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Annexe - « Pour le Congrès des conseils d’usine aux ouvriers et paysans d’Italie »

mercredi 22 janvier 2020, par L’Ordine Nuovo (autre)

Appel lancé par L’Ordine Nuovo (a. I, n. 42, 27 mars 1920) de Turin et signé, avec le Groupe Libertaire Turinois, par la Commission Exécutive de la Section socialiste de Turin, par le Comité d’études des Conseils d’usine turinois, par L’Ordine Nuovo.

Ouvriers de Turin !

Quelques mois se sont écoulés depuis que grâce à vous le mouvement pour la constitution des Conseils d’usine a pris son essor dans l’industrie turinoise.

Après plus de six mois de discussions, d’épreuves et de dur travail, la nature et les buts de ce mouvement sont désormais clairs. On voit clairement quels sont ses éléments de valeur transitoire, quels sont au contraire ses principes essentiels nouveaux qui inspirent la formation des organismes dans lesquels la vie et la lutte de votre classe trouvent une nouvelle forme. On voit les principes pour lesquels vous vivez et travaillez et pour lesquels vous êtes prêts à lutter. Il faut tirer les conclusions du travail accompli, en extraire une norme sûre pour l’avenir, utiliser les fruits de la précieuse expérience que vous avez recueillie dans la tentative de résoudre les problèmes qui se présentent à l’heure actuelle à quiconque participe à la vie de la classe ouvrière. Vous avez démontré, en vous mettant directement, spontanément au travail, que vous jugez cette méthode supérieure à l’autre, qui conseille d’attendre les enseignements et les plans provenant de haut.

Vous avez démontré que vous voulez vous-mêmes devenir les maîtres de votre destin, que vous comprenez la rédemption de la classe des travailleurs comme une œuvre que les travailleurs eux-mêmes doivent réaliser. Vous avez démontré qu’une nouvelle conscience est née en vous ; conscience qui cherchait une forme et un mode d’action dans lesquels se concrétiser et s’affirmer, et cette forme vous avez su la trouver. Les discussions que vous aurez aujourd’hui, les solutions que vous estimerez bonnes d’adopter, les plans que vous proposerez auront l’inestimable valeur d’être soutenus par une connaissance qui s’est formée dans les faits, par une volonté qui s’est consolidée dans l’action, par une résolution qui s’est renforcée, qui est devenue confiance tenace et inébranlable. Nous jugeons donc que le moment est venu de vous inviter à un congrès qui examine la quantité et la qualité du travail accompli jusqu’à présent et dans quelle direction il faut poursuivre. Nous invitons à y participer à vos côtés les ouvriers des usines et les paysans de toute l’Italie, par l’intermédiaire de leurs représentants directs.

Ouvriers de toute l’Italie.

L’appel à ce Congrès de Turin que nous vous adressons au nom des ouvriers turinois n’est ni un signe de vanité, ni d’orgueil particulier. Les ouvriers turinois sont persuadés que, s’ils se sont trouvés à l’avant-garde du mouvement de préparation prêt à la gestion communiste future de l’usine et de la société, cela ne constitue pas pour eux un titre spécial de fierté si ce n’est parce que c’est le signe qu’ils se sont retrouvés pour vivre et travailler dans des conditions spéciales qui ont favorisé le développement d’une conscience révolutionnaire et une capacité de reconstruction dans la masse des travailleurs.

Mais la concentration industrielle et la discipline unitaire instaurée dans les usines de Turin sont des conditions qui ont tendance à s’étendre à tout le monde de l’économie bourgeoise, ce sont les conditions dans lesquelles la classe des patrons cherche son salut.

Ouvriers, vos patrons, vos ennemis cherchent à résoudre aujourd’hui le problème de la conservation dans leurs mains du pouvoir social, par la création d’un système national et mondial qui garantisse le profit sans travail, qui défende leur activité absolue, qui leur permette de vous repousser, lorsqu’ils en auront la force, dans l’abîme d’obscurité et de misère dont vous voulez sortir à tout prix.

Votre volonté et votre conscience d’hommes se rebellent. Mais cette rébellion restera stérile, s’épuisera en vaines tentatives de révolte sporadique, facilement maîtrisables, difficilement dirigées vers un but durable, si vous ne parvenez pas à renouveler les formes de la lutte que vous voulez entreprendre, qui s’étend toujours plus et devient âpre et difficile. Vous devez passer de la défense à la conquête, tout le monde vous le répète, mais comment ? Les organismes de résistance, qui vous ont conduits jusqu’à présent, où vous vous réunissiez par catégorie et par métier, ont-ils en eux-mêmes la possibilité de se transformer valablement vers les nouveaux buts, vers les nouvelles méthodes de lutte ? Tout d’abord leur cristallisation dans une forme bureaucratique est très nuisible. Elle les empêche de répondre directement aux besoins, à la volonté, à la conscience des masses, qui aujourd’hui, en période révolutionnaire, se transforment rapidement.

