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De l’Action directe - Les adversaires de l’action directe

lundi 3 mai 2021, par Voltairine de Cleyre (CC by-nc-sa)

Ces dernières semaines, certains n’ont pas été avares de paroles creuses. Des orateurs et des journalistes, honnêtement convaincus de l’efficacité de l’action politique, persuadés qu’elle seule peut permettre aux ouvriers de remporter la bataille, ont dénoncé les dommages incalculables causés par ce qu’ils appellent l’action directe (ils veulent dire en fait la « violence conspiratrice »).

Un certain Oscar Ameringer, par exemple, a récemment déclaré, lors d’un meeting à Chicago, que la bombe lancée à Haymarket Square en 1886 avait fait reculer le mouvement pour la journée de huit heures d’un quart de siècle. D’après lui, ce mouvement aurait été victorieux si la bombe n’avait pas été lancée. Ce monsieur commet une grave erreur.

Personne n’est capable de mesurer précisément l’effet positif ou négatif d’une action, à l’échelle de plusieurs mois ou de plusieurs années. Personne ne peut démontrer que la journée de huit heures aurait pu devenir obligatoire vingt-cinq ans auparavant.

Nous savons que les législateurs de l’Illinois ont voté une loi pour la journée de 8 heures en 1871 et que ce texte est resté lettre morte. On ne peut pas davantage démontrer que l’action directe des ouvriers aurait pu l’imposer. Quant à moi, je pense que des facteurs beaucoup plus puissants que la bombe de Haymarket ont joué un rôle.

D’un autre côté, si l’on croit que l’influence négative de la bombe a été si puissante, alors les conditions de travail et l’exercice des activités syndicales devraient être bien plus difficiles à Chicago que dans les villes où rien d’aussi grave ne s’est produit. Pourtant on constate le contraire. Même si les conditions des travailleurs y sont déplorables, elles sont bien moins mauvaises à Chicago que dans d’autres grandes villes, et le pouvoir des syndicats y est plus développé que dans n’importe quel autre endroit, excepté San Francisco. Si l’on veut donc absolument tirer des conclusions à propos des effets de la bombe de Haymarket, il faut tenir compte de ces faits avant d’avancer une hypothèse. En ce qui me concerne, je ne pense pas que cet événement ait joué un rôle important dans l’évolution du mouvement ouvrier.

Et il en sera de même avec la vigoureuse actuelle contre la violence. Rien n’a fondamentalement changé. Deux hommes ont été emprisonnés pour ce qu’ils ont fait (il y a vingt-quatre ans, leurs semblables ont été pendus pour des actes qu’ils n’avaient pas commis) et quelques autres seront peut-être incarcérés. Mais les forces de la Vie continueront à se révolter contre leurs chaînes économiques. Cette révolte ne faiblira pas, peu importe le parti qui remportera ou perdra les élections, jusqu’à ces chaînes soient brisées.