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17 décembre 1910

Ricardo Flores Magón : « L’horreur de la révolution »

lundi 22 juin 2020, par Ricardo Flores Magón (CC by-nc-sa)

Regeneración (4e époque) n°16 - 17 décembre 1910

Nous ne voulons plus de luttes fratricides, nous ne voulons pas de sang, nous ne voulons pas de guerre, disent les timorés. Et ils parlent de suite des horreurs du carnage : le sang coulant en abondance, l’atmosphère chargée d’épaisses fumées, le bruit assourdissant des armes à feu ; sang, agonie, mort, incendie, quelle horreur Quelle horreur !

C’est vrai, camarades, que le spectacle qu’offre la guerre n’a rien d’agréable ; mais la guerre est nécessaire. Elle est nécessaire lorsqu’il y a quelque chose qui s’oppose à la conquête du bien-être.

La guerre est horrible, elle coûte beaucoup de vies, beaucoup de larmes et beaucoup de douleurs ; mais que dire de la paix ? Que dire, camarades, de la paix sous le présent système d’exploitation capitaliste et de barbarie gouvernementale ? Est-ce qu’elle garantit seulement la vie, cette paix ?

Si horrible soit-elle, la guerre ne peut surpasser en horreur cette paix. La paix a ses victimes, elle est sombre ; non que la paix soit mauvaise en elle-même, mais par l’ensemble des circonstances dont elle est actuellement composée. Sans avoir besoin de la guerre, il y a des victimes en temps de paix, et selon les statistiques, les victimes en temps de paix sont plus nombreuses qu’en temps de guerre.

Il suffit de lire tous les jours les journaux d’informations pour se convaincre que ce que je dis est la vérité. Là-bas c’est une mine qui s’écroule et écrase des centaines ou des milliers de travailleurs ; ou bien, un train qui déraille et cause la mort des passagers ; ou un bateau qui coule et entraîne au fond de la mer de nombreuses personnes. La mort guette l’être humain dans tous les moments de son existence. Le travailleur tombe de l’échafaudage et se brise le corps. Un autre, en maniant une machine, se coupe un bras, une jambe et reste mutilé ou en meurt. Le nombre de personnes qui meurent annuellement à cause des catastrophes minières, ferroviaires, maritimes ou d’autre nature est vraiment alarmant. Ceux qui meurent à cause d’incendies de théâtres, hôtels et maisons, atteignent chaque année, un chiffre effarant.

Mais ce n’est pas tout : les conditions d’insalubrité où s’effectue le travail dans les usines et les ateliers ; les travaux pénibles ; l’incommodité et l’insalubrité des demeures des travailleurs, obligés de vivre dans de vrais taudis ; la saleté des quartiers ouvriers ; la mauvaise alimentation que le travailleur peut s’offrir avec le salaire misérable qu’il gagne ; la détérioration des articles alimentaires ; l’inquiétude où vit l’homme de perdre son travail, qui a peur de ne plus pouvoir nourrir sa famille ; le dégoût que produit le fait de travailler sous l’influence du surveillant, de se trouver sous l’influence de lois barbares dictées par le stupide égoïsme des classes dominantes, sous l’influence autoritaire d’épouvantails sans cervelle. Tout cela : insalubrité, mauvaise alimentation, travail pénible, inquiétude pour l’avenir, dégoût du présent, minent la santé des classes pauvres, engendrent des maladies horribles comme la phtisie, la typhoïde et autres, qui déciment les déshérités et dont les ravages n’épargnent personne : hommes, femmes, enfants et vieillards. Cela n’arrive pas pendant la guerre, où il est très rare de voir les femmes, les enfants ou les vieillards frappés, à moins qu’il ne s’agisse d’un tyran bestial, comme Porfirio Díaz, car pour lui il n’existe pas dans cette vie de créature respectable. Le tigre plante ses crocs indifféremment dans les chairs d’un vieillard, d’une femme ou d’un enfant.

