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Les Martyrs & les Précurseurs : Étienne Dolet

La torture d’Etienne Dolet (1509-46) - Leon Charles Adrien Bailly

vendredi 3 octobre 2025, par Paul Gourmelon (CC by-nc-sa)

Étienne Dolet, que l’on a surnommé le « Martyr de la Renaissance », naquit à Orléans, le 3 août 1509, de parents d’une certaine aisance, qui lui donnèrent une éducation libérale, laissant libre carrière à son goût pour les lettres. Jusqu’à l’âge de douze ans, Dolet resta à Orléans pour aller, après, à Paris où il resta 5 années. Il devint un adepte fervent de Cicéron et eut, à ce sujet, des polémiques assez vives avec Erasme, le célèbre auteur de l’Eloge de la folie, livre rempli de sarcasmes contre les bigots et les moines. Pendant ces cinq années, Dolet fut l’élève de Nicolas Bérauld, l’un des plus illustres professeurs d’éloquence et de littérature latine de cette époque. Il cultiva son éloquence et apprit à penser, il s’adonna plus spécialement à l’étude de Cicéron et, avant de quitter Paris, il avait conçu l’idée et arrêté le plan de son grand ouvrage les Commentaires de la langue latine.

Étienne Dolet

Dolet avait alors 17 ans. Il partit pour l’Italie et s’installa à Padoue, célèbre alors par son université et ses éloquents orateurs. Il subit l’influence d’un disciple de Pomponatius, qui combattait l’esprit superstitieux du Moyen-Age et était humaniste. Il resta trois années à Padoue et ce fut surtout la littérature qui était la maîtresse de Dolet et non le philosophie. Il semble qu’il n’ait étudié cette science que pour se rendre compte des tendances irrationnelles des opinions orthodoxes qui prévalaient alors. Élève et ami du savant Simon Villanovanus, Dolet écrivit, à la mort de son vénéré maire (1530), son épitaphe et trois odes latines qui, par leur noble sentiment et leur langage élevé, montrent l’estime et l’affection de l’élève pour le maître. Dolet nous a laissé une charmante description de la vie studieuse de Padoue, dialogue imagé dans lequel il combat Erasme ; mais qu’il combat avec les armes de la plus libre tolérance et avec la plus grande courtoisie. Affecté profondément par la mort de Simon Villanovanus, Dolet trouve le séjour de Padoue irrespirable pour sa trop grande douleur ; il songeait à retourner en France, lorsqu’il céda aux prières de Jean de Langeac, qui passait alors par Padoue pour se rendre à Venise, comme ambassadeur, et qui l’engageait à l’accompagner en qualité de secrétaire. Étant secrétaire d’un ambassadeur, à l’âge de 21 ans, Dolet, on pouvait le supposer, « devait être emporté par cette vague qui, à la marée montante, mène à la fortune. » Il n’en fut pourtant rien. Il n’en conserva que l’estime et l’amitié de Jean de Langeac, qui l’encouragea à suivre les cours d’éloquence de Enazio, alors célèbre à Venise comme professeur de composition latine. Dolet suivit ces cours avec toute l’ardeur de son âge et augmenta encore le bagage de ses connaissances, déjà grandes. Il n’y resta qu’un an et revint en Fraie, avec de Langeac, pour se consacrer à son livre Commentaires sur la langue latine, conçu à l’âge de 16 ans. Il en avait 22 à son départ de Padoue.

Le poste de secrétaire n’enrichit pas Dolet. A son départ de Padoue, Dolet était très pauvre. Il put, néanmoins, entrer à l’Université de Toulouse comme étudiant. La pauvreté de ses habits, la misère et la gêne, qui ne l’empêchaient pas de vivre dans le contentement, par son goût pour l’étude, lui valurent d’être tourné en ridicule par ses collègues d’université. Les deux années que passa Dolet à Toulouse sont parmi les plus importantes de sa vie. C’est là que se préparèrent tous ses malheurs et qu’il suscita toutes ces inimitiés qui le poursuivirent jusqu’au jour où il fut brûlé sur la place Maubert ; c’est là aussi qu’il se lia avec d’excellents amis qui ne l’abandonnèrent jamais. A Toulouse, Dolet s’attaqua, par la parole et par la plume, aux bigots et aux juges. Il fut jeté en prison, sous prétexte d’avoir excité à la révolte et attaqué le parlement. A sa sortie de prison, il quitta Toulouse (1534) et se fixa à Lyon, où il entra comme correcteur chez un savant imprimeur, Sébastien Gryphius. A partir de cette époque et pendant les douze années qui lui restent à vivre, Lyon sera la résidence de Dolet, sauf deux séjours de courte durée à Paris, un petit voyage en Piémont et deux longues captivités de chacune là mois. Dolet se marie avec la fille d’un imprimeur et tient une imprimerie à son compte. Dolet publie au moins 15 ouvrages différents de sa composition. Il traduisit en français encore 5 autres ouvrages et les fit imprimer. Il dirigea la publication de 50 œuvres de différents auteurs grecs, latins et français. Il se lia d’amitié avec Clément Marot et Rabelais, alors résidant à Lyon. Il engagea celui-ci à faire imprimer son Gargantua et son Pantagruel. Outre les Commentaires de la langue latine, qu’il avait mis dix ans à écrire, Dolet imprima aussi, de lui, l’Orateur français, où il épurait la langue française et un livre d’histoire.

Au martyr Etienne Dolet - Cartoliste

Il n’y avait, à cette époque où sévissait en France la Sainte-Inquisition et Ignace de Loyola, de profession plus odieuse, pour les amis de la bigoterie et de la superstition, que celle d’imprimeur. On intima l’ordre à Étienne Dolet de cesser ses publications et de retirer, de ses presses, ses livres. Dolet continua quand même. Il fut arrêté à Lyon et conduit à Paris pour y être jugé. Le Parlement de cette ville déclara Dolet coupable de blasphème, de sédition et d’exposition de livres prohibés et damnés. Il fut condamné à être brûlé vif avec ses livres. L’exécution eut lieu sur la place Maubert, le 3 août 1546.

Ainsi mourut ce savant, pour avoir résisté à la bigoterie et attaqué la superstition. Pour montrer la belle âme de ce martyr de la Libre Pensée, quelques lignes de lui, citées ici, suffiront à le faire aimer : Les lettres, de nos jours, s’épanouissent avec splendeur : heureuse et brillante floraison ! La littérature est cultivée avec un si bel enthousiasme que, pour atteindre à la gloire des anciens, une seule chose nous manque : la liberté. Cependant la brèche est ouverte. De tous les coins de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, la Science fait partir, en même temps, ses foudres de guerre dont les éclats tombent sur la barbarie encore debout...

L’on semble rêver en songeant que cela fut écrit vers 1540. Aussi ce grand esprit était trop clairvoyant, et trop gênant par conséquent. Les forces mauvaises d’obscurantisme ont assassiné cette intelligence supérieure et cette âme généreuse et courageuse. Salut à toi, Étienne Dolet ! Honte à vous, lâches bourreaux qui, sous le couvert d’une religion d’amour et de bonté, n’avaient comme seule arme : l’éteignoir du bûcher.