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Pierre Ramus : Etat et violence

mercredi 24 août 2022, par Pierre Ramus (CC by-nc-sa)

(Texte tiré d’une anthologie publiée par un pacifiste autrichien, Franz Kobler : Violence et non-violence, Zurich 1928. Le texte de Ramus est la première partie d’un « dialogue » sur l’État et la violence ; le second texte, signé d’un juriste, tend à prouver que l’État est nécessaire, et donc la violence ; ce qui importe, c’est de savoir si elle est juridiquement fondée, ou non.)

Pierre Ramus

Dans tout État, il n’y a face à face que des maitres et des esclaves. Une organisation d’État est l’organisation de l’autorité dans un espace géographique limité.

Quelle est la caractéristique essentielle de toute autorité ? La vio­lence. L’État utilise la violence pour exercer son autorité, et sans violence il n’y a pas d’autorité. Prétendre que l’autorité repose sur une violence dont la nécessité est reconnue par les sujets eux-mêmes, c’est défendre une conception fausse pour la bonne raison qu’une telle conscience ne peut être créée qu’artificiellement par la violence de l’État, par l’éducation, l’opinion publique et l’entourage.

La théorie juridique de l’État s’est toutefois efforcée depuis toujours de prouver que la violence de l’État a des racines juridiques et se développe à partir du droit. Cette tentative est facile à concevoir car, à peine est-il prouvé que nous n’avons à faire dans l’État qu’avec une organisation de violence, il faut renoncer à toute justification de l’État qui ne repose pas sur la théorie de la puis­sance (Hobbes, Austin, Haller). Mais l’État et le Droit ne sont pas identiques l’un à l’autre. Cela prouve que la pression juridique qu’exerce l’État contre chaque individu cesse face au détenteur de la violence suprême. Nous trouvons cela dans les États despotiques comme dans les républiques les plus évoluées. Dans tous les États il y a un point où l’État approche l’ultima ratio de son existence et impose une violence à la société, face à laquelle toute protection juridique lui est refusée, et détruite par l’État souverain. Ce fait est compréhensible si l’on reconnaît que l’État n’est rien que la violence centralisée et organisée dans la société et contre la société. S’il faut dissimuler ce fait, comme le fait la théorie juridique de l’État, il est alors nécessaire de recourir à tous les schémas de compréhension possibles.

L’anarchisme repose sur la reconnaissance que le droit public dans ses éléments essentiels est un état de violence systématisé. Nous ne voyons nulle part que le droit public garantisse à l’individu l’assurance du minimum vital, à la société la protection de ses intérêts collectifs.

Il est faux de prétendre que cela est contenu justement sous forme d’obligation par le droit public. Cela vient déjà du fait que les sources juridiques, d’où les théories de l’État tirent la soi-disant « origine du droit », sont complètement mythiques ; le vrai Droit au contraire a son origine exclusivement dans le droit coutumier de la société. Ce que nous appelons droit public, c’est l’établissement d’une règle de violence par une pression consciente.

Dans cette analyse, l’anarchisme est même confirmé par l’aveu involontaire de la théorie juridique de l’État. Celle-ci fonde la pression juridique dans le fait qu’une organisation raisonnable de la vie sociale n’est possible que par une loi née d’un point de vue unitaire, valable pour tout l’être social et établie par lui. Elaborer un règlement extérieur du comportement humain, sans prendre en considération la volonté autonome de l’individu, c’est lui faire violence et nier l’éducation morale de chacun, qui ne peut se faire que dans le libre développement de sa vie intérieure.

Au sujet du libre développement et de l’éducation morale de l’indi­vidu, l’anarchisme affirme qu’ils suffisent amplement à mener la société à une conscience juridique toujours plus civilisée et qui s’exprime plus purement.

Ce serait faux d’admettre que l’anarchisme, parce qu’il s’efforce de parvenir à un état de non-violence, adopte le point de vue de la non-résistance et de l’acceptation du mal. Certes, l’anarchisme défend le principe de non-violence aussi dans la pratique de l’action sociale, mais il la comprend comme l’opposition à la violence exercée par l’État. L’anarchisme reconnaît cette dernière dans la violence armée. A l’opposé de tout autre mouvement révolution­naire des temps modernes, l’anarchisme ne cherche pas à conquérir cette violence, il n’utilise aucune violence armée pour réaliser ses aspirations. Son but, au contraire, c’est de détruire l’organisation armée à l’intérieur de la société. Son principe, c’est : « Pas d’oppo­sition à la violence avec les moyens violents de l’État —les armes ! » Au lieu de cela, l’anarchisme, dans sa phase actuelle de développe­ment, utilise les moyens d’action socio-économiques qui se trouvent dans la conscience et la force de travail des hommes.