Entre-temps avait eu lieu le IIe congrès de l’UGT (du 23 au 26 avril 1904). Soixante-douze délégués représentant 43 syndicats et 7 400 adhérents participèrent à ce congrès qui marque un rapprochement avec le PSOA (Parti socialiste) : Le IIe congrès invite les travailleurs fédérés à exercer leurs droits politiques (...) pour que s’établisse une législation ouvrière de défense des intérêts du travail.
Justement, début mai 1904, le ministre de l’Intérieur présente sa « Loi nationale du travail » qui, entre autres, légalise la journée de 8 heures, le jour de repos hebdomadaire, mais réglemente le droit de grève, institutionnalise les syndicats et donne le droit à l’État de réagir violemment en cas de grève « illégale ». Le Parti socialiste, ainsi que l’UGT rejetteront cette loi qui veut paralyser l’action revendicative de la classe ouvrière.
Deux mois plus tard (30 juillet-2 août) se tient le IVe congrès de la FOA. La fédération s’est sensiblement agrandie depuis le IIIe congrès : elle compte 66 syndicats et 32 893 adhérents cotisants. Les délégués des 56 associations présentes au congrès décident la création d’un « Fond du soldat » pour la propagande antimilitariste et pour aider les déserteurs ; ils se prononcent ensuite pour la grève générale (l’école de la révolte), pour la libération de la femme, contre le travail de nuit et le travail à forfait, et pour le rejet de la Loi nationale du travail, etc. La FOA décide aussi de changer de dénomination : désormais elle s’appellera FORA ajoutant l’adjectif « régional » car le congrès n’accepte pas la division politique du globe et estime qu’une nation n’est qu’une région du monde. Après avoir l’autonomie de chaque organisation adhérente, le congrès décide de doter la FORA d’un « Pacte de solidarité » qui a pour dernier paragraphe cette célèbre déclaration : Notre organisation, purement économique, est différente et opposée à celle de tous les partis politiques bourgeois et ouvriers, vu que ces derniers s’organisent pour la conquête du pouvoir politique, alors que nous nous organisons pour que les États politiques et juridiques actuellement existants soient réduits à des fonctions purement économiques et pour que s’établisse à leurs places une libre fédération de libres associations de producteurs libres.
La fin de l’année 1904 sera marquée par les tragiques événements de Rosario. Le 20 novembre, les vendeurs se mettent en grève (ils réclament la journée de 8 heures, le jour de repos hebdomadaire, la reconnaissance des syndicats par les patrons). A cause des policiers qui chargent les vendeurs sortant d’une réunion syndicale, les boulangers de la ville se déclarent en grève le 22 novembre ; le môme jour, la police arrête un ouvrier de 19 ans et l’abat froidement dans la rue. La fédération locale de Rosario décide la grève générale pour 48 heures et appelle à une manifestation de « protestation et de deuil » vers le cimetière. Sans aucune raison apparente, la police attaque le cortège : 3 morts (dont un enfant de 10 ans) et plus de 50 blessés, la grève à Rosario est prolongée et la FORA, appuyée par l’UGT, appelle à une grève générale nationale les 1er et 2 décembre. La solidarité ouvrière est impressionnante : toutes les villes du pays sont paralysées. On peut aussi observer l’énorme influence qu’a la FORA au sein du mouvement ouvrier.
En janvier 1905, de nouvelles luttes pour de meilleurs salaires et des journées de travail plus humaines sont menées. Plusieurs grèves éclatent, dont la plus importante est cette menée par la Confédération ferroviaire. Le 4 février, alors que les grèves se multiplient, une tentative de coup d’État militaire éclate. Le président Quintana décrète l’état de siège pour une durée de 30 jours, officiellement pour poursuivre les auteurs du putsch. Mais, en fait, c’est le mouvement ouvrier qui est visé : les grèves sont réprimées.
L’état de siège ayant été prolongé à 90 jours, la célébration du 1er Mai a lieu le 21 mai. Alors que le cortège (FORA et UGT manifestaient ensemble) arrivait à son point de dislocation, quelqu’un agite un drapeau rouge (son utilisation avait été interdite par les autorités). N’attendant que ça, la police attaque et décharge ses revolvers sur la foule, faisant 2 morts et 20 blessés.
Trois mois plus tard, du 12 au 18 août 1905, des délégués de 72 syndicats représentant 7 659 cotisants assistent au IIIe congrès de l’UGT. Une tendance syndicaliste révolutionnaire, encore minoritaire, s’était développée en son sein. L’UGT redevient favorable à la grève générale non seulement comme un moyen de lutte (...) mais aussi comme une école d’éducation morale pour les ouvriers.
L’action politique n’est plus une nécessité mais devient simplement « secondaire et complémentaire » par rapport à l’action directe sur le plan économique. De plus, l’UGT propose un pacte de solidarité à la FORA pour unifier les forces et les actions de la classe ouvrière
, posant comme seule condition qu’un tel pacte ne porte pas préjudice aux méthode de lutte de l’UGT
.
Fin août, la FORA tient son Ve congrès -y participent 41 syndicats, 5 fédérations locales (53 syndicats) et une fédération de métiers- soit en tout 98 associations. Une ovation est donnée -en son absence- à S. Planas, anarchiste qui avait tenté d’assassiner le président de la République Quintana le 11 août, pour venger la classe ouvrière des événements du 21 mai. Le pacte de solidarité de l’UGT est rejeté : la FORA considère que tout pacte écrit avec l’UGT serait inutile, inefficace et contre-productif
. Mais elle estime que rien ne l’empêchera de coopérer librement avec l’UGT, car la solidarité ne se décrète pas : elle est inhérente à l’espèce.
(les délégués, en fait, n’appréciaient pas la condition sur les méthodes de lutte estimant que cette condition est l’unique point qui donne raison d’être à plusieurs organisations ouvrières (...) et annule complètement la formation d’un accord écrit
). Le congrès débat ensuite sur certains points et adopte des motions Pour combattre la loi nationale du travail, pour préparer des actions contre la « loi de résidence » ; en vue du congrès syndical sud-américain ; pour les écoles libres et contre certains vices ; sur les méthodes de lutte, etc. Mais le Ve congrès est surtout connu pour cette célèbre déclaration, qui fera couler tant d’encre : Le Ve Congrès ouvrier régional argentin, conséquemment aux principes philosophiques qui ont donné raison d’être à l’organisation des fédérations ouvrières, déclare qu’il approuve et recommande à tous ses adhérents la propagande et l’illustration la plus ample pour inculquer aux ouvriers les principes économiques et philosophiques du communisme anarchiste.
Désormais, la FORA sera fixée idéologiquement.