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Louis Matha
dimanche 5 octobre 2025, par (CC by-nc-sa)
C’est tout ému encore que j’écris ces quelques lignes sur le bon compagnon. Louis Matha, décédé subitement en arrivant chez moi, le 12 février dernier.
C’était une fête que de nous réunir, une fois de plus, pour causer amicalement des beaux jours d’enthousiasme de l’anarchisme militant d’avant-guerre. Notre cher Sébastien, à la veille de partir pour une longue tournée de conférences, allait être des nôtres. Nous allions remuer les vieux souvenirs, revivre parmi nos convictions toujours ardentes, les heures d’agitation, de fièvre et d’espoir.
Quel choc au cœur ce fut pour Sébastien, qui me précédait de quelques minutes, lorsqu’il apprit la fin brutale de son vieil ami, du fidèle compagnon des jours héroïques. Devant le désespoir de sa compagne bouleversée et la sérénité impressionnante du défunt, les mots, qui veulent être consolants, eussent été, ici, hors de propos, là impuissants. Matha n’avait-il pas eu la mort qu’il souhaitait ? Partir vite et sans bruit, modestement, sans fleurs, ni couronnes, ni discours, ni regrets superflus, c’est la plus belle mort !
disait-il souvent.
C’est à peine si l’on s’aperçut de son départ. Cependant il était connu et aimé de beaucoup.
On n’a pas oublié qu’il fut du fameux Procès des Trente, et qu’il était des quelques-uns qui y risquaient le plus, s’étant généreusement affirmé.

Il fut également de toutes les batailles dans la rue — avant, pendant, après l’affaire Dreyfus — partageant les dangers fréquents qu’il y avait, à l’époque, à tenir tête au fanatisme de toutes les réactions, comme l’ont en ce temps-là, si souvent fait quelques hommes d’action... en attendant la Révolution sociale !
Longtemps il s’occupa du Libertaire, journal populaire de propagande et d’action.
Que sont-ils devenus tous ceux qui ont fait, dans les colonnes de ce journal, les plus audacieuses déclarations, maladroites et juvéniles parfois, mais, certes, déclarations de foi, on peut le dire, hommes plus souvent téméraires que réfléchis, mais sincères ?
Matha n’écrivait pas souvent (il n’était pas écrivain) et, n’étant pas orateur, il ne parlait pas davantage pour le public. Mais il donnait son effort, son savoir, son expérience, ses conseils à ceux qui parlaient et à ceux qui écrivaient. Il avait des idées claires et les répandait à sa manière en causant amicalement, en persuadant avec, bonhomie.
Les portes de la cabane du Libertaire, rue d’Orsel, étaient grandes ouvertes à tous le hommes de bonne camaraderie, aimant la liberté, à tous ceux de bonne volonté. On entrait, on sortait, on était chez soi. Évidemment, on ne s’y enrichissait pas. L’accueil était familial, mais il n’était pas rémunérateur. On y essayait son talent quand on en avait, mais on ne le vendait pas... Quelques-uns ne l’ont pas oublié.
C’est à cause de cette facilité d’accueillir tout le monde et de n’offrir que la soupe à l’occasion, que défilèrent au Libertaire tant et tant de jeunes gens cherchant leur voie, jetant leur gourme. Il a passé là bien des étoiles... filantes et bien des refileurs de comètes. Que d’infidèles ont bien fait de se faire oublier. Mais combien d’autres aussi sont inoubliables !
Inutile de rappeler des faits qui sont tout à l’honneur de Matha ! Combien de fois des agents provocateurs sont venus déposer au Libertaire des objets suspects. Des policiers, peu après, envahissant tout à coup le local, découvraient aussitôt les colis. C’est ce qu’il fallait pour inculper, arrêter et emprisonner Matha et d’autres camarades se trouvant de bonne prise ?
Mais c’était la coutume en ce temps-là. Chaque jour amenait sa surprise désagréable. C’était la seule publicité faite aux journaux anarchistes.
On ne parlait pas de désintéressement on agissait, on œuvrait sans s’inquiéter de ce que ça rapporterait. Ça rapportait des poursuites, des amendes, de la prison.
Quand Laurent Tailhade écrivit dans le Libertaire sa belle page : Le Triomphe de la Domesticité, cela rapporta un an de prison au talentueux polémiste et six mois à Louis Grandidier.
Mais quel joli procès ce fut et quelle bonne propagande ! Et c’est tout ce qu’on voyait, alors !

