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II. - Le parolier de l’Internationale : Eugène Pottier

jeudi 22 juin 2023, par Hem Day (CC by-nc-sa)

II. - Le parolier de l’Internationale : Eugène Pottier

Eugène Pottier

C’est la lutte finale
Groupons-nous et, demain
L’Internationale
Sera le genre humain !

C’est à Eugène Pottier que l’on est redevable de la poésie qui allait devenir un jour le chant de com­bat de la classe ouvrière : l’Internationale.

Qui était Eugène Pottier ?

Lui-même, dans sa demande d’adhésion à la loge « Les Egalitaires », loge fondée à New-York par un groupe de proscrits de la Commune, donne sur ses origines ces quelques indications :

Je suis né à Paris, le 4 octobre 1816, d’une mère dévote et d’un père bonapartiste. A l’Ecole des frères jusqu’à dix ans et à l’Ecole primaire jusqu’à douze ans, c’est à mes lectures de jeune homme que je dois d’être sorti de cette double ornière sans m’y em­bourber.

En 1832, j’étais républicain, en 1840, socialiste. J’ai pris une part obscure aux révolutions de 1848 : février et juin.

Du coup d’État au 4 septembre, je demeurai intransigeant : participer avec les assassins du droit, c’est se prostituer.

Après plus de trente ans de prolétariat, je m’éta­blis dessinateur en 1864 ; les dessinateurs industriels n’avaient pas alors de chambre syndicale. A mon instigation, ils en fondèrent une qui comptait cinq cents membres avant la guerre et qui adhéra en bloc à la fédération de l’Internationale.

C’est à ma coopération à ce mouvement que je dus d’être élu membre de la Commune dans le IIe arrondissement. Jusqu’au 28 mai, j’y exerçai les fonctions de maire, après la prise de la mairie par les versaillais, je me repliai sur le XIe arrondissement.

J’avais accepté sans réserve le programme de la révolution du 18 mars :

Autonomie de la Commune, émancipation des travailleurs.

Voilà Eugène Pottier. J’ajouterai que durant cette période il croyait avoir accompli son devoir. II s’esti­mait favorisé, puisqu’il avait conservé sa vie et sa liberté à l’encontre de beaucoup de ses concitoyens, qui avaient perdu l’une et l’autre.

Eugène Pottier, avant de se rendre à New-York, avait passé deux ans d’exil à Londres, et deux autres années à Boston.

C’est à Paris, dans les derniers jours de la lutte, quand j’ai vu, au milieu des transports d’enthou­siasme, le spectacle grandiose de la Maçonnerie adhérant à la Commune et plantant ses bannières sur nos murailles éventrées d’obus ; c’est alors que je me suis juré d’être un jour, un des compagnons de cette phalange laborieuse.

Je me présente à son chantier : Embauchez­ moi !

Ainsi donc, Eugène Pottier, que la mort avait épargné, lors du massacre ignoble de la semaine sanglante, offrira à la classe ouvrière son ardant amour qu’il n’avait cessé de témoigner aux humbles. Il va chanter pour le peuple et dénoncer les préju­gés qui divisent les nations et fait reculer les haines et lève l’étendard d’une révolte saine et juste.

Contre cette trinité oppressive, qui courbe l’homme, en fait trop souvent un résigné, il va lui, avec ses chants, réveiller les endormis, flageller les endor­meurs et dresser une protestation vigoureuse contre la religion, le militarisme et la propriété individuelle. Il va chanter la révolte, dénoncer les imposteurs et préparer l’avènement d’un monde meilleur.

De lui, Jules Vallès écrira dans le Cri du Peuple  :

Celui-ci est un vieux camarade, un camarade des grands jours. Il était du temps de la Commune. Il a été exilé comme le fut Victor Hugo. Comme Hugo, il est poète, mais poète inconnu, perdu dans l’ombre.

Ses vers ne frappent point sur le bouclier d’Aus­terlitz ou le poitrail des cuirassiers de Waterloo ; ils ne s’envolent pas d’un coup d’aile sur la montagne où Olympio rêve et gémit. Ils ne se perchent ni sur la crinière des casques, ni sur la crête des nuées ; ils restent dans la rue, la rue pauvre.

Mais je ne sais pas si quelques-uns des cris que pousse, du coin de la borne, ce Juvénal de faubourg, n’ont pas une éloquence aussi poignante, et même ne donnent pas une émotion plus juste que les admira­bles strophes des Châtiments.

Certes, il n’y a pas à comparer ce soldat du centre au tambour-major de l’épopée ; mais sur le terrain, un petit fantassin qui, caché dans les her­bes, tire juste, vaut mieux qu’un tambour-major qui tire trop haut.

Puis, par la largeur même de son génie, Hugo est trop au-dessus des foules pour pouvoir parler à tous les coins de leur cœur.