Et de plus : la lutte de conquête doit être menée avec des armes conquérantes et non plus de défense seulement. Une nouvelle organisation doit se développer, comme opposition directe aux organismes de gouvernement des patrons. Elle doit donc naître spontanément sur les lieux de travail, et réunir tous les travailleurs car tous, en tant que producteurs sont soumis à une autorité qui leur est étrangère et dont ils doivent se libérer. Le pouvoir du patron prend sa forme concrète dans les organismes qui règlent la production capitaliste. La volonté de votre classe aussi doit se concrétiser dans une forme d’organisation qui adhère au procès de la production, et dans laquelle chacun de vous soit amené à acquérir la capacité d’auto-gouvernement.

Voilà pour vous l’origine de la liberté : l’origine d’une formation sociale qui s’étendra rapidement et universellement, et vous permettra d’éliminer l’exploiteur et l’intermédiaire du terrain économique, de devenir vous-mêmes les patrons, les maîtres de vos machines, de votre travail, de votre vie, du destin de votre classe, d’être finalement les plus forts, dans la lutte de classes.

Mais même les organismes syndicaux se renforceront au contact intime avec les organismes de représentation des usines. On brisera l’oppression de la structure bureaucratique, l’on cherchera à dépasser même dans le terrain syndical le principe de l’union par métier, pour appliquer le principe nouveau de l’union par unité de production. L’on préparera ainsi des organismes qui auront en eux-mêmes dans un prochain avenir la capacité non plus de régler les conditions du marché de la main d’œuvre salariée, mais de coordonner l’œuvre des producteurs associés pour faire valoir, sur le terrain économique, seulement leur volonté.

Ouvriers, l’action des Commissaires d’atelier et des Conseils d’usine est la préparation à la révolution communiste de la société. Le fait qu’elle parte de l’équipe de travail, de l’unité élémentaire de production, ne lui enlève pas ce caractère. Au contraire, ayant en elle tant de force, elle peut espérer triompher avec la conquête de tout le pouvoir social. Les patrons l’ont bien compris, ils dressent l’oreille, ils sont en train de se mettre d’accord pour coordonner leur action, afin de vous livrer bataille lorsqu’ils le jugeront bon. Vous devez aussi vous organiser dans le même but, afin d’être les plus forts à l’heure suprême, pour ne pas disperser prématurément vos forces, pour les accroître dans la concorde, dans l’union, dans un même programme d’action. L’unité des prolétaires, bien que recherchée en vain par des accords entre les différents organismes de direction, entre les chefs, séparés par des rivalités personnelles, est néanmoins nécessaire à votre victoire. Et bien, nous croyons qu’elle naîtra spontanément quand vous vous unirez tous, dans l’atelier où vous êtes tous égaux, pour créer des institutions qui représentent et expriment votre réelle volonté.

Paysans, c’est à vous aussi que nous adressons l’appel à participer aux travaux du Congrès des commissaires d’atelier, parce que vous aussi vous êtes opprimés par la structure capitaliste pesante que les ouvriers veulent briser. C’est ici, dans les villes, que se trouvent le centre des banques qui absorbent vos économies, qui vous les volent pour les consacrer à financer les activités de rapine du capitalisme. C’est ici que se trouvent les représentants du pouvoir d’État que vous considérez comme un ennemi, parce qu’il garantit le droit de vos patrons et de vos exploiteurs. Les ouvriers sont vos alliés naturels, mais il vous faut vous mettre sur la même voie qu’eux et préparer dès l’heure tous les organismes aptes à vous donner le pouvoir économique et social.

Travailleurs, camarades :

Le Congrès des Commissaires d’atelier qui aura lieu à Turin avec la participation des ouvriers et des paysans de toute l’Italie va pouvoir marquer une date importante dans l’histoire du développement de la révolution prolétarienne italienne. Nous aimerions qu’il en émerge, si ce n’est une façon de voir explicite nouvelle, tout au moins le premier signe que toute la classe a commencé à s’organiser pour une conquête effective, et que les travailleurs de l’Italie entière se mettent spontanément à étudier les problèmes que la révolution leur présente, et qu’ils cherchent à les résoudre de façon unitaire, concrète, cohérente. Nous voulons que ce Congrès soit une manifestation de force et de sérieux d’une classe qui est à la veille de sa libération. A vous de réaliser ce programme.