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[08] Augustin Souchy - Erich Mühsam, chevalier de la liberté

mardi 11 août 2020, par Augustin Souchy (CC by-nc-sa)

Le soir de l’incendie du Reichstag (la nuit du 27 au 28 février 1933, NOE), je dînais chez moi en compagnie d’Erich Mühsam. Les nouvelles diffusées par la radio n’annonçaient rien de bon. Le Völkische Beobachter (« L’Observateur natio­nal »), l’organe du parti nazi, avait depuis longtemps excité la haine contre Erich Mühsam, « juif et anarchiste ». On lui reprochait sa participation à la République des conseils de Bavière et d’être responsable de l’exécution des otages du 25 avril 1919, bien qu’il eût déjà été fait prisonnier le 13 avril 1919. Mühsam se trouvait en grand danger. Je lui conseillai de ne plus rentrer à son appartement. Reste passer la nuit ici, lui dis-je, à l’étage en dessous de chez moi habite un sergent de ville proche du SPD, qui m’a promis de m’avertir à temps. Les SA et SS prennent toujours avec eux un policier du poste le plus proche pour les rafles, qu’ils préparent la veille. Nous sommes encore en sécurité cette nuit. Erich Mühsam ne voyait pas le danger aussi grand. Il avait l’intention de fuir le lendemain vers Prague, et rentra chez lui pour préparer son voyage. Mais il ne put partir : le lendemain matin, il fut arrêté dans son appartement.

La triste fin de Müh­sam est connue. Lorsqu’on somma le prisonnier de chanter le Horst-Wessel­lied des nazis, il entonna l’Internationale. On voulut le forcer à creuser sa propre tombe et à lécher des crachats sur le sol. Il résista de toute la force de son caractère aux humiliations et à la douleur. Il expliqua à ses compagnons de détention qu’il ne ferait pas aux bourreaux le plaisir de se tuer. Au matin du 10 juil­let 1934, on le retrouva pendu dans les latrines de la prison d’Oranienburg. Ses souf­frances avaient duré quinze mois [1].

Quelques jours après l’incendie du Reichstag, alors que je rentrais chez moi vers les neuf heures du soir (j’habitais Wilmersdorf, Auguststraße 62) je fus attaqué par trois jeunes gens. Je réussis à me dégager et à refermer prestement la porte de la maison derrière moi. Il était maintenant grand temps de disparaître. Une fois assis dans le train qui m’emmenait vers Paris, je vis des affiches collées aux colonnes publicitaires de Berlin, représentant des anti-nazis recherchés : j’y reconnus mon portrait.

Les barbares ne purent m’arrêter, mais ils emmenèrent mon frère Max, qui séjournait quelque temps chez moi. Au commissariat, quand ils se rendirent compte qu’ils avaient fait erreur, ils le passèrent à tabac et le laissèrent filer. Ils détruisirent ma bibliothèque, emportèrent les œuvres classiques et brûlèrent les livres socialistes et anarchistes à même la rue. Un rideau de sang s’était abattu sur l’Allemagne. Ma seconde émigration devait durer plus longtemps que la première.


[1Quelques semaines après, à Paris, j’écrivis une brochure sur la vie, les souffrances et la mort d’Erich Mühsam, qui fut publiée par les syndicalistes espagnols de Barcelone sous le titre : Caballero de la libertad (« Chevalier de la liberté »).