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De l’Action directe - Quelques exemples historiques

mardi 27 avril 2021, par Voltairine de Cleyre (CC by-nc-sa)

De nos jours, n’importe quel écolier américain a entendu parler de l’action directe de certains hommes non-violents, dans le cadre de son programme d’histoire. Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui des premiers quakers [1] qui s’installèrent au Massachusetts. Les puritains [2] les accusèrent de « troubler les hommes en leur prêchant la paix ». En effet, les quakers refusaient de payer des impôts ecclésiastiques, de porter les armes, de prêter serment d’allégeance à un gouvernement, quel qu’il soit. (En agissant ainsi, ils ont pratiqué l’action directe, mais de façon passive.) Aussi, les puritains, partisans de l’action politique, ont fait voter des lois pour empêcher les quakers d’entrer sur leur territoire, les exiler, leur infliger des amendes, des peines de prison, des mutilations et finalement les pendre. Les quakers ont continué à arriver en Amérique (ce qui était cette fois une forme active d’action directe) ; et les livres d’histoire nous rappellent que, après la pendaison de quatre quakers [3], et la flagellation de Margaret Brewster qui fut attachée à une charrette et promenée à travers les rues de Boston, « les puritains renoncèrent à faire taire les nouveaux missionnaires » et que la « ténacité des quakers et leur non-violence finirent par triompher ».

Autre exemple d’action directe, qui appartient aux débuts de l’histoire coloniale américaine : cette fois, il ne s’agit pas d’un conflit pacifique, mais de la révolte de Bacon [4]. Tous nos historiens défendent l’action des rebelles dans cette affaire, car ceux-ci avaient raison. Et pourtant il s’agissait d’une action directe violente contre une autorité légalement constituée. Laissez-moi vous rappeler les détails de cet événement : les planteurs de Virginie craignaient (avec raison) une attaque générale des Indiens. Partisans de l’action politique, ils demandèrent, ou plutôt leur dirigeant Bacon exigea que le gouverneur lui accorde le droit de recruter des volontaires pour se défendre. Ce dernier craignait — à juste titre — qu’une compagnie d’hommes armés ne devienne une menace pour lui-même. Il refusa donc d’accorder cette permission à Bacon. A la suite de quoi, les planteurs eurent recours à l’action directe. Ils levèrent des volontaires sans autorisation et combattirent victorieusement contre les Indiens. Le gouverneur décréta que Bacon était un traître mais le peuple était de son côté, si bien que le gouverneur eut peur de le traduire en justice. Finalement, la situation s’envenima tellement que les rebelles mirent le feu à Jamestown. Si Bacon n’était pas mort, bien d’autres événements se seraient produits. Bien sûr, la répression fut terrible, comme cela se passe habituellement lorsqu’une révolte s’effondre d’elle-même ou est écrasée. Néanmoins, pendant sa brève période de succès, cette révolte corrigea nombre d’abus. Je suis persuadée que, à l’époque, les partisans de l’action politique à tout prix, après que les réactionnaires furent revenus au pouvoir, ont dû s’exclamer : « Regardez tous les maux que provoque l’action directe ! Notre colonie a fait un bond d’au moins vingt-cinq ans en arrière » ; ils oubliaient que, si les colons n’avaient pas recouru à l’action directe, les Indiens auraient pris leurs scalps un an plus tôt, au lieu que nombre d’entre eux soient pendus par le gouverneur un an plus tard.

Dans la période d’agitation et d’excitation qui précéda la révolution américaine, on assista à toutes sortes d’actions directes, des plus pacifiques aux plus violentes ; je crois que presque tous ceux qui étudient l’histoire des États-Unis trouvent que ces actions constituent la partie la plus intéressante de l’histoire, celle qui s’imprègne le plus facilement dans leur mémoire.

Parmi les actions pacifiques, on peut citer notamment les accords de non-importation, les ligues pour porter des vêtements fabriqués dans la colonie et les « comités de correspondance » [5]. Comme les hostilités se développaient inévitablement, l’action directe violente prit elle aussi de l’ampleur ; par exemple, on détruisit les timbres fiscaux, on interdit le débarquement des cargaisons de thé, on les plaça dans des locaux humides, on les jeta dans les eaux du port, comme à Boston, on obligea un propriétaire d’une cargaison de thé à mettre le feu à son propre bateau, comme à Annapolis.

Toutes ces actions sont décrites dans nos manuels d’histoire, et aucun auteur ne les condamne, ou ne les regrette, bien qu’il se soit agi à chaque fois d’actions directes contre des autorités légalement constituées et contre le droit de propriété. Si je cite ces exemples et d’autres de même nature, c’est pour souligner deux points à l’intention de ceux qui répètent certains arguments comme des perroquets : premièrement, les hommes ont toujours eu recours à l’action directe ; et deuxièmement, ceux qui la condamnent aujourd’hui sont également ceux qui l’approuvent d’un point de vue historique.

George Washington dirigeait la Ligue des planteurs de Virginie contre les importations ; un tribunal lui aurait certainement « enjoint » de ne pas créer une telle organisation et, s’il avait insisté, il lui aurait infligé une amende pour offense à la Cour.


[1Quakers : mouvement né en 1647 d’une révolte contre l’Église anglicane. Persécutés en Angleterre comme en Amérique où ils s’établirent dès 1681, ils jouèrent un rôle important dans la lutte contre l’esclavage.

[2Puritains. Ce terme désigne au départ un groupe de presbytériens rigides qui voulaient « purifier » l’Église anglicane des restes de l’influence catholique. Ils commencèrent à émigrer en 1620, en Virginie et en Nouvelle-Angleterre, notamment, pour constituer des communautés fermées. Pendant presque un siècle, ils essayèrent d’imposer leurs normes intolérantes et persécutèrent tous ceux qui ne pensaient pas comme eux. Leur attachement au sens littéral de la Bible, qui les caractérise, a influencé toute l’histoire américaine jusqu’à aujourd’hui — comme en témoignent de nombreux aspects de la culture des États-Unis.

[3La dernière d’entre elles s’appelait Mary Dyer, mère de six enfants, pendue à un arbre en 1660 à Boston. De 1660 à 1677, les sœurs Wright, Mary, Hannah et Lydia vinrent successivement protester à Boston contre les persécutions dont étaient victimes les quakers. Elles furent à chaque fois, emprisonnées, jugées puis expulsées de la ville. Les quakers étaient dénudé(e)s jusqu’à la ceinture, attaché(e)s à une charrette et fouetté(e)s dans les rues avant d’être chassé(e)s de la colonie. Lydia accompagna à Boston Margaret Brewster qui entra dans une église puritaine, vêtue comme une pénitente, pieds nus, cheveux au vent, des cendres sur la tête, et un sac recouvrant ses vêtements.

[4Nathaniel Bacon (1647-1676) dirigea en 1676 un groupe de colons révoltés qui s’emparèrent de la ville de Jamestown et l’incendièrent pour obtenir des réformes et une plus grande participation dans le gouvernement de la Virginie.

[5Les comités de correspondance furent créés en 1774 pour rassembler les doléances des Américains contre les Britanniques.