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Le coin de la libre pensée

Martyrs et précurseurs - Michel Servet

Monument expiatoire de Genève

mercredi 1er octobre 2025, par Paul Gourmelon (CC by-nc-sa)

C’est une noble et belle ligure que celle de Michel Servet, assassiné par Calvin, sur le bûcher de Champel (Genève), le 27 octobre 1553.

Nous relatons très brièvement cette trop courte vie enlevée a la Science, à l’Humanité, par le fanatisme religieux.

Michel Servet, qui n’avait que 42 ans lorsqu’il fut brûlé vif pour crime d’hérésie, était né à Tuleda, ville du royaume de Navarre, le 29 septembre 1511. Son père, originaire de Villannova, exerçait la profession de notaire. Sa mère était d’origine française. L’éducation qu’il reçut, dans sa ville natale, fut sérieuse et variée. Dès son adolescence, il fit preuve d’une grande aptitude pour les mathématiques et les langues anciennes. A quatorze ans, dit un de ses biographes, il entendait le latin, le grec, l’hébreu, et avait une connaissance approfondie et étendue de la philosophie et de la théologie scolastique. Il mérite de prendre place parmi les enfants célèbres.

De bonne heure, sa conscience fut acquise aux idées de liberté, et mise en révolte contre l’intolérance religieuse. Les persécutions sévissaient, quotidienne et nombreuses, dans toute l’Espagne. Michel Servet eut, sous les yeux, pendant son enfance, le spectacle de la plus effrayante cruauté. Le tribunal du Saint-Office — l’inquisition — institué par le roi, confirmé par le pape, avait des pouvoirs illimités. Exigeant et récompensant la délation, procédant par le mystère et la torture, le Saint-Office envahissait l’Espagne et régnait, sur elle, par l’épouvante. En une seule année, dix-sept mille personnes furent condamnées à l’amende, à la prison, ou soumises à la torture et envoyées à la mort ; plusieurs centaines de cadavres d’hérétiques furent déterrés et livrés au feu. De l’année 1481 à 1541, vingt mille victimes périrent dans les flammes. Tout cela au nom de la religion catholique, apostolique et romaine !

A quatorze ans, sa famille l’envoya à l’université de Saragosse. Il y prit le goût de la géographie. Craignant, sans doute, pour la sécurité de leur fils dont la vive imagination et l’indépendance intellectuelle les inquiétaient, ses parents le firent partir pour la France : il arriva à Toulouse, en 1528, et se fit inscrire comme étudiant en droit à l’université de cette ville. Il avait donc dix-sept ans. Cette université, jadis si célèbre pour son esprit de tolérance, était devenue dévote depuis que Saint Dominique y avait séjourné et institué, avec le concours de Foulques, ancien moine de Citeaux, le tribunal ecclésiastique chargé « d’extirper l’hérésie ». Michel Servet quittait une terre d’inquisition espagnole pour rencontrer, à Toulouse, une terre d’inquisition française. Il ne resta, dans la capitale du Languedoc, que quelques mois, ayant été pris, comme secrétaire, par le confesseur de Charles-Quint, Jean de Quinlana, non hostile aux idées luthériennes. Il suivit son protecteur en Italie, puis en Allemagne. Il avait 19 ans. Déjà détaché du catholicisme, il ne se sentait pas protestant selon les formules à la mode. Il voulait être libre penseur, dans l’hérésie théologique. Tendance dangereuse qui allait faire de lui un isolé au milieu de frères ennemis, une cible vivante offerte à l’hostilité des protestants enrégimentés et des catholiques officiels.

Michel Servet quitta son protecteur peu après et se rendit à Bâle, où il publia un livre qui fil grand bruit : Les Erreurs de la Trinité. Les catholiques et les protestants furent d’accord pour flétrir le démoniaque Servet (1530). Un protestant, du nom de Bucer, osa dire, en pleine chaire, qu’il faudrait arracher les entrailles à cet Espagnol, et l’écarteler ensuite. Abreuvé d’injures , Michel Servet quitta Râle, arriva en France et parvint à Lyon, dépourvu de ressources, épuisé de fatigue et mourant presque de faim. Un imprimeur eut pitié de sa jeunesse, de son talent, de son dénuement et l’employa comme correcteur d’imprimerie. En 1534, il apprend la médecine et devint médecin en 1537. En 1538, il publia, à Paris, un livre sur la « thérapeutique », qui bouleversait toutes les vielles formules des officiels d’alors.

Statue d’Annemasse.