Toutes ces calamités, dont souffre l’humanité en temps de paix, sont le résultat de l’impuissance du Gouvernement et de la Loi pour faire le bonheur des peuples, pour la simple raison que tant le Gouvernement, que la Loi ne sont rien d’autre que les gardiens du capital, et le capital est notre chaîne commune. Le Capital veut des bénéfices et, par conséquent, il ne s’occupe pas de la vie humaine. Le propriétaire d’une mine ne veut pas savoir, si le travail offre des risques pour la vie des travailleurs ; il ne fait pas les travaux nécessaires pour que le travail s’effectue dans des conditions de sécurité garantissant la vie des mineurs. C’est pour cela que les mines, s’écroulent, des explosions ont lieu, des ouvriers s’écrasent avec les élévateurs, et beaucoup d’autres sinistres. Le capitaliste gagnerait moins, s’il fallait qu’il protège la vie des ouvriers, et il préfère que ceux-ci crèvent dans une catastrophe ; que les veuves et les orphelins périssent de faim ou se prostituent pour pouvoir vivre, au lieu de dépenser quelques sommes en faveur de ceux qui par leur travail l’enrichissent, de ceux qui par leur sacrifice font son bonheur.

On peut dire la même chose pour les catastrophes ferroviaires et maritimes. Le mauvais matériel employé pour la construction des bateaux, des voitures et des locomotives, le moins cher possible, et l’usure qui s’opère en eux avec l’usage ; le fait que les compagnies doivent utiliser tout au maximum pour dépenser moins, s’ajoutant à tout cela le mauvais état des voies, qu’il faut réparer le moins possible pour obtenir le maximum de bénéfices, font que l’insécurité est effective et les catastrophes inévitables.

Les bénéfices que veut le Capital, sont aussi, la cause des conditions d’insalubrité où s’effectue le travail dans les ateliers et usines. Le capitaliste devrait dépenser de l’argent pour que les conditions hygiéniques des lieux de travail soient bonnes, et c’est précisément ce qu’il ne veut pas. La santé et la vie des travailleurs ne rentrent pas dans les calculs des capitalistes. Gagner de l’argent, n’importe comment, c’est la devise de messieurs les bourgeois.

La misère, en elle-même, est plus horrible que la guerre et cause plus de ravages. Le nombre d’enfants qui meurent chaque année est fabuleux ; le nombre de tuberculeux qui meurent chaque année est, également, étonnant. Ces décès sont dus à la misère, et la misère est le produit du système capitaliste.

Pourquoi avoir peur de la guerre ? S’il faut mourir écrasé par la tyrannie capitaliste et gouvernementale en temps de paix, n’est-il pas préférable de mourir en combattant ce qui nous écrase ? C’est moins épouvantable de verser le sang pour conquérir la liberté et le bien-être, que de continuer à le verser sous l’actuel système politique et social, au profit de nos exploiteurs et tyrans. En outre, la guerre produit moins de victimes que la paix dans le système actuel. Le nombre de personnes qui meurent au cours d’une bataille est très réduit en rapport au nombre des combattants des deux camps ; et s’il était possible que toute une nation soit en guerre pendant une année, on pourrait constater à la fin de cette période que le nombre des décès aurait diminué ou tout au moins aurait été sensiblement égal à celui des années de paix, par le fait que le capitalisme aurait eu des difficultés pour exploiter les travailleurs car la plupart de ceux-ci se seraient trouvés sur les champs de bataille. Ceci a pu être constaté dans les pays qui ont été en révolution. Les travaux sont suspendus à cause de la guerre ; les travailleurs changent la vie malsaine de l’usine, l’atelier ou la mine, par la vie saine, à l’air libre, mangeant de la viande en abondance, faisant un exercice salutaire, et surtout ayant l’esprit animé par l’espoir de changer de condition, ou simplement satisfaits de pouvoir lever le visage et de se sentir libres face aux patrons épouvantés. Il vaut mieux mourir traversé par une balle, en défendant son droit et le bien-être de ses frères, que périr écrasé, comme un ver, sous les décombres d’une mine, ou broyé par une machine, ou dans une agonie pénible et lente dans le coin d’un noir taudis. Crions de toutes nos forces : Vive la Révolution ! Mort à la paix capitaliste !

 

Regeneración (4e époque) n°16 - 17 décembre 1910