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La République des conseils de Bavière (1919)

dimanche 19 mai 2019, par Partage Noir (CC by-nc-sa)

Dans les années 1918-1919, les répercussions de la Révolution russe furent considérables. L’agitation toucha de nombreux pays d’Europe, notamment l’Allemagne. Ces insurrections étaient suivies avec attention par tous les militants révolutionnaires, y compris en Russie. Mais le soulèvement y fut violemment réprimé par la social-démocratie et la défaite de ces années-là symbolise aussi celui de la révolution mondiale. Jack London, dans les dernières pages de son roman Le Talon de fer avait prophétisé le triomphe de la répression qu’il situait, seule erreur, aux États-Unis. Et comme en écho semble lui répondre Rosa Luxembourg dans sa dernière lettre du 14 janvier 1919, peu avant d’être assassinée par un commando de tueurs.

Elle y rappelait la filiation de cette répression avec celles du XIXe siècle :

L’ordre règne à Varsovie, l’ordre règne à Paris, l’ordre règne à Berlin. Tous les demi-siècles, les gardiens de l’ordre lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire. Et ces vainqueurs qui exultent ne s’aperçoivent pas qu’un ordre, qui a besoin d’être maintenu périodiquement par des boucheries sanglantes, va inéluctablement à sa perte.

Aujourd’hui il reste à raconter les évènements et à étudier les causes de cet échec. Si l’insurrection spartakiste de Berlin est maintenant connue, les révolutions – car on peut employer le pluriel en raison de leur manque de coordination – qui secouèrent le reste de l’Allemagne le sont moins. Parmi elles, la République des conseils de Bavière, l’une des plus radicales.

10 janvier 1919, « Corps francs », équipés de lance-flammes, dans les rues de Berlin.

Lors de la première édition de ce texte, paru sous la forme d’une brochure dactylographiée à très faible tirage, nous regrettions l’absence d’études en français sur le sujet. Comme la situation n’a guère changé depuis, sauf en ce qui concerne l’un des protagonistes, Erich Mühsam [1], il nous a semblé utile de le rééditer avec des modifications et des ajouts. Ce modeste opuscule se propose de poser quelques jalons, certainement pas d’épuiser le sujet.

Avant de se pencher sur cet épisode révolutionnaire, il faut d’abord évoquer le contexte bavarois. Quelle était la particularité de cette région du sud de l’Allemagne ?

Après la défaite de la France, l’Empire allemand (ou Deuxième Reich) est proclamé en 1871 par la réunion de 22 princes et trois villes libres dans un État fédéral dominé par la Prusse et son souverain. Mais la Bavière a pu conserver son statut de royaume et une certaine autonomie interne.

Cette autonomie s’exprimait par l’absence de troupes prussiennes sur son territoire et l’existence d’un système parlementaire bavarois. La première chambre était composée d’aristocrates et de dignitaires nommés à vie par le souverain, la deuxième de députés élus, en majorité des conservateurs. Louis III qui prend le pouvoir en 1913 peut donc compter sur une certaine stabilité politique.

La capitale, Munich, est un lieu privilégié pour les artistes et la bohème littéraire du quartier de Schwabing. Malgré l’académisme régnant aux Beaux-Arts, des artistes comme le russe Kandinsky ou Franz Marc tentent de promouvoir un art nouveau avec le groupe du « Cavalier bleu ». En marge de l’Expressionnisme, l’anarchiste Erich Mühsam anime le cercle Action (Tat) composé d’ouvriers, d’artistes engagés comme le peintre Georg Schrimpf et d’écrivains tels que Oskar-Maria Graf, Karl Otten ou Franz Jung. Ce dernier nous a laissé des mémoires, assez désabusés sur cette époque de sa vie mais qui donnent une idée de l’isolement des révolutionnaires dans une région plutôt conservatrice.

Lors d’un meeting dans une brasserie, raconte Franz Jung, un groupe de syndicalistes appelle à la grève générale devant une assemblée hostile : Mühsam, qui avait ensuite demandé la parole, était même parvenu jusque sur la tribune, flanqué et protégé par les membres de son groupe, figures fluettes et bien peu convaincantes en face des Bavarois de bonne souche qui remplissaient la salle. Ceux-ci avaient déjà commencé à donner plus de poids à leurs protestations et à leurs sauvages vociférations en bombardant la tribune de projectiles divers [2].

En effet, la Bavière compte une forte proportion de population rurale : 51% contre une moyenne de 34% dans le reste de l’Empire [3], qui plus est, cette population se compose de paysans moyens, assez aisés, catholiques et très réactionnaires. Notons enfin que le sentiment séparatiste y était très fort, les Bavarois conservant une certaine méfiance à l’égard des Prussiens et du pouvoir central depuis la création de l’Empire en 1871.

C’est donc dans un contexte apparemment peu favorable que va se déclencher un processus révolutionnaire en Bavière, car un facteur va modifier profondément cette situation : la Première guerre mondiale.


[1Lors de la révision de ce texte est paru en français d’Erich Mühsam : La république des Conseils de Bavière (en fait un livre de souvenirs dont le vrai titre est : Von Eisner bis Léviné), Quimperlé, 1999.

[2F. Jung : Le scarabée-torpille, Ed. Ludd, 1993 , p.98

[3Chiffres de 1907, cités par R. Furth : Les conseils ouvriers en Allemagne , in La Marge, n°9, Strasbourg, s.d.