Il faut la voix d’un frère de travail et de souf­france.

Celui dont je parle a travaillé et souffert ; c’est pourquoi il a su peindre, avec une déchirante sim­plicité, la vie de peine et de labeur.

C’est de cet autre côté maintenant qu’il faut tourner ses regards et sa pensée — du côté de la grande armée anonyme que le capital accule dans la famine et dans la mort.

Laissez là les porteurs d’armure et les traineurs de tonnerre ; on a assez léché leurs éperons ! Parlons de l’atelier et non de la caserne, ne flattons pas la croupe encore fumante des canons, mais escortons de nos clameurs de piété ou de colère ceux que la machine mutile, affame, écrase — ceux qui ne peu­vent plus trouver à gagner leur pain ; parce que leur métier est perdu ou parce qu’on les trouve trop vieux quand ils demandent, comme une aumône, le droit de crever à la peine.

Pottier, mon vieil ami, tu es le Tyrtée d’une bataille sans éclairs qui se livre entre les murs d’usine calcinés et noirs ou entre les cloisons des maisons gâtées, où le plomb à ordures fait autant de victimes que le plomb à fusil.

Reste le poète de ce monde, qui ne fait pas de tirades et se drape dans des guenilles pour tout de bon, et tu auras ouvert à la misère murée un horizon et à la poésie populaire un champ nouveau.

Elle est là, cette poésie, sous la casquette du vagabond qui finira au bagne, ou sous la coiffe honnête de la mère qui n’a plus de lait pour nourrir son petit ; crime et détresse se coudoient dans la fatalité sociale. Crie cela aux heureux ! et jette, comme des cartouches, tes vers désolés dans la blouse de ceux qui, las de subir l’injustice et le supplice, sont gens à se révolter, car ils ont besoin qu’on les encourage et méritent qu’on les salue pendant qu’ils combattent et avant qu’ils meurent !

Mais peut-être serait-il intéressant de fixer quel­ques traits de ce petit bonhomme au regard vif et perçant. Empruntons à Ernest Museux ce portrait vivant :

Ses yeux noirs, à demi cachés sous ses sourcils, dénotaient par leur scintillement, toute l’intelligence de son âme. Un pli très accentué à la jointure du nez et au front probant de la volonté et du courage.

Il avait la voix douce et le sourire affable. A première vue, on n’eut pas soupçonné qu’il y avait en lui l’étoffe d’un grand poète, énergique tout dévoué à la classe ouvrière. Lui seul savait fouiller dans les replis du cœur du misérable pour y trouver les causes de sa souffrance. Ajoutez à ces qualités mâles une grande timidité qu’il conserva toute sa vie [1]

Voilà l’homme, voyons l’œuvre.

Poète de la vraie race

On a coutume de médire des paroliers. Souvent on leur trouve peu de talent. Il faut avouer que dans l’ensemble la médiocrité est grande. Trop souvent, il nous est offert, sous prétexte de chansons, une suite de strophes dont la valeur poétique est des plus contestables. Sans doute, peut-on pour certains, —il s’agit ici du chansonnier— excuser la légèreté de la composition, obligés qu’ils sont de plier la beauté ou la richesse de leurs vers aux nécessités de l’actualité, et dame, il faut parfois que quelques concessions soient faites, sans pour cela trop nuire à l’ensemble du sujet parolier.

Cette remarque, empressons-nous de l’ajouter, ne s’applique point à Eugène Pottier, non pas que tout soit parfait chez lui. Son œuvre généreuse est comme toute celle qui doit son inspiration au fil de la vie, parsemée de quelques faiblesses, de quelques lacu­nes, mais l’ensemble atteste un artisan farouche qui a su dépeindre l’existence du monde des travailleurs.

On a dit d’Eugène Pottier qu’il a été l’incarnation du « poète du peuple » et Henri Avenel a magnifié celui qui léguait à son insu, ce chant de l’Interna­tionale en lui donnant dans son livre : Chansons et chansonniers la première place parmi les poètes révolutionnaires.

Georges Pioch

George Pioch a écrit au sujet de Pottier :

Pottier fut pourtant un poète. Il a fait mieux qu’exprimer le génie d’une race, il a contenu et projeté l’âme d’un monde, et du plus intéressant : le prolétariat. Il a œuvré des sanglots, des râles, de la misère. Il est un chansonnier plus admirable encore que l’admirable Pierre Dupont. Et il me siérait de le comparer à cet avant-Coppée, à ce bourgeois de Béranger. Il ne s’embarrasse pas de littérature. La beauté des mots le séduit moins que la force des idées. Son vers frustre, toujours éloquent, atteint souvent, sous l’impulsion de l’indignation, à un lyris­me de véhémence insurpassable.

