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Louis Bertoni - Le 40e anniversaire du Réveil-Risveglio

jeudi 19 mai 2022, par Les amis de Louis Bertoni (CC by-nc-sa)

Le Réveil/Il Risveglio clandestin – Un Homme dans la Mêlée Sociale : Louis Bertoni (Pour son 70e anniversaire) – Février 1942.

En 1900, Louis Bertoni décida de lancer le journal. Le camarade Jacques Cross (alias Jeanquimarche, pour les souscriptions) dit à l’initiateur :

Tiens, voici 50 francs, c’est ma souscription pour dix numéros, si ta feuille vit jusque là.

A cette boutade, Bertoni répondit :

Je ferai, non pas dix, mais mille numéros.

Cette fois encore, il avait espéré juste.

A la date du 29 juin 1940, le Réveil-Risveglio publiait son 1 050e numéro. Timidement L. Bertoni marque cet évènement du 40e anniversaire de son « enfant ». Il constate : Le monde qui s’effondre sous les coups d’une barbarie renouvelée n’était certe pas celui de nos rêves, mais sa ruine n’épargne personne.

Il nous reste quand même à faire œuvre de sauvetage de tout ce qui est humain, profondément humain .

Dans les pays des deux Amériques et en Angleterre la presse d’avant-garde étant encore libre, elle publia de nombreux articles en anglais, italien et espagnol, pour commémorer la constance du dernier journal libertaire en Europe.

La presse anarchiste et le 40e anniversaire du Réveil

Signalons en particulier l’article que donnait Il Martello de New-York, sous la signature D. L., dans son numéro du 14 juillet 1940 :

En ce quarantième anniversaire du Réveil, comment passer sous silence tout ce que le journal doit à Bertoni. Nécessairement, nous ne pouvons moins faire que de parler de cet homme, bien que nous sachions que notre éloge, impartial et véridique, ne lui sera d’aucun plaisir. En dépit d’une amitié, vieille déjà de beaucoup d’années, nous courrons le risque de lui être désagréable. Nous dirons la vérité, sans puérile adulation, pour le seul amour des idées qui nous sont communes.

Comment le Réveil a-t-il pu résister à toutes les tempêtes, à toutes les embûches et à tous les coups des ennemis et de la réaction ? Parce qu’il avait à la barre un homme d’une rare qualité intellectuelle et morale, d’une volonté dont on rencontre difficilement l’égale. Certes, le Réveil doit beaucoup au mouvement international, qui lui a toujours accordé aide et solidarité, mais, il serait vain de ne pas reconnaître qu’il est d’abord et surtout l’œuvre d’un homme qui s’est donné à la propagande de tout son cœur et de toute son intelligence.

Simple dans ses rapports avec les amis et les familiers, modeste jusqu’à l’exagération il n’est rien qui le heurte autant qui le mette plus volontiers hors de soi, que le bluff et le charlatanisme. Il a une horreur profonde pour le jésuitisme des gens à double fond, Pour le fanfaronisme vide et déclamatoire des arrivistes qui visent surtout aux prébendes, et aux sinécures.

Il a toujours fui le tam-tam et la réclame, se défiant des violences verbales, appréciant à leur juste valeur les Pères Zappata qui prêchent bien, mais oui dans la pratique sont la preuve vivante du confusionnisme et de l’indigence intellectuelle la plus complète. Pour Bertoni, les vraies valeurs sont dans l’exemple, la droiture et le respect de la morale anarchiste.

Récemment A. Lorulot pouvait dans l’Idée libre formuler ce jugement, auquel nous souscrivons bien volontiers : Je n’ai jamais connu un militant plus droit et aussi profondément convaincu de ses idées que Louis Bertoni.

A vrai dire, qui pourrait se flatter d’avoir autant travaillé que Bertoni, pour la rédemption des malheureux et des exploités.

Pendant plus de trente années, L. Bertoni a semé à pleines mains, traversant la Suisse en long et en large, exposant aux foules, qui toujours l’accueillirent avec enthousiasme, l’idéal libertaire.

Peu ont subi comme lui les attaques venimeuses et perfides d’adversaires de mauvaise foi ; peu aussi ont subi aussi sereinement la prison, les persécutions policières, les condamnations infâmes, le passage à tabac, les contraventions, les expulsions.

Qui, plus que lui, a tenu tête à la meute du vieux conformisme social-démocrate, au sectarisme bâtard des marxistes de toutes les écoles, aux parasites stipendiés du syndicalisme centralisateur, à la perfidie insigne des communistes dernier modèle ?

Qui ne se souvient des retentissants procès faits à l’animateur du Réveil, depuis celui de la grève générale de 1902 jusqu’à celui dit des bombes de Zurich, en passant par celui de 1906, pour apologie du régicide ? Les magistrales auto-défenses de Bertoni, soulevèrent alors l’admiration de tous et lui amenèrent même le respect des hommes appelés à le juger.

Qui a oublié l’agitation en faveur de Sacco-Vanzetti, l’émotion poignante que Bertoni sut créer autour des deux innocents ?

Qui ne se souvient de sa propagande antifasciste de ces dernières années, et de sa campagne en faveur de la Révolution espagnole ?

Voici trop brièvement résumé l’essentiel de l’apostolat qui fut celui de Bertoni, durant ces quarante années. Il pourra sembler, peut-être, que nous avons tenté ici un dithyrambe excessif de l’homme. Au vrai, nous nous sommes bornés à un hommage sincère et fidèle au vétéran des bonnes batailles, et nous sommes sûrs d’avoir interprété le sentiment de tous ceux qui le connaissent ou l’ont connu.

