elle fut à l’origine de toute une série de protestations et d’indignations. A juger par les paroles de Makhno, beaucoup d’insurgés, connaissant sa position vis-à-vis de tels crimes, lui envoyèrent par l’intermédiaire de leurs commandants, des déclarations collectives du genre : Petit père, nous sommes dans le combat véritablement les fils et les filles de notre peuple. Crois-nous, ayant appris la dévastation de la colonie juive n°2 par le détachement de Metla, nous pouvons imaginer et ressentir ce que cela a pu te faire. Crois que c’est avec la même douleur que toi que nous subissons ce déshonneur. Nous jurons que parmi nous, dans nos unités, il n’y a pas trace d’un tel comportement à l’égard des juifs, et si toutefois il se manifestait, nous l’anéantirions en ton nom. Appuis-nous !

En effet, il les appuyait par tous les moyens. Il rédigea et diffusa dans toutes les unités un ordre selon lequel tout pillage, toute violence ou tout assassinat commis non seulement contre les Juifs, mais contre tout citoyen paisible de toute autre nationalité, serait puni par l’exécution de tous les officiers de l’unité abritant les criminels. Dans ce même ordre, il disait avec une sincérité touchante qu’en cas de non obéissance, il se tirerait une balle dans la tête, afin de ne plus voir et ne plus entendre parler des gens ignobles, qui commettent des crimes en mon nom.

En effet, ce fut le crime d’une « âme souffrante ». Makhno n’avait bien entendu jamais envisagé sérieusement de se tuer pour de tels actes, mais pour ce qui est de la première partie de l’ordre, l’exécution du commandant et de tous les participants aux pogroms anti-juifs, il s’y tint à la lettre.

Alexandre Berkman, anarchiste américain et membre de la commission pan-russe chargée d’examiner les cruautés commises par les soldats blancs, en témoigne. Il témoigne également du fait que Makhno passait par les armes pour participation aux pogroms antijuifs, non seulement des insurgés, mais aussi des civils.

Ainsi, par exemple, dans l’article intitulé « Le mensonge bolchevique au sujet des anarchistes », publié par le journal Nouvelles américaines du 17 mai 1922, il raconte qu’au cours du pogrom contre la colonie juive « Gorkoe » du 12 mai 1919, l’état-major de Makhno créa une commission destinée à examiner les faits. Elle constata que les juifs furent massacrés par des paysans du village d’Ouspenovka. Bien que ces paysans ne faisaient pas partie de l’armée de Makhno, ils furent condamnés à mort pour avoir participé au pogrom.

il y avait une multitude de faits analogues, mais les évoquer tous n’apporterait rien de plus à ce que j’ai dit plus haut.

Un autre caractère du comportement du mouvement makhnoviste à l’égard des juifs fut sa patience exemplaire, qui se manifesta même à l’égard de ceux d’entre eux qui, enfoncés dans une forme de nationalisme borné, faisaient du tort au mouvement insurrectionnel. Lorsque, par exemple, Taranovsky et Charovsky, déjà mentionnés, se repentirent d’avoir trahi les anarcho-communistes et s’avouèrent coupables auprès du secrétariat de ces derniers, ils furent entièrement graciés et leur acte abominable n’entraîna pour eux pratiquement aucune conséquence défavorable. Tous deux occupèrent par la suite des postes importants au sein du mouvement révolutionnaire et insurrectionnel. V. Taranovsky devint même chef de l’état-major de l’armée révolutionnaire et insurrectionnelle, c’est-à-dire le personnage numéro 2 du mouvement insurrectionnel, au moment le plus crucial de son existence, la lutte contre Wrangel puis contre les unités de l’Armée rouge sous le commandement de Frounzé. Taranovsky et Charovsky furent fidèles au mouvement anarcho-makhnoviste jusqu’à la fin.


[1Le journal La Vie du peuple (« Naroonaïa Jitia »), 1er décembre 1917, Ekaterinoslav.

[2N. Makhno, La Révolution ukrainienne, Paris, 1937, p. p. 20-21.

[3Ibid.

[4N. Makhno, Sous les coups de la contre-révolution, Paris, 1936, p. 19. Cet ouvrage est paru deux ans après la mort de Makhno sous la direction de V. Voline (Eichenbaum) qui fut parfaitement au courant de la situation dans la région makhnoviste ci qui... [une ligne manque]

[5Ibid.