Plus tard, Matha s’occupa, avec un zèle à la hauteur de son dévouement, du Comité de Défense sociale. Que de démarches faites par lui pour qu’aboutisse une campagne de protestation pour des victimes de l’arbitraire ! Combien de malheureux, par cette généreuse agitation, ont été arrachés aux bourreaux et aux malfaiteurs, qui servent la bourgeoisie !
L’organisateur d’agitation protestataire c’était surtout Matha, notre ami Matha. Il fut toujours la modestie et le dévouement mêmes !
Je ne suis pas seul à le proclamer. D’autres vieux amis de Matha ont su dépeindre mieux que moi sa scrupuleuse probité morale, cette enthousiaste générosité qui le lançait dans la mêlée pour défendre une bonne cause, pour secourir une misère. On ne saura jamais tout ce qu’il fit discrètement en faveur de bons camarades en danger.
Ces hommages d’écrivains qui savent se souvenir, ces anecdotes du passé sont autant de fleurs que le temps ne fanera pas aussi vite que celles de la vanité humaine qui salissent de leur luxe éphémère tant de tombeaux.
En ces dernières années, Matha vieilli et sa chère compagne vivotaient tranquillement à Paris-Jardins où sont également sociétaires quelques autres bons camarades militants d’hier et d’aujourd’hui. Il habitait l’avenue de la Cité Nouvelle. C’était comme un symbole du Rêve évanoui désormais pour lui et pour tant d’autres idéalistes.
Ah ! qu’il faisait bon chez lui ! Comme il y faisait figure tranquille de philosophe et d’apôtre.
S’appliquant à ne rendre à tous et à chacun que des services gratuits, il ne lui déplaisait pas d’en recueillir parfois ingratitude, indifférence et même calomnie ; car on voit des gens incapables d’admettre qu’on puisse faire le bien pour rien, pour le plaisir et pour l’Idée. - Comme a dit de lui Victor Méric, dans le journal d’Emile Buré :
Curieux homme
que ce Matha. En, effet, quel phénomène. Il savait rire du mal qu’on pouvait dire de lui pour le bien qu’il faisait.

En revanche, il ne manquait pas d’estime, ni de sympathie parmi les gens de toutes conditions qui peuplent aujourd’hui le Paris-Jardins de Draveil. Il y possède de bons et vrais amis. Et parmi ces derniers, les enfants ; tous les enfants aimaient Matha, car ils se sentaient fort bien aimés de lui. Ils lui sautaient au cou à chaque rencontre. Pensez un peu : Matha avait un âne et une charrette. Eh ! oui. Avec cet attelage il s’en allait chercher des livraisons à la gare et promener les enfants avec leurs baluchons dans la forêt de Sénart. Un jour de Noël, Gentil (c’est le nom de l’âne), conduit par son maître Matha, vint sur la scène chargé de jouets. Quel succès ! Quels cris de joie des enfants ! Aussi, Gentil, devant un tel vacarme n’y put tenir et se joignit aux acclamations spontanées en se mettant à braire comme il savait. Ce jour-là, Matha fut aussi joyeux que les enfants. Il en parlait souvent. Matha, très sobre, aimait la vie, dans ce qu’elle a de beau.
Tel était Louis Matha, le farouche inculpé du Procès des Trente et de bien d’autres encore. Pour de telles vertus d’humilité et de charité, les religions canonisent les leurs. Pour nous qui, comme lui, n’aimons et ne voulons ni dieu ni maître, nous dirons simplement en nous souvenant de lui : Ce bon Matha ! ce brave Matha ce cher ami !...
Voir en ligne : Dictionnaire international des militants anarchistes : Louis Matha