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Kropotkine et Malatesta

jeudi 9 décembre 2021, par Gaston Leval (CC by-nc-sa)

Contre-courant a reproduit dernièrement un article où Malatesta attaquait l’œuvre intellectuelle de Kropot­kine. Cet article n’a pas été le seul du même genre publié par le même auteur. J’en ai lu d’autres qui, en leur temps, ont exercé, en Amérique du Sud où je me trouvais alors, une influence réelle, mais passagère, dans certains milieux anarchistes communistes. Moi-même, au premier abord, j’avais été impressionné par leur apparente logique, et à la mort de Malatesta, j’affirmais, dans la revue de Buenos-Aires Nervio, la posi­tion de principe malatestienne supérieure à celle de Kropotkine.

Mais, autodidacte en formation constante, cherchant toujours, étudiant toujours, et reprenant Kropotkine aussi bien que Malatesta, je ne tardais pas à me convaincre que la position de ce dernier conduisait à une impasse, à une espèce de scolastique moyenâgeuse d’où l’étude serait bannie, et où la dialectique des littérateurs les plus habiles l’emporterait sur la connais­sance approfondie des faits. Que, en repoussant la science on repoussait en réalité toute étude systématique et sérieuse des différents problèmes dont on s’occupait —car c’est cela, la science—, et que l’on condamnait la pensée anarchiste à n’être plus que du bavardage plus ou moins habile, plus ou moins éloquent, mais sans consistance et sans possibilité de portée réelle sur la pensée sociale du présent et de l’avenir. Cela, pratiquement, nous menait au néant. Seuls les vaniteux, dans ce siècle où les études coordonnées apportent et continuent d’apporter tant d’éléments d’appréciation qui limitent nos pré­tentions de tout savoir et de tout vouloir trancher, peuvent s’en satisfaire.

Les critiques de Malatesta ont été formulées après la mort de Kropotkine, ce qui est et a été profondément regrettable. De leur ensemble j’ose affirmer que bien peu de choses valables demeurent. Les apparences sont différentes pour ceux qui n’ont lu suffisamment ni l’attaquant, ni l’attaqué.

Malatesta est hors de la vérité quand il présente Kropotkine comme un simple « poète de la science ». Il faudrait d’abord savoir dans quelle mesure il est qualifié pour se prononcer ainsi. Car son intelligence aiguë n’empêche pas qu’il ne fut jamais qu’un étudiant qui fréquenta plus les cercles révolu­tionnaires que l’Université et que, par la suite, rien, dans tous ses écrits, ne permet de lui attribuer une érudition suffisante pour juger ainsi Kropotkine.

Celui-ci était, à trente ans, nommé président de la Société de Géographie de Russie, pour les brillantes découvertes qu’il avait faites sur l’orographie générale de l’Asie. Il fut, en rem­placement de Huxley, le grand continuateur de Darwin, collaborateur-rédacteur de l’Encyclopédie britannique. Sa valeur de naturaliste apparaît dans des livres comme l’Entraide, où pour la première fois on présente toute une philosophie sociale fondée sur la solidarité au sein des espèces animales et dans la préhistoire et l’histoire de l’humanité. Elisée Reclus fit col­laborer Kropotkine à la rédaction de la Géographie Universelle, pour ce qui concernait la Russie et l’Asie. Qui a lu Champs, Usines, Ateliers, a vu ses vastes connaissances en matière économique, connaissances qui éclatent, avec celle de l’histoire de la civilisation, dans les premiers chapitres de La Conquête du Pain, que l’on retrouve dans la forte brochure L’État, son rôle historique, et dans La Science Moderne et l’Anarchie  [1]. L’Ethique montre une immense érudition, et même tels ou tels chapitres de Paroles d’un Révolté prouvent un savoir qui dépas­sait celui de l’amateur. Si, au moment de l’emprisonnement de Kropotkine en France, des hommes comme Herbert Spencer ont signé la protestation d’une partie du monde scientifique anglais, ce ne fut pas seulement parce qu’il s’agissait d’un condamné politique.

