Jamais encore 61 ans de vie militante intense d’un socialiste anarchiste internationaliste et révolutionnaire ne se sont déroulés sous l’œil rétrospectif avec tant de clarté dans l’ensemble et de richesses de détails que dans la vie de Malatesta qui se présente, depuis l’âge de 17 ans jusqu’à celui de 78, pour ceux qui ne croient pas inutile de connaître le côté historique et les évolutions passées, et de procéder pour la pensée et l’action libertaires comme pour toute autre science. Cela ne veut pas dire que nous ne savons que vivre dans le passé, ni que nous désirons nous y éterniser ou reculer vers lui, mais cela veut dire avant tout que, connaissant l’âge et l’histoire des conceptions diverses, nous apercevons mieux leur durée, leur variabilité et leurs autres qualités relatives et que nous ne nous faisons pas d’illusions sur la permanence, la certitude absolue des soi-disant systèmes sociaux.
Né le 4 décembre 1853, dans la petite ville qui s’érige dans la site de l’antique et opulente Capoue (Campanie), Malatesta put assister, en automne 1860, aux dernières luttes de Garibaldi, qui eurent précisément lieu entre cette ville et la forteresse de la Capoue moderne, à quelque distance de là. Bientôt au lycée de Naples ; il fut de cette jeunesse italienne de l’époque qui avait autour d’elle et dans les souvenirs de ses aînés, cette foule de conspirations, d’insurrections, de révolutions et de guerres dont l’État italien unitaire venait de sortir — accepté par les profiteurs, les arrivistes, les résignés, mais considéré seulement comme une construction provisoire, mal faite et à renverser révolutionnairement, par un très grand nombre d’hommes et de jeunes gens de valeur, généreux, intrépides, déterminés, à des luttes nouvelles. Malatesta fut parmi eux ; j’ignore encore les toutes premières étapes de son développement, ainsi que la date de la mort de son père (libéral modéré) et celle de son départ pour Naples. Au début de 1884, il a esquissé sa mentalité de l’année 1868, en un écrit qui a été traduit dans le Révolté du 3 février 1884.
Il s’inspirait alors d’une république idéale, des Gracques, de Spartacus, de Brutus : il voyait des iniquités sociales autour de lui et voulait agir en tribun, en révolté ; en tyrannicide, tout au moins se battre sur une barricade. La république de ses désirs était le règne de l’égalité, de l’amour, du bien-être, et quand enfin il put entrer dans le monde, passer du lycée à l’École de médecine, il se jeta dans tous les mouvements et pour la première fois connut la prison. En même temps, l’étude de l’histoire lui apprit qu’envers le peuple exploité, républiques et monarchies agissaient avec la même cruauté et la même férocité ; il conclut à la nécessité d’un changement économique radical, comme point de départ de toute amélioration.