Sébastien Faure, un autre grand pionnier, nous disait un jour sa sympathie et sa respectueuse vénération, pour l’homme sans peur et sans reproche qu’est Bertoni ; il définissait celui-ci comme une des valeurs les plus intelligentes de l’anarchisme international.

Au terme de ce trop court exposé, que notre cher Louis trouve l’expression du vœu ardent que nous formons pour que de longues années encore, il puisse œuvrer pour notre idéal. Espérons que sa verte vieillesse verra la réalisation d’un de ses désirs les plus chers : une révolution libertaire balayant le fascisme en Italie et ailleurs.

L’Adunata dei Refrattari rappelait à son tour le 10 août 1940 :

(...) Un bel exemple en vérité, encore plus unique que rare dans l’histoire de notre mouvement international qui pourtant est si riche de caractères d’exception et de gloires authentiques.

Le journal —plus exactement les deux journaux— : Le Réveil-Il Risveglio, qu’il rédige et compose, pour la plus grande part, depuis quarante ans, reflète le caractère de l’homme soigneux, clair, inébranlable, modeste dans la forme, parfois d’une rigueur excessive dans sa ligne, anarchiste toujours par son esprit, constitue le monument d’une vie exceptionnelle par sa fidélité, sa constance et son abnégation.

Dans les moments d’effervescence, quand les étoiles filantes —comme Henri Tronchet appelle les anarchistes d’une heure ou d’une saison— abondent à l’horizon, et que l’anarchisme devient souvent plus exubérant de paroles que de pensées, de paradoxes que d’actions ; alors que de toutes parts surgissent des feuilles grandes comme des draps de lit, arborant des titres ronflants, le Réveil, lui, toujours petit, mesuré, insensible aux enthousiasmes aussi courts que faciles, immuable dans sa tenue comme dans son esprit, paraît disparaître sous la cataracte de papier imprimé...

Maintenant, depuis une année déjà (aujourd’hui il est interdit), il demeure le seul journal anarchiste qui se publie en Europe, exception faite de War Commentary qui poursuit son existence, assez irrégulièrement à Londres. Le petit Réveil est en réalité un chêne puissant, fortement ratiné dans la conscience des compagnons qui le soutiennent, aussi bien que dans la volonté héroïque de son rédacteur. Ce dernier n’est plus jeune, mais malgré la douleur qui est la sienne devant l’immense tragédie qui l’entoure, il reste solide sur les jarrets à son poste de combat, qu’il tient depuis quarante ans avec une valeur égale à sa modestie. Les seules interruptions à sa tâche vinrent des inévitables vacances qui lui furent octroyées dans les prisons de la libre Helvétie —les seules vacances que se soit accordées Bertoni au cours d’un demi-siècle de vie militante

Louis Bertoni et Lucien Tronchet.

De la profondeur et de la vigueur des racines poussées par Bertoni en sol helvétique, un récent épisode témoigne. La guerre a frappé les populations de tous les pays. Les anarchistes ont eu une contenance fière et digne. Le fait est que la manifestation la plus claire et complète d’opposition anarchiste à la guerre, dont nous ayons eu connaissance, est venue du groupe anarchiste du Réveil, avec les discours prononcés par Louis Bertoni et Lucien Tronchet, dans le procès fait à celui-ci, devant le Tribunal militaire, le 6 mars 1940 à Lausanne, et dont les textes furent publiés dans la brochure Face à la Guerre.

« De ce long et fécond apostolat, nous sommes profondément reconnaissants au compagnon Bertoni, et nous faisons vœu qu’il continue encore de nombreuses et nombreuses années.

La fin du Réveil - 24 aout 1940

Le 23 août 1940, un policier remettait à Louis Bertoni une copie de la réponse du procureur général de la Confédération, adressée au Conseiller d’État du Département de justice et police du canton de Genève. Cette communication exposait clairement qu’à la demande du dit Département datée du 16 juillet, le Conseil Fédéral avait pris le 16 août 1940 un arrêté qui permettait de faire cesser la parution du Réveil périodique anarchiste.

Le dernier N° du Réveil est chiffré 1054. - L’article de tête prévoit la suspension prochaine. Il commence par dire : Au moment où nous écrivons nous ne savons encore si ce numéro pourra paraître..., et il conclut : Nous ne nous résignons point, ayant conçu la vie comme un incessant combat, précisément pour ici rendre plus noble, belle et féconde. D’autres ont besoin d’écraser leur prochain, pour croire de s’élever ; nous, c’est dans une élévation de tous que nous voyons la joie la plus grande de l’existence humaine.

La longévité du Réveil est une chose à peu près unique dans les annales du mouvement anarchiste. Il ne serait guère que le Libertaire qui pût se prévaloir d’une carrière aussi longue, mais elle fut coupée de trop d’interruptions pour que l’exemple vaille vraiment.

Il nous faudrait dire encore de quel travail d’édition, Bertoni a doublé sa tâche de rédacteur du Réveil. Les brochures sont innombrables, dans les deux langues, qu’il a mis en circulation. Notre tentation de donner ici, un aperçu bibliographique des éditions de Bertoni, a été grande, mais la crainte d’apporter un travail, par trop incomplet, nous a fait renoncer à notre projet. Bornons-nous à signaler les trois traductions de Kropotkine parues sous les auspices du Réveil  : Parole d’un Ribelle, La Grande Rivoluzione, la Scienza moderna e l’Anarchia (on n’ignore pas que le trop célèbre Benito Mussolini collabora aux deux premières) ; les Scritti vari, de Malatesta, et l’important travail de Max Nettlau sur Bakunin e l’Internazionale in Italia.