Ce « poète de la science » le fut peut-être, mais il fut bien davantage aussi. II y a eu de plus grands hommes de science, mais Kropotkine en fut un. Et l’on peut regretter de n’en avoir pas eu beaucoup d’autres de la même valeur —ce qui ne me fait pas oublier Elisée Reclus.

Ainsi lancé, Malatesta fait à Kropotkine des reproches fondamentaux. D’abord, celui d’avoir basé l’anarchie sur la seule science, rien que sur elle. Pour cela, il a plusieurs fois reproduit une phrase tirée de La Science Moderne et l’Anarchie. Cette phrase, la voici : L’anarchie est une conception de l’univers, basée sur une interprétation mécanique des phéno­mènes, qui embrasse toute la nature, y compris la vie des sociétés. Qu’est-ce que cela a à voir avec l’anarchie ? a demandé Malatesta à plusieurs reprises. Que l’univers soit ou non explicable selon les dernières découvertes de la physique n’em­pêche nullement que l’oppression de l’homme par l’homme et l’exploitation de l’homme par l’homme soient une injustice, et qu’il faille les combattre.

En cela, il avait raison, et cette première réaction est d’une telle évidence qu’il a avec lui la totalité de ses lecteurs. Mais son premier tort est de présenter cette phrase, extraite d’un paragraphe qui appartient à un chapitre d’un livre qui en contient beaucoup d’autres, comme la seule base que Kro­potkine donnait à l’anarchie.

Je suis bien obligé de dire qu’en agissant ainsi, Malatesta déforme absolument la pensée de Kropotkine. Quiconque lira La Science Moderne et l’Anarchie verra, à la page 46, de l’édi­tion française, que la phrase reproduite appartient au chapitre intitulé « Position de l’anarchie dans la Science Moderne ». Kropotkine y répond à la question : « Quelle position occupe l’anarchie dans le grand mouvement intellectuel du dix-neuviè­me siècle ? » Se situant sur ce terrain où la philosophie ne peut ignorer les découvertes nouvelles, il explique que la science, c’est-à-dire les connaissances acquises sur la nature et la cons­titution de la matière, le mécanisme de l’univers et l’évolution de formes vivantes et des organismes sociaux, constituent un tout qui donne une base sûre à la philosophie matérialiste ; que cette philosophie matérialiste, en éliminant la conception auto­ritaire que suppose un Dieu créateur et directeur du monde, permet l’élaboration d’une philosophie où le progrès est l’œu­vre d’une évolution parfaitement naturelle, sans qu’une source et une intelligence extérieures interviennent. Que par consé­quent les lois naturelles —ou plutôt les « faits » naturels— sont essentiellement non autoritaires, et que cette vaste syn­thèse du monde permet l’élaboration d’une philosophie sociale nouvelle. Voilà, dit Kropotkine. la position de l’anarchie « de­vant le mouvement intellectuel du dix-neuvième siècle ».

Que cela dépasse les préoccupations intellectuelles de Mala­testa, c’est son affaire. Bakounine avait, avant Kropotkine, élaboré une philosophie semblable. Pour lui, le socialisme était la conséquence directe et logique de la conception matéria­liste de l’univers. Mais on sait suffisamment qu’il a eu d’autres raisons de lutter. Kropotkine aussi les a eues. Il suffit de le lire pour le savoir.

Car, chose que Malatesta semble ignorer, dès le premier chapitre de La Science Moderne et l’Anarchie, tout le monde peul lire : Comme le socialisme en général, et comme tout autre mouvement social, l’anarchie est née au sein du peuple, et elle ne maintiendra sa vitalité el sa force créatrice qu’autant qu’elle restera populaire. A la page trois, il insiste plus lon­guement sur cette affirmation. Puis il nous montre les éléments populaires luttant contre l’oppression, créant les coutumes comme normes juridiques, mais précédées le plus souvent par des individus plus ou moins isolés qui se révoltaient .

Tous les réformateurs, politiques, religieux, économiques —écrit-il encore— ont appartenu à la première catégorie. Et, parmi eux, il s’est toujours trouvé des individus qui, sans attendre que tous leurs concitoyens, ou même seulement la minorité d’entre eux, se fussent pénétrés des mêmes intentions, marchaient de l’avant et se soulevaient contre l’oppression - soit en groupes plus ou moins nombreux, soit tout seuls, individuellement s’ils n’étaient pas suivis. Ces révolutionnaires, nous les rencontrons à toutes les époques de l’histoire.