Ce livre fut condamné par le Parlement de Paris et la Faculté de médecine. Les exemplaires furent saisis et brûlés en place de Grève. Michel Servet ne dut la vie sauve qu’à sa fuite. Il se fixa alors a Vienne, sous le faux nom de Michel de Villeneuve, du nom du pays d’origine de son père. Il resta là 12 ans, exerçant la médecine. Il était aimé, estimé, l’ami et le consolateur des pauvres. L’exercice de son métier de médecin ne l’empêchait pas d’écrire et de polémiquer. Il entra en correspondance avec Calvin, de Genève. Il lui adressa trois lettres pour réfuter la théorie du pape protestant. C’est ce qui le perdit. Ayant publié un livre : La Restitution du Christianisme, sans nom d’auteur, Calvin, dont la haine était tenace et farouche contre l’hérétique Servet, put se procurer un exemplaire de ce livre, qui faisait grand bruit en France et dont les exemplaires furent saisis et brûlés par la main du bourreau. Calvin dénonça, à l’inquisition française, Michel Servet comme étant l’auteur de cette publication. Il fit parvenir, au grand inquisiteur de France, les trois lettres personnelles que Servet lui avait écrites quelque temps auparavant. Michel Servet fut arrêté, jugé et condamné à être bridé vif. Il parvint à s’évader de prison et s’enfuit en Suisse, comptant se rendre, après, en Italie. Malheureusement, il passa par Genève où il fut reconnu, arrêté, jugé, condamné au bûcher, sur l’ordre de Calvin, qui faisait office de grand inquisiteur. Son procès fut odieux. Privé de défenseur, il fut soigneusement emmuré : on cloua les fenêtres de sa prison pour l’empêcher de communiquer avec le dehors. Isolé, abattu par les longs interrogatoires, privé presque de nourriture, dévoré par la vermine, le malheureux pourrissait littéralement dans l’humidité de son cachot. Il y resta trois semaines. Le 27 octobre 1553, il sortit pour être envoyé au bûcher, à Champel, sans vouloir renier sa pensée. On eut la cruauté de le faire mourir à petit feu : son supplice dura une demi heure.

C’est ainsi que mourut Michel Servet, celui de qu’Élisée Reclus, le célèbre géographe et anarchiste bien connu, disait : Qu’a fait Calvin, maître du pouvoir ? Il a fait brûler Michel Servet, un des hommes de divination scientifique comme on en compte à peine dix ou douze, dans l’histoire de l’humanité toute entière. Elisée Reclus écrivait encore ceci : La ville de Calvin, qui dresse maintenant un tombeau somptueux au duc de Brunswick, ne pourrait-elle aussi ériger une pierre d’expiation à l’endroit où fut brûlé Michel Servet, l’illustre Espagnol qui découvrit, avant Harvey, la circulation du sang et qui fut le précurseur de d’Anville, dans la géographie comparée ? Carl Vogl, l’illustre naturaliste, dit, en parlant de Michel Servet, que c’est : le plus grand savant du seizième siècle. Jules Michelet, le grand historien, s’exprime ainsi : Au moment où Copernic donne au monde la révélation de la terre... Servet donne la révélation de l’homme et la circulation de la vie. Auguste Dide, l’auteur du beau livre intitulé Michel Servet et Calvin, où ces renseignements ont été puisés, parle ainsi de Servet : Par la prodigieuse activité de son esprit, par l’immensité de ses connaissances, Servet, qui savait à fond l’espagnol, le français, l’italien, le latin, le grec, l’hébreu, se rapproche de Rabelais. Mais c’est un Rabelais grave et qui ignore l’art de faire grimacer et rire la vérité. Comme Rabelais, il croit à la bonté de la nature humaine... Dolet, Rabelais, Servet, revendiquent les droits de l’homme, prêchent la foi profonde, celle qui permet d’arriver, par la liberté de la science, à épanouissement complet des esprits, au règne de la fraternité universelle, à l’anarchie de la bonté, à l’abbaye de Thélème. Rabelais a formulé cette doctrine de libertés, de bonne humeur, de cordialité rayonnante, dans un livre qui, littérairement, est la merveille des merveilles, où la langue française apparaît avec une ampleur qu’elle n’a jamais eue avant ni après : où tout s’harmonise... Fais ce que veulx ! Ecarte de ta compagnie les cagots, hypocrites, scribes et pharisiens, mangeurs du populaire : Confie-toi à l’alme nature.

Inutile, n’est-ce pas, d’épiloguer. Tous les fanatiques, qu’ils s’appellent Calvin, Ignace de Loyola ou Lenine, ne sont que des bourreaux, des assassins.