La Fédération socialiste n’était pas un parti politique tombé dans le piège électoral. Elle avait quinze groupes locaux dont un, à Munich, avait été fondé par Erich Mühsam, sous le nom de « Action » (Tat). Nous n’étions ni des révolutionnaires voulant instaurer un nouvel ordre social dans la violence ni des rêveurs étrangers au monde. Nous avions les pieds bien sur terre. Le Parti social-démocrate avait, selon nous, raté sa mission présente par opportunisme et par dogmatisme. Dogmatique était sa négligence du mouvement coopératif, que ses idéologues suprêmes, Karl Marx et Friedrich Engels, avaient qualifié de charlatanerie petite-bourgeoise. Lorsque le congrès international socialiste de 1910 à Copenhague se prononça, sous les jets d’œufs des marxistes, pour la création d’associations coopératives, l’Allemagne suivit le mouvement. C’est par opportunisme aussi que le parti négligeait la propagande antimilitariste pourtant indispensable dans la Prusse si militarisée. Là se situait notre activité. De plus, nous étions proches du mouvement pour la réforme foncière dans la création de lotissements coopératifs agricoles, nous ne voyions pas seulement la solution à tous les problèmes sociaux, mais bien la base même d’une société socialiste.
Nous participions à tous les mouvements populaires pour la justice sociale, le progrès culturel, et par-dessus tout, pour le maintien de la paix. L’expansion du commerce international conduisait à des frictions entre les pouvoirs concurrents et les symptômes d’un embrasement mondial imminent s’amoncelaient. L’apparition d’un bateau de guerre allemand dans le port franco-marocain d’Agadir, la guerre de Tripoli entre l’Italie et la Turquie, la guerre des Balkans, dans laquelle s’affrontaient l’Autriche et la Serbie soutenue par la Russie, étaient les signes infaillibles qu’un malheur approchait. Seuls les peuples pouvaient, par leur intervention directe, assurer la paix, et le pays d’où l’initiative aurait dû partir était l’Allemagne, qui disposait du plus gros potentiel militaire. Il n’y avait assurément aucune action en faveur de la paix à attendre des partis « nationaux », et ce rôle revenait au Parti social-démocrate, qui était représenté au Reichstag par un grand nombre de députés et qui pouvait compter avec les syndicats puissants qui lui étaient étroitement liés. Quel comportement adopta le parti devant cette question lourde de conséquences ?