Les bases de l’anarchie n’étaient donc pas limitées aux dernières découvertes de la physique, et c’est fausser absolument la pensée kropotkinienne que l’affirmer.

C’est encore un reproche non fondé de Malatesta que nous montrer Kropotkine préconisant la soumission de l’homme au déterminisme universel, au nom sacré de la science. Si certains « scientistes » ont écrit des choses ressemblant à cela, Kropotkine n’en est pas responsable, pas plus que Malatesta ne serait responsable qu’au nom de son « volontarisme » des individus jettent des bombes pour manifester leur volonté révo­lutionnaire. Kropotkine —et là encore Bakounine, l’avait précédé, avec une profondeur insurclassable— était trop intelli­gent pour ne pas savoir que la volonté humaine, si déterminée fût-elle, est aussi, à son échelle propre, un facteur du déterminisme cosmique et surtout planétaire, et jamais, dans aucun écrit, il n’a préconisé cette soumission de l’homme aux lois de la physique, ou de la biologie. Les citations que j’ai faites le prouvent suffisamment.

On peut le prouver encore par la lecture de tous les livres de Kropotkine. Que ce soit dans La Grande Révolution, dans ses Mémoires, dans Paroles d’un Révolté, dans La Science Mo­derne et l’Anarchie, dans diverses brochures dont La Morale Anarchiste où il exhorte les jeunes à la lutte pour la justice, au nom de la plénitude de la vie, dans la brochure Aux Jeunes Gens, etc., toujours Kropotkine a considéré le facteur volonté humaine qui est la principale découverte malatestienne, comme un des éléments nécessaires de l’histoire. Prendre un aspect de sa pensée —qui de toute façon dépasse la médiocrité philoso­phique— et en faire toute sa pensée, n’est pas un procédé juste, ni éthiquement défendable.

Je connais à peu près tout ce que l’on a publié des écrits de Malatesta, en langue italienne et espagnole, et je connais Kro­potkine, comme d’autres théoriciens de l’anarchisme. Je peux dire qu’en ce qui concerne la science, Malatesta est le seul qui ait pris cette position négative et méprisante. Position qui coïncide avec la dangereuse réaction antiscientifique d’une cer­taine philosophie spiritualisante dont Benedetto Croce fut en Italie le théoricien le plus remarquable. Que l’on réagisse devant les excès des conceptions matérialistes du dix-neuvième siècle, qui ignorent par trop, dans la lente découverte de la vérité, ce que la psychologie et l’étude du monde psychique allaient nous révéler, c’est bien et nécessaire. Que l’on repousse la science en soi, non. C’est pourquoi, dans certains milieux anar­chistes où l’on étudie, l’influence exercée par Malatesta et sa philosophie volontariste —c’est déjà un non-sens qu’opposer la volonté à la science— a été éphémère. C’est pourquoi, m’occu­pant d’économie, de sociologie et de réorganisation sociale autrement qu’en imagination, ne me contentant pas de la méthode discursive pour analyser les origines de l’État et l’évo­lution des sociétés humaines, j’ai suivi un tout autre chemin que celui indiqué par Malatesta. N’étant pas né avec la science infuse, ni avec un génie se suffisant à lui-même, j’ai cru, modes­tement, devoir étudier.

Et dans ma formation intellectuelle, c’est la méthode préconi­sée par Kropotkine qui m’a été la plus utile. Mais, répétons-le, cette méthode était-elle seulement kropotkinienne ? Nullement. Tous les sociologues de l’anarchisme non individualiste : Prou­dhon, Bakounine, Elisée Reclus, Ricardo Mella, Pietro Gori, Anselmo Lorenzo, Jean Grave, Tarrida del Marmol, etc., ont vu dans la science, c’est-à-dire, il faut le répéter encore, dans les connaissances aussi larges, sérieuses et profondes que possi­ble, une des bases ou une des armes de l’anarchisme. En ce sens, Malatesta est le seul de son opinion, et en attaquant Kro­potkine, c’est aussi tous les autres qu’il attaque.

