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[04] Augustin Souchy - Sacco et Vanzetti

vendredi 7 août 2020, par Augustin Souchy (CC by-nc-sa)

1927 fut une année d’agitation mondiale pour la défense de Sacco et Vanzetti. Nous aussi à Berlin et dans le reste de l’Allemagne, nous faisions notre possible pour obtenir la libération des deux anarchistes condamnés à mort. Je m’étais déjà occupé de procès politiques américains et ne pouvais me tenir à l’écart de ce cas. En 1920, j’avais publié à Stockholm Anarkist märtyrerna i Chicago (« Les martyrs anarchistes de Chicago ») qui racontait un assassinat légal dont peu de gens aujourd’hui encore ont entendu parler.

L’exécution de quatre anarchistes — le cinquième condamné à mort s’était lui-même donné la mort auparavant — le 11 novembre 1887 est un événement tragique de l’histoire du mouvement ouvrier international. Les condamnés — August Spies, Adolf Fischer, Georg Engel, Albert Parsons et Louis Lingg — étaient les organisateurs d’une manifestation ouvrière pour la journée de huit heures, qui eut lieu le 4 mai 1886 au Haymarket de Chicago. Au moment de la dissolution de cette manifestation par la police une bombe explosa et tua sept policiers et quatre autres personnes. Les organisateurs et orateurs du meeting furent considérés comme responsables de l’attentat. Bien que tous les hommes et les femmes progressistes de l’époque — parmi eux G.B. Shaw — protestèrent contre la sentence de mort, celle-ci fut maintenue. Sept ans plus tard, une commission d’enquête constituée par le gouverneur Altgeld établit que les jurés et les juges avaient condamné sous l’influence de la propagande anti-anarchiste [1].

Les martyrs de Chicago devinrent un symbole. Trois ans plus tard, un congrès socialiste international réuni à Paris décida de proclamer le premier mai jour de lutte des travailleurs. La revendication pour la journée de huit heures ne pouvait plus être réduite au silence. C’est aux anarchistes de Chicago que nous devons le Premier Mai, jour férié mondial. Le deuxième scandale judiciaire américain dont j’eus à m’occuper, fut l’exécution sur la chaise électrique, en 1915 à, Salt Lake City de Joe Hill [2], poète ouvrier américain né en Suède. Joe Hill fut accusé d’un meurtre, sans qu’on puisse jamais apporter la moindre preuve de sa culpabilité. Là aussi, le juge étaient partie prenante de la campagne de dénigra­tion contre les « syndicalistes criminels ». Il fallait que Hill meurt car ses chansons élevaient les cœurs contre le système d’exploitation de l’époque.

Joe Hill.

Jusqu’à présent personne ne s’est donné la peine d’apporter la lumière sur ce sombre chapitre de l’histoire de la prévarication. Mais les chansons de Hill avaient conquis les cœurs de la classe ouvrière américaine. Il y a quelques années, au Pershing square de Los Angeles, j’entendis un groupe du matelots chanter son « Workers of the world unite » (« Travailleurs du monde, unissez-vous ») sur la mélodie de « Lieb mich und die welt ist mein ». Un diplomate nord-américain me fit écouter sur son électrophone dans son appartement d’une capitale sud-américaine les plus célèbres chansons de Joe Hill. Les paroles ironiques du poète révolutionnaire : You will get pie in the sky, when you die (« Tu auras de la tarte au ciel, quand tu mourras ») résonnaient mélodieusement dans l’élégant salon. Hill fut réhabilité par le peuple. En 1970, un film parut à l’affiche des cinémas américains et scandinaves, qui retraçait la vie héroïque et sa fin tragique. Joe Hill était un lutteur. Il était loin du sentimentalisme romanesque, il avait une vision réaliste de la mort et pas d’angoisse métaphysique. Il attachait davantage d’importance à la quête de la beauté. Juste avant que le bourreau ne lui prit la vie, il écrivit :

My body if I could choose
I would to aches it reduce,
And may the merry wind blow
The dust there where some flowers grow.
Perhaps came fading flower then
Would corne to life and blow again.
That is my last and final will,
Good luck to all of you, Joe Hill [3].

Sacco et Vanzetti, point de départ de cette digression historique, furent arrêtés un 1920 et accusés d’avoir tué deux hommes et volé 15 776 dollars. Bien que leur culpabilité ne pût jamais être confirmée, la cour, sous la pression d’une opinion publique surchauffée, les déclara coupables en juillet 1921 à Boston, parce qu’ils étaient anarchistes. La condamnation à mort souleva une tempête d’indignation qui força les autorités à différer l’exécution.

Manifestation de la FAUD pour Sacco et Vanzetti, à Berlin en 1927.

Les tergiversations durèrent sept ans. L’affaire atteint une renommée mondiale. Lorsque malgré toutes les pétitions, protestations et demandes en grâce, l’exécution fut fixée en août 1927, cela déclencha des manifestations dans toutes les capitales occidentales. J’avais écrit une brochure en langue allemande sur cette affaire qui fut diffusée à plusieurs milliers d’exemplaires. Au Jardin public de Berlin eut lieu une gigantesque manifestation, devant laquelle, entre autres orateurs, je pris la parole. Partout, les foules réclamaient l’annulation de la condamnation à mort. Des parlementaires de Paris et Berlin appelèrent les autorités judiciaires américaines à ajourner l’exécution. Les Nobel Thomas Mann et Albert Einstein, l’écrivain H.G. Wells et même Mussolini se prononcèrent en faveur des condamnés. La « conscience mondiale » s’était éveillée. Jamais encore la soif de justice ne s’était faite aussi unanimement sentir, par-delà les frontières nationales. Les peuples ressentaient l’injustice faite aux uns comme une menace pour tous.

Mais ce fut en pure perte. Le 23 août 1927, Sacco et Vanzetti durent s’asseoir sur la chaise électrique. Une fois de plus, la raison d’État avait triomphé de la justice et des sentiments humains. Peu avant son exécution, Nicola Sacco écrivit à Dante, son fils de quatorze ans, une lettre dans laquelle il disait :

Ne pleure pas, Dante, car trop de larmes ont été versées en vain, surtout par ta mère, sans résultat. Au lieu de pleurer, sois fort pour être à même de consoler ta mère. Quand tu voudras la distraire des pensées douloureuses, amène-la, comme je le faisais, en campagne cueillir les fleurs des bois et se reposer à l’ombre des arbres, dans l’harmonie de la nature. Souviens-toi, Dante, ne songe pas seulement à ton bonheur : au contraire, regarde autour de toi, aide les faibles qui cherchent aide et porte secours aux persécutés et aux victimes qui luttent et tombent, comme ton père et Bartolomeo tombèrent hier pour conquérir la joie et la liberté de tous les pauvres travailleurs [4].

 


[1Voir Horst Karasek : Die deutschen Anarchisten von Chicago, éd. Wagenbach, Berlin, 1975.

[2Joe Hill, né Joel Hägglund (1819-1915), émigra en 1902 aux États-Unis.

[3Mon corps si je pouvais choisir / Je voudrais en cendres le réduire / Et puisse la brise emporter / La poussière là où poussent les fleurs / Peut-être alors une fleur flétrie / Reviendra à la vie et refleurira / Ceci est mon dernier vœu / Bonne chance à tous, Joe Hill

[4La traduction de l’extrait reproduit ici est, celle du Réveil du 3 septembre 1927, cité dans Sacco et Vanzetti de Ronald Creagh, éd. La Découverte, Paris, 1984, p.231 (NDE).