Deux groupes politiques distincts contribuèrent à l’élaboration de la théorie des Conseils : un groupe de socialistes et un groupe d’anarchistes.
Aucun autre groupe politique ne fut présent dans le mouvement, même si tous les groupes politiques italiens s’intéressèrent au phénomène. Par contre furent présents de larges groupes de travailleurs sans parti, témoins du caractère d’unité prolétarienne du mouvement.
Le groupe socialiste se constitua dans les dernières années de la guerre autour du Grido del Popolo, feuille de la section turinoise du parti socialiste. La figure de premier plan était Antonio Gramsci, qui sera plus tard le leader d’une des deux fractions qui concourront à la fondation du parti communiste d’Italie. Personnages de second plan : Tasca, Togliatti, Terracini et Viglongo.
Mais si tout ce groupe contribua à la fondation de l’hebdomadaire L’Ordine Nuovo, dont le premier numéro sortit le 1er mai 1919, il n’y eut en fait que deux forces animatrices des Conseils du côté socialiste : d’une part l’esprit de Gramsci, de l’autre les groupes d’avant-garde, d’authentiques bien qu’obscurs ouvriers turinois. Et ces deux forces passeront sans tâches dans l’histoire et sauveront le nom des Conseils.
- Pietro Mosso
Du côté anarchiste, notons la collaboration assidue et qualifiée de Carlo Petri (pseudonyme de Pietro Mosso [1]) à L’Ordine Nuovo. Carlo Petri, assistant à la chaire de philosophie théorétique de l’Université de Turin est l’auteur d’un essai sur Le système Taylor et les Conseils des producteurs et d’autres écrits défendant le Communisme anarchiste.
Mais la contribution anarchiste se rencontre surtout dans le travail d’organisation pratique des Conseils effectué par deux anarchistes, ouvriers métallurgistes : Pietro Ferrero [2], secrétaire de la FIOM, section turinoise et Maurizio Garino [3] (qui a donné un apport de souvenirs personnels et d’observations critiques à ces notes sur les Conseils), et par tout un groupe : le Groupe Libertaire Turinois [4], dont ils faisaient partie.
Le Groupe Libertaire Turinois s’était déjà distingué non seulement par sa présence dans les luttes ouvrières avant et pendant la guerre mais surtout par les lignes directrices qu’il avait données au problème de l’action des libertaires dans les syndicats. Ce groupe avait en fait soutenu la nécessité d’opérer dans les syndicats fussent-ils réformistes (et peuvent-ils ne pas l’être ? se demandait-il) afin de pouvoir y établir les plus larges contacts avec les masses laborieuses.
Sous cet aspect, la critique que L’Ordine Nuovo faisait à l’USI (organisation syndicaliste révolutionnaire) ne pouvait qu’être approuvée par ces anarchistes même si la forme de cette critique n’était pas la plus apte à convaincre les nombreux groupes d’ouvriers sincèrement révolutionnaires qui étaient à l’USI.
Le Groupe Libertaire Turinois fut ainsi au centre des luttes de classes à Turin durant les quatre années de l’après-guerre et donna en la personne de Pietro Ferrero, assassiné par les fascistes le 18 décembre 1922, un de ses meilleurs militants à la résistance anti-fasciste. Nous verrons aussi plus loin quelle part notable eurent les anarchistes dans l’élaboration de la théorie des Conseils et quelles adjonctions théoriques ils apportèrent aux points énoncés au chapitre IV du présent essai.