Il a le droit de prendre la position qui lui plaît, mais si j’ai déjà répondu à ses articles antikropotkiniens, si j’y réponds inlassablement, c’est parce qu’ils démolissent, pour qui n’est pas prévenu, Kropotkine comme sociologue et comme penseur. Quand on a lu ces articles, on peut croire qu’il est inutile de lire Kropotkine, et qu’il est inutile d’étudier. La sociologie devient le domaine de ceux qui savent bâcler un article selon leur inspiration du moment, et défendre, parce qu’ils ont un don littéraire excellent, —cas de Malatesta—, les choses les plus contradictoires sous une logique de raisonnement apparente. C’est une question de dialectique et de jeu dialectique.

Cela arrive souvent à Malatesta. J’eus, vers 1934, avec son dis­ciple Luigi Fabbri, qui publiait alors à Montevideo Studi Sociali, un échange de correspondance dans lequel ce camarade et ami m’écrivait qu’il faudrait forcément passer par des éta­pes autoritaires avant de faire triompher nos idées dans une révolution. Je lui répondis qu’il avait le devoir d’écrire ce qu’il pensait, et lui proposais une polémique dans son journal où je collaborais. Il accepta. Fabbri défendait des idées qui étaient celles de Malatesta, soulignait-il dans sa lettre. Elles me semblèrent si différentes de ce que je connaissais de ce dernier que je me mis à lire méthodiquement les articles, brochures, recueils d’articles de Malatesta et je constatais que celui-ci défen­dait sur les mêmes problèmes, toujours avec la même facilité dialectique, le même don de raisonnement qui fait accepter tout au lecteur non averti, les thèses les plus contradictoires. Avec la même logique convaincante il déclarait que si les anar­chistes ne savaient pas orienter la révolution en se mettant à sa tête, ce seraient les autoritaires qui le feraient, et alors, adieu l’anarchie ! ; ou que les anarchistes étant une minorité, ils ne pouvaient songer à faire une révolution anarchiste sans exercer une dictature qui serait la négation de l’anarchie ; ou que, comme nous ne pourrions pas faire face à toutes les tâches qu’imposerait une révolution, nous serions bien contents que d’autres partis se chargent de le faire (et l’on se demande encore ce qu’il adviendrait de l’anarchie) ; puis, et c’était sa dernière position, que dans une révolution nous devions nous limiter au « libre expérimentalisme ». En quoi cela consistait-­il ? A exiger des communistes bolcheviks, les armes à la main si nécessaire, notre droit de pratiquer nos idées, de les expéri­menter librement dans des îlots anarchistes constitués au mi­lieu de la révolution dictatoriale. La moindre logique, l’expé­rience historique nous prouvaient que jamais cela ne serait possible. Il suffisait de se rappeler ce qui s’était passé en Russie. Si même on n’avait pas recours contre nous, à la dissolution violente et au massacre, comme avait fait Trotsky, en Russie, il suffirait de nous priver de matières premières pour étouffer ces tentatives dangereuses pour la dictature. Malatesta ne semblait pas s’en apercevoir. Et toutes ces dispositions contradictoires étaient défendues presque simultanément. Il en fut de même sur d’autres problèmes d’importance décisive, tel celui des syndicats après une révolution. A six mois de différence Malatesta a préconisé leur disparition parce que, nés de la lutte contre le capitalisme, ils n’auraient plus de raison d’être après le capitalisme ou bien ensuite l’activité des anarchistes dans les syndicats dont il préconisait l’utilisation comme base de la société nouvelle. Mêmes contradictions quant au principe juridique économique le plus recommandable. Malatesta défendit très bien le communisme anarchique, et très bien certaines formes de collectivisme. Et quand Fabbri écrivit un livre sur la pensée de son maitre —qui avait, en partie, paralysé la sienne—, il ne put que conclure qu’en économie, Malatesta voulait... « la liberté ».

L’absence de méthode, de pensée coordonnée a fait qu’une intelligence brillante, un esprit aigu se sont en quelque sorte gaspillés par manque de cohérence, de continuité, de volonté dans l’effort intellectuel.

