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Errico Malatesta (1853-1932) - La lutte dirigée contre l’État

samedi 22 mai 2021, par Max Nettlau (Domaine public)

A vingt ans, donc, il accepte comme but le collectivisme anarchiste — la libre fédération des libres associations agricoles et industrielles, dont chacune s’arrangerait pour son économie intérieure, de façon à assurer à chacun le produit intégral de son travail, non pas créer un nouveau salariat, comme la polémique l’a interprété plus tard, non pas créer un appareil administratif chargé de mesures méticuleuses ; simplement, que le produit du travail ne soit diminué du fait de prélèvement au profit du capitalisme et de ses fonctionnaires (État). Ce but sera atteint par la révolution sociale, la franche insurrection populaire qui peut éclater d’un jour à l’autre. Le jeune Malatesta, dans le Jura en 1872, brûlait, comme on me l’a raconté vingt ans plus tard, d’entamer cette lutte ; son rythme favori était l’attaque de front, à la baïonnette. Encore en août 1928, dans la préface mentionnée plus haut, il répétait : On n’arrive pas au propriétaire sans passer sur le corps du gendarme. On croyait aux « instincts égalitaires et libertaires » du peuple, et à l’expansion illimitée des idées en proportion à la somme du travail de propagande qu’on saurait y mettre. Dans le domaine de la critique économique, sur la foi de Bakounine et de Cafiero qui la connaissaient, on acceptait l’argumentation de Marx sur la plus-value, sans prendre autre chose de lui-même et en luttant contre sa prétention de mettre la main sur l’Internationale. La lutte fut donc dirigée directement contre l’État, et tous les changements arrivés en Italie depuis presqu’un siècle, comme aussi la grande révolte sociale que, vue à distance et en légende, la Commune de Paris, paraissait constituer, les fiers progrès de l’Internationale en Espagne et la pensée et la volonté de Bakounine, enfin l’élan de tant de jeunes internationalistes en Italie, tout cela faisait penser que la lutte révolutionnaire était proche, peut-être imminente, et que des initiatives pourraient la précipiter.

Que de plans de ce genre sont morts avec Malatesta, trop modeste pour en parler ou les raconter dans des Mémoires ! Nous savons seulement que, quand Bakounine voulut aller en Espagne pour un mouvement révolutionnaire attendu, Malatesta devait l’accompagner ; son arrestation au cours des préparatifs fit échouer, entre autres causes, ce projet. Il arriva, ainsi, qu’il ne fut pas présent à Locarno quand l’insurrection générale italienne pour l’année 1874 y fut discutée, décidée et préparée. Mais, libéré, il vint à Locarno peu de temps après et accepta les décisions prises. Le Midi, de Naples en Sicile, lui était confié, et il y fit sur place ce qu’il pouvait, sans être responsable des erreurs et retards commis ailleurs. Dans le Midi, il y eut aussi des déboires, mais Malatesta tint la campagne plusieurs jours dans les Pouilles, à Castel del Monte, en août 1874. Après un long emprisonnement, il fût triomphalement acquitté par le jury, en août 1875. Il revit Bakounine une dernière fois, fit son premier voyage en Espagne, et recommença une intense propagande à Naples pour la reconstruction de l’Internationale, que les arrestations et l’exil avaient diminué.

Au cours de ce printemps de 1876, se place un intermède bizarre : par deux fois, il essaya d’aller en Serbie pour se battre contre les Turcs, mais chaque fois il fut arrêté en Autriche et refoulé en Italie. Une de ses raisons fut évidemment l’influence générale du milieu italien, très prévenu contre la Turquie, puis sans doute y eût-il une rivalité en courage guerrier entre Internationalistes et Garibaldiens... Il lui fut épargné de se familiariser avec les réalités de la guerre.