Accueil > PARTAGE NOIR - Brochures > Portraits > Fernand Pelloutier (1867-1901) > [12] Fernand Pelloutier (1867-1901) - Pelloutier écrivain

[12] Fernand Pelloutier (1867-1901) - Pelloutier écrivain

jeudi 9 avril 2020, par Georges Yvetot (CC by-nc-sa)

Pelloutier était d’une souche bourgeoise, il était un intellectuel. Mais de quelle espèce rare d’intellectuels ! Sa pensée, son amour de la justice, l’avaient conduit dans les rangs du peuple ; il en a vécu toute la vie douloureuse : il s’est fait naturaliser prolétaire ; il est devenu ouvrier, prenant le composteur pour composer l’Ouvrier des Deux Mondes. S’il se mêla aux travailleurs, ce ne fut ni pour les conduire, ni pour les diriger, mais pour lutter avec eux à l’émancipation commune.

Cependant, sans prétention, Pelloutier fit profiter les autres de son savoir. S’il avait goût d’écrire, s’il avait coquetterie de forme, élégance de style, ce ne fut jamais pour dire des insignifiances ou parler de choses inutiles. Toujours sa plume fut servante fidèle de sa pensée, comme celle-ci l’était de ses idées et de ses convictions.

Rien des idées essentielles de Pelloutier n’est à rejeter aujourd’hui. Au contraire, on les comprend de mieux en mieux et, dans certaines grandes fédérations à tactique révolutionnaire, comme celles du Bâtiment et des Métaux, on tend de plus en plus à les mettre en pratique.

Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à lire les magnifiques Annuaires du Bâtiment (celui de 1910 et celui de 1911). Il n’y a qu’à suivre le travail colossal de documentation du camarade Merrheim sur les manœuvres patronales, sur les bénéfices de nos maîtres. Tout ce qu’on peut regretter, c’est que Pelloutier ne soit plus là pour poursuivre et amplifier un tel travail.

Pelloutier est resté la bête noire des guesdistes ; qui ne lui pardonnent pas d’avoir travaillé avec succès à rendre l’organisation syndicale indépendante des partis politiques et d’avoir montré aux anarchistes qu’ils pouvaient garder leurs aspirations et participer à l’œuvre des syndicats :

Nous voulons que toute la fonction sociale se réduise à la satisfaction de nos besoins ; l’union corporative le veut aussi, c’est son but, et, de plus, elle s’affranchit de la croyance en la nécessité des gouvernements ; nous voulons l’entente libre des hommes ; l’union corporative (elle le discerne mieux chaque jour) ne peut être qu’à condition de bannir de son sein toute autorité et toute contrainte ; nous voulons que l’émancipation du peuple soit l’œuvre du peuple lui-même ; l’union corporative le veut encore ; de plus en plus, on y sent la nécessité, on y éprouve le besoin de gérer soi-même ses intérêts ; le goût de l’indépendance et l’appétit de la révolte y germent ; on y rêve des ateliers libres, où l’autorité aurait fait place au sentiment personnel du devoir ; on y émet, sur le rôle des travailleurs dans une société harmonique, des indications d’une largeur d’esprit étonnante et fournies par les travailleurs mêmes. Bref, les ouvriers, après s’être crus si longtemps condamnés au rôle d’outil, veulent devenir des intelligences pour être en même temps les inventeurs et les créateurs de leurs œuvres.

Qu’ils élargissent donc le champ d’étude ouvert ainsi devant eux. Que, comprenant qu’ils ont entre leurs mains toute la vie sociale, ils s’habituent à ne puiser qu’en eux l’obligation du devoir, à détester et briser toute autorité étrangère. C’est leur rôle, c’est aussi le but de l’anarchie !

Détester et briser toute autorité étrangère, ne vouloir ni être commandé ni commander, avoir souci de sa dignité personnelle et faire peu de cas des flagorneurs intéressés du peuple et des conseillers ignorants, prétentieux et néfastes de la classe ouvrière, c’est à quoi nous nous appliquons. Si l’ouvrier, quelque jour, est dupe de quelqu’un, c’est qu’il ne nous aura pas entendu ou ne nous aura pas compris et qu’il sera encore tombé sous l’influence de gens qui ne sont moralement ni matériellement de sa classe.

Assez longtemps, le peuple fut l’instrument des révolutions politiques oui servirent à d’autres qu’à lui-même. S’il veut ne plus l’être, qu’il lise et qu’il connaisse l’œuvre de Pelloutier, ce travailleur acharné, ce militant désintéressé. Il y puisera du réconfort et de la foi dans les destinées de la classe ouvrière.

Certes, les gens que gène une propagande comme celle de Fernand Pelloutier parmi les masses ouvrières penseront que ce précurseur est un de ces morts qu’il faut qu’on tue. Mais nous n’aurons pas de peine à le faire vivre en imitant sa vie, en continuant son œuvre. N’est-ce pas le plus bel hommage que nous puissions rendre à sa mémoire ? N’est-ce pas le plus ému souvenir d’admiration que nous puissions donner à son œuvre ?