Du reste, Malatesta a, plus brièvement, exécuté Bakounine en lui reprochant, comme si cela avait été l’essentiel et le seul aspect de la pensée de cet homme formidable comme penseur et organisateur, d’avoir défié la nature. C’est vraiment déconcertant.

Certes, on trouve certaines erreurs dans les écrits de Kropotkine. J’ai déjà formulé mes réserves sur plusieurs points. Malatesta avait raison quand il écrivait —mais d’autres que lui l’ont dit aussi— que Kropotkine élaborait certaines idées, et s’efforçait ensuite de les justifier par la science. Mais cela va-t-il contre l’utilisation de la science en sociologie, de la méthode scientifique, appliquée selon les aptitudes et la culture de chacun, de l’étude systématique et sérieuse, coordonnée, contrôlée et recontrôlée qui, même si elle ne prétend pas être scientifique, l’est sans le savoir ? Nullement. Quand Kropotkine ne voit, dans les corporations du moyen âge, que des associations d’entraide, on peut lui reprocher de n’avoir pas assez mis l’accent sur les luttes et les inégalités intercorporatives et sur la formation d’une bourgeoisie des maîtres contre les compagnons qui allaient composer le prolétariat. Quand il oppose le droit coutumier à l’État, on peut lui répondre que si cela prouve que les sociétés humaines ont su, dans certaines périodes, vivre sur la hase de ce droit, la coutume a été souvent pire que la loi, et qu’à tout prendre, cette dernière est encore préférable. Quand il attribue aux masses un don créa­teur par trop spontané, on peut lui répondre qu’il a tort de le faire parce que lui aussi préconise, ce que n’a pas voulu voir la « masse » kropotkiniste, l’activité responsable et achar­née des minorités révolutionnaires, et celle de la minorité anarchiste pour le présent et l’immédiat avenir.

On peut lui faire encore d’autres reproches, autrement justes et fondés que ceux de Malatesta. Mais je demande si, dans l’élaboration de toutes les sciences, dans la recherche et la découverte de toutes les grandes vérités qui impliquent des études prolongées il n’en a pas toujours été ainsi ? Fallait-il abandonner la science parce qu’elle s’est plus d’une fois trom­pée ? Tout démolir parce que l’on relève des contradictions dans les apports successifs des chercheurs ? Et retomber dans l’empirisme où domine l’ignorance ou la folle du logis ?

Quelles que soient les erreurs qui peuvent être reprochées à Kropotkine, au moins la méthode qu’il a préconisée offre, comme c’est le propre de toute méthode scientifique, la possi­bilité de corrections, de rectifications, de complémentations successives. Ceux qui l’appliqueront auront toujours beaucoup plus de chance de trouver la vérité que ceux qui écriront, un peu au petit bonheur, comme l’a fait Malatesta. Un mouve­ment social, une philosophie sociale, un courant de pensée ne peuvent œuvrer utilement, d’après les buts qu’ils poursuivent, que s’ils agissent d’une façon organique, dans une continuité d’efforts cohérents où l’esprit critique, qui surveille toutes les recherches, est un guide pour une construction meilleure.

Malatesta ne nous a pas donné cet exemple, et lui-même, l’antikropotkinien, fut kropotkinien dans la meilleure de ses brochures —un petit chef-d’œuvre : l’Anarchie. Les thèses qu’il y développe sont empruntées à l’Entraide, que je nomme à nouveau, car ce livre, avec tout ce qu’on y apprend, pose les fondements d’une philosophie biologique et sociale, théo­rique et pratique dont la portée est immense. Si nous sommes capables d’en développer les thèses fondamentales et les possi­bilités intrinsèques, même en élaguant ce qui peut nous sembler discutable, nos idées exerceront une influence posi­tive énorme dans l’avenir de l’humanité. Elles n’en exerceront guère, avec la « pensée », ou l’absence de méthode de pensée malatestienne, malgré les aperçus parfois intéressants qu’on y trouve.


[1Je déclare du reste que, malgré l’émotion historique qu’on y trouve, ce livre est loin de répondre à l’importance du sujet. Il y aurait plus à dire, même à l’époque où il fut écrit.