Il peint l’image. Mais elle ne surgit, toujours puissante, que pour intensifier l’Idée et non comme un agrément ou une équivoque de sensibilité. Les sommets d’une inspiration sobre s’embellissent d’une forme verveuse et sonore. Les ïambes valent, pour la virulence, celles de Barbier et de Chénier.

Cet hommage rendu d’un poète, au poète est une parfaite approbation d’Eugène Pottier, poète de la vraie race.

Nadaud ce « chansonnier » de profession, comme l’écrit Jacques Ohailles dans La Chanson populaire française, à qui certains reprochaient la couleur politique de Pottier répondit : Ne le boudons point parce qu’il est rouge ; c’est sa couleur à cet homme, nous n’y pouvons rien. Il était déjà rouge en 1848, quand je l’ai connu, il n’a pas déteint, c’est une qualité.

Heureuse époque, où l’on savait être tolérant à suffisance envers un confrère de l’autre bord, lui reconnaitre du talent, au point de faire les frais d’un recueil de ses chansons.

Bourgeois, repu et délicat, Nadaud fit un sort aux chansons de Pottier en éditant « Quel est le fou ? » Ce « Maître en l’art du couplet » qu’était Nadaud avait su découvrir tout ce que contenait l’œuvre du chansonnier.

Eugène Pottier consignait George Montorgueil, à l’époque : Était bien né poète celui-là, et quoique son livre encore aujourd’hui manuscrit, n’ait été communiqué que confidentiellement à un très petit nombre d’amis, certaines pages se sont envolées au-delà du cercle intime et quelques hommes, dont la parole et la plume font autorité, pourraient confir­mer mon jugement.

Eugène Pottier composa sa première chanson en 1831. II avait quelque chose comme 24 ans.

Les idées de liberté se pressaient confusément en son esprit. « Vive la liberté ! » fut son chant de départ. La révolution de février lui donnera l’occa­sion de s’affirmer dans Le peuple :

Lorsque tombait la pluie fine et qu’un manteau de semblait peser sur tout Paris, glace que les pieds dans la boue et la mitraille en face.

Il y a quelque chose dans cette composition qui annonce quelqu’un.

Ce quelqu’un, va mêler la pensée et l’action et prendre part au coup de feu, aux barricades :

Poète et citoyen de France,
Aux Palais de Tyrans, de sa main amaigrie,
II a gravé ces mots : « Vivre libre ou mourir ! »

Eugène Pottier chante : « Les arbres de la liber­té ». « J’ai faim », « Le petit oublié », « La mort du Globe », « Les buveurs de sang vont naître ».

Pottier fréquente un cénacle de la chanson où se rencontrent Gustave Mathieu, Pierre Dupont, Gus­tave Nadaud. Ce dernier, après avoir entendu un soir Pottier chanter une de ses œuvres, fut fort ému de la fierté et de la véhémence de ses couplets révolutionnaires, et sans être entraîné par la doctrine racontait :

Je me passionnais pour le talent de cet homme qui se révélait soudainement.

Pierre Dupont, ce même soir répondit à Nadaud, qui lui demandait son avis : C’est un qui nous dégote tous les deux.

Ainsi se précise la valeur de l’œuvre d’Eugène Pottier.

Un jour que des amis s’étaient présentés chez lui pour lui offrir aide et assistance, le poète indigent fit choix sans hésitation :

Qu’on publie mes œuvres, et que je meure de faim !

Ainsi vit le jour « Quel est le fou ? », la première chanson qui ouvre le recueil qui datait 1849, nous étions en 1884.

Nadar, Portrait d’Henri Rochefort (vers 1897).

Trois ans après, par les soins de ses anciens col­lègues de la « Commune de Paris » fut publié Chants révolutionnaires. Henri Rochefort écrivit la préface, de laquelle j’extrais ces lignes :

Le poète, disons-le, le grand poète dont vous allez lire les chansons, n’a pas eu à se défendre, n’ayant jamais été attaqué et le fameux pamphlé­taire d’avouer qu’il ignorait Eugène Pottier, que des amis, anciens compagnons d’exil, exaltaient comme un admirable chansonnier d’une grandeur et d’une pureté de style qu’on essayerait en vain d’extraire des flacons d’orgeat que Béranger a ser­vis pendant vingt cinq ans à ses contemporains.

Rochefort connaît maintenant Pottier. Il fait amen­de honorable devant cet écrivain de race et rappelle en des lignes de belle envolée. les désillusions, les déboires, les déconvenues :

Pour Pottier, toute sa vie s’est écoulée dans l’attente d’une réparation que nous lui devons tous, et que, pour ma part, aussi coupable que les autres, je lui offre bien sincèrement. »

Voir en ligne : Bibliographie de Hem Day sur Anarlivres.org


[1Ernest Museux : Eugène Pottier. Portrait d’